Avec le procès d’Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur poursuivi pour crimes contre l’humanité, le pouls de Bellinzone va battre au rythme de la Gambie durant ce mois de janvier. Battre un peu trop faiblement, car le Tribunal pénal fédéral n’a pas cru bon – pour le moment du moins – de traduire l’intégralité des débats qui se déroulent en allemand. En persistant dans cette application stricte des règles de procédure, les juges montreraient une fois encore leur peu de sensibilité face aux enjeux d’un dossier qui sort résolument de l’ordinaire et qui touche une population vivant à plus de 10 000 kilomètres de la Suisse.

La même Cour des affaires pénales, saisie pour la deuxième fois en vertu de la compétence universelle – qui permet de poursuivre un prévenu de nationalité étrangère qui se trouve ici pour des crimes gravissimes commis ailleurs –, s’était déjà embourbée dans des problèmes logistiques sans fin à l’occasion du procès d’Alieu Kosiah, ex-chef rebelle libérien condamné à 20 ans de prison et dont le cas doit encore prendre le chemin du Tribunal fédéral. Les débats, menés en français (avec une traduction également limitée vers l’anglais), avaient été saucissonnés et avaient commencé sans attendre les victimes, bloquées en raison de la pandémie.

Aujourd’hui, ce ne sont pas les effets de la situation sanitaire, mais la langue de Goethe qui suscite des protestations. A l’unisson sur cette question, les parties sont d’avis qu’une interprétation en anglais de toutes les interventions (plaidoiries comprises) est nécessaire, même si cela peut s’avérer assez laborieux. Ce, afin que les protagonistes du procès (prévenu et parties plaignantes) et surtout la Gambie, à travers ses journalistes dépêchés sur place, puissent saisir les tenants et les aboutissants de cette audience historique, qui voit comparaître un très haut dirigeant.

Dans pareille situation, l’Allemagne a déjà opté pour cette pratique. Sans oublier la Cour pénale internationale, basée à La Haye, qui diffuse en ligne, quasi en direct et en deux langues (français et anglais) toutes les audiences afin de permettre un suivi à distance tout en menant des programmes de sensibilisation dans les régions touchées par les atrocités.

Une publicité élargie – des interprètes sont déjà mobilisés pour les questions aux parties – prend évidemment tout son sens dans ce dossier forcément difficile qui traite de faits anciens, commis entre 2000 et 2016 sous le régime de l’ex-président Yahya Jammeh, survenus dans un contexte lointain et pour lesquels Ousman Sonko conteste toute responsabilité. A vouloir négliger les particularités d’une telle affaire, ignorer le fossé qui sépare les crimes internationaux du crime de droit commun et priver le public d’un débat vraiment contradictoire, la justice suisse, quel que soit finalement son verdict, risque bien de passer à côté de l’essentiel.

QOSHE - Le procès Sonko, nouvelle occasion manquée pour la justice suisse? - Fati Mansour
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Le procès Sonko, nouvelle occasion manquée pour la justice suisse?

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08.01.2024

Avec le procès d’Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur poursuivi pour crimes contre l’humanité, le pouls de Bellinzone va battre au rythme de la Gambie durant ce mois de janvier. Battre un peu trop faiblement, car le Tribunal pénal fédéral n’a pas cru bon – pour le moment du moins – de traduire l’intégralité des débats qui se déroulent en allemand. En persistant dans cette application stricte des règles de procédure, les juges montreraient une fois encore leur peu de sensibilité face aux enjeux d’un dossier qui sort résolument de l’ordinaire et qui touche une population vivant à plus de 10 000 kilomètres de la Suisse.

La même Cour des affaires pénales, saisie pour la deuxième fois en vertu de la........

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