Mi-février, sous le feu des critiques d’Israël, Philippe Lazzarini, le patron de l’UNRWA, donne un entretien au Temps, suivi par la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), pour expliquer la mission de l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens. Douze de ses employés sont alors accusés par Tel-Aviv d’avoir participé à l’assaut du 7 octobre. Son financement par Berne est suspendu. L’Italo-Suisse doit convaincre ses compatriotes que cet argent ne tombe pas dans de mauvaises mains.

La publication dans Le Temps, sous la citation-titre «Israël cible l’UNRWA pour la faire disparaître» ne suscite pas de réaction particulière. Trois jours plus tard, la NZZ retient pour titre cette citation: «Nous sommes dans une crise existentielle.» L’argumentaire est le même. Mais, cette fois-ci, une avalanche de commentaires (147 en tout), la plupart haineux, s’empilent sous l’article. «Démissionnez M. Lazzarini. Vous êtes une honte pour la Suisse», écrit un lecteur. Le chef de l’UNRWA est qualifié de «non neutre», d’«arrogant», de «menteur», et son organisation d’être le bras du Hamas. Il n’est pas loin de passer pour un traître.

Cette différence de réception d’un même propos résume un clivage bien réel dans la perception du conflit israélo-palestinien – et le rôle de l’UNRWA – entre la Suisse alémanique et la Suisse romande. Si personne ne conteste la légitime défense d’Israël et l’injustice subie par les populations civiles palestiniennes, le curseur n’est pas le même à Zurich ou à Genève pour en établir les causes. «Difficile de parler de cessez-le-feu en Suisse alémanique sans passer pour un antisémite», résume le conseiller national Nicolas Walder, qui parle à juste titre de Röstigraben.

Comment l’expliquer? Il y a d’abord l’Histoire. La Suisse neutre n’en est pas moins tributaire des aléas de son continent et sous l’influence de ses voisins. C’est ainsi que la culpabilité allemande pour le génocide des juifs qui explique son soutien inconditionnel à Israël n’est pas sans conséquence outre-Sarine. Le débat sur les responsabilités du conflit israélo-palestinien suit d’autres détours qu’en Suisse romande où l’influence d’une France plus sensible à la cause arabe est indéniable. Admettre que nous sommes tributaires des récits allemands ou français est malaisé, c’est pourtant une réalité. Nous ne cessons de nous définir par opposition à ces voisins alors que nous sommes en quelque sorte subjugués par leur histoire.

Il y a ensuite la politique. La césure ici est en apparence une classique opposition gauche-droite qui transcende les espaces linguistiques. A y regarder de plus près, toutefois, il y a là encore une nette différence entre Suisse alémanique et Suisse romande. Elle tient au poids de l’UDC dans le débat national et sa prédominance dans l’espace germanophone. Or, l’UDC blochérienne est aujourd’hui un parti aligné sur les intérêts du gouvernement israélien. Ce sont ses membres qui se font le relais du lobby pro-Israël au parlement comme vient encore de le démontrer la Commission de politique extérieure du Conseil national, qui auditionnait en début de semaine Philippe Lazzarini.

Quand les deux parlementaires UDC David Zuberbühler ou Pierre-André Page appellent à supprimer les fonds de l’UNRWA, ils le font sur la base de l’argumentaire d’une organisation pro-israélienne, UN Watch, peu connue en Suisse alémanique mais dont la réputation est bien établie dans la Genève internationale. Ses responsables traitent d’antisémite tout discours jugé trop critique à l’égard de l’Etat d’Israël. Cet alignement, qui n’allait pas de soi il y a encore quelques années, s’explique par des valeurs communes à défendre avec le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. Il existe aussi un phénomène d’identification entre deux «petits pays», l’un entouré par un «danger arabe» et l’autre par la «menace européenne». La droite romande est de toute évidence moins sensible à ces arguments.

QOSHE - L’UNRWA, cet autre Röstigraben - Frédéric Koller
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L’UNRWA, cet autre Röstigraben

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30.03.2024

Mi-février, sous le feu des critiques d’Israël, Philippe Lazzarini, le patron de l’UNRWA, donne un entretien au Temps, suivi par la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), pour expliquer la mission de l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens. Douze de ses employés sont alors accusés par Tel-Aviv d’avoir participé à l’assaut du 7 octobre. Son financement par Berne est suspendu. L’Italo-Suisse doit convaincre ses compatriotes que cet argent ne tombe pas dans de mauvaises mains.

La publication dans Le Temps, sous la citation-titre «Israël cible l’UNRWA pour la faire disparaître» ne suscite pas de réaction particulière. Trois jours plus tard, la NZZ retient pour titre cette citation: «Nous sommes dans une crise existentielle.» L’argumentaire est le même. Mais, cette fois-ci, une avalanche de commentaires (147 en tout), la plupart haineux, s’empilent sous l’article. «Démissionnez M. Lazzarini. Vous êtes une honte pour la Suisse»,........

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