On sait mais on ne veut pas voir. On regarde ailleurs, on vit sa vie, on se concentre sur soi. On évacue, on oublie. Combien sommes-nous à nous défendre ainsi face aux malheurs de l’autre proche ou de la multitude lointaine? Face au SDF sur le trottoir gelé ou aux enfants bombardés à Gaza? Frappés par l’impuissance ou par notre hâte à courir ailleurs, et réduits à évacuer ces images, à les mettre hors champ?

Nous avons tous nos hors-champs et le film de Jonathan Glazer, La Zone d’intérêt, nous le rappelle de manière glaçante. Norbert Creutz a dit dans ces colonnes le caractère exceptionnel de cette construction inédite sur la Shoah, où l’on suit la vie quotidienne du directeur du camp d’Auschwitz-Birkenau et de sa famille dans leur maison fleurie, séparée du centre de mise à mort par un mur de béton surmonté de barbelés. On n’y voit rien de l’horreur qui se déroule à l’abri du regard, sinon le sommet des fours de crémation qui en dépassent, les fumées qui noircissent le ciel ou le brasier qui fait rougeoyer la nuit, pendant qu’on fait sécher son linge, qu’on organise des goûters d’anniversaire ou qu’on se répartit entre amies les tenues arrachées aux femmes déportées.

QOSHE - Hors champ - Jean-Jacques Roth
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Hors champ

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12.02.2024

On sait mais on ne veut pas voir. On regarde ailleurs, on vit sa vie, on se concentre sur soi. On évacue, on oublie. Combien sommes-nous à nous défendre ainsi face aux malheurs de l’autre proche ou de la multitude lointaine? Face au SDF sur le trottoir gelé ou aux enfants bombardés à Gaza? Frappés par........

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