Les théories du complot qui jalonnent la pop culture ont souvent eu tendance à faire des morts vivants. Tupac Shakur n’est pas décédé à Las Vegas et Michael Jackson sirote des caïpirinhas sur une île à l’abri des regards. Pallier au deuil en imaginant ses idoles simplement loin des caméras est fréquent, et de nombreuses stars ont été «aperçues» post-mortem. Elvis Presley a été vu à Kalamazoo dans le Michigan, à Legoland en Californie ou dans une scène du film Home Alone tourné en 1990. Le roi de la pop aurait simulé sa mort pour échapper à ses dettes et Lady Di ne se serait jamais encastrée dans le tunnel du pont de l’Alma et aurait même assisté au mariage d’une certaine Kate Middleton.

Une transition toute trouvée pour parler de celle qui est désormais la cible du phénomène inverse: faire des vivants des défunts. Petit rappel des faits pour ceux qui ne traquent pas les moindres faits et gestes de la famille royale: la Princesse de Galles a été admise le 17 janvier dernier à l’hôpital pour subir une opération abdominale prévue, puis… Silence radio. Enfin pas tout à fait. Le Palais de Kensington a publié une photo de la convalescente tout sourire lors de la fête des mères, une scène supposément immortalisée par le Prince William.

Une communication anodine qui aurait dû rassurer l’opinion publique et étouffer dans l’œuf les spéculations naissantes sur l’état de santé de Kate. Que nenni. La photo avait en fait été retouchée et c’est le début de l’engrenage sur les réseaux. Son apparition en public le 18 mars avec son mari dans un magasin d’alimentation, le Windsor Farm Shop, ne parvient pas non plus à calmer le déferlement de théories du complot, voire alimente la frénésie. Ses sujets demandent désormais à la Princesse de Galles de prouver sa propre existence.

Ce n’est pas la première à faire face à ce genre de situation. C’est même la dernière d’une longue liste – de Paul McCartney à Avril Lavigne, en passant par Elon Musk, Joe Biden ou encore Vladimir Poutine – «que des dizaines de détectives en ligne accusent […] d’être des clones, des sosies, des avatars générés par l’IA ou des personnes qui ne sont pas les êtres humains qu’ils prétendent être», précise le New York Times.

Commençons par l’aspect trivial de cette affaire: qui est cette personne faisant ses emplettes dans un marché bio si ce n’est Kate Middleton? Sur ce point, on semble en tout cas savoir qui ce n’est pas: Heidi Agan, qui se décrit elle-même sur son compte Instagram comme «le sosie le plus réaliste de Kate Middleton au Royaume-Uni» et qui «a même fourni un alibi quant à l’endroit où elle se trouvait lorsque la vidéo a été prise. Elle a appelé les gens à cesser d’attiser les spéculations qui, selon elle, ont rendu fous ses propres réseaux sociaux», témoigne le média The Independant.

Une publication partagée par Heidi Agan (@katemiddletonlookalike)

Place à la seconde interrogation, intimement liée à la première: quid de l’état de santé de la Princesse de Galles? Certains semblent avoir tenté de court-circuiter les déclarations officielles en accédant à son dossier médical, rapporte le tabloïd britannique The Mirror: «La direction [de l’établissement] a lancé une enquête sur les allégations de violation de la confidentialité de Kate alors qu’elle était patiente à la London Clinic en janvier. Au moins un membre du personnel aurait été surpris en train d’essayer d’accéder aux notes de la femme de 42 ans. Ces allégations ont provoqué une onde de choc dans l’hôpital du centre de Londres, qui a la réputation de soigner discrètement la famille royale, les anciens présidents, les premiers ministres et les célébrités».

Sur les réseaux sociaux, c’est la panique, X en tête, où chacun rivalise de bêtise ou d’humour pour proposer sa théorie, entre ceux qui plaisantent en la suspectant d’essayer de quitter le Royaume-Uni pour retrouver son amant, la star de baseball Shohei Ohtani, ou ceux qui la croient en sécurité avec Big Foot et le monstre du Loch Ness. Il y a évidemment des internautes plus pessimistes et complotistes que les autres qui la pensent simplement six pieds sous terre. Et parce que toute thèse, même fantaisiste, se doit d’être debunkée, la presse s’empresse de faire des Unes où pointe l’exaspération, comme la chaîne californienne KTLA qui titre que, «non, vraiment, Kate Middleton n’est pas morte».

Le Washington Post pose probablement la première véritable bonne question sur cette affaire, en se demandant «pourquoi la famille royale est-elle si mauvaise dans ce domaine?», à savoir la communication. Cela alors que son «seul véritable métier réside dans le paraître» et que «malgré ses siècles de pratique, [elle] ne sait pas comment être célèbre. Du moins… pas de façon moderne.» Le média américain imagine ce que la Princesse de Galles aurait pu faire pour rassurer son monde: «expliquer en quoi consiste son opération», «prendre une photo de Jell-O à l’hôpital», dire qu’elle ne ressemble à rien après l’opération et que c’est pour cela qu’elle ne veut pas se montrer. En bref, le manuel du parfait petit influenceur. Sauf qu’en procédant ainsi, la couronne perd de sa mystique, et ça, c’est hors de question, car une fois que la royauté «commence à se comporter comme des roturiers, à quoi sert-elle?»

Le dernier enseignement que nous apporte cette «Katespiracy» est peut-être à prendre avec plus de sérieux que l’incompétence monarchique en matière de communication. Le New York Times s’inquiète du fait qu’une «grande partie d’Internet est aujourd’hui en désaccord sur des faits fondamentaux, un phénomène exacerbé par l’intensification de la polarisation politique, la méfiance à l’égard d’institutions telles que les médias et les universités, ainsi que l’essor de l’intelligence artificielle et d’autres technologies susceptibles de fausser la perception de la vérité par les gens.»

Un constat qui se fait également à l’aune de la disparition de l’intimité pour les célébrités, dont le contenu est disponible partout et tout le temps pour leurs fans via les réseaux sociaux. Lorsqu’un mystère s’invite dans la vie de nos stars préférées, l’on se sent légitime, «sous couvert d’inquiétude», de tenter de le percer, quitte à s’éloigner du réel. Alors pour la dernière fois, «non, vraiment, Kate Middleton n’est pas morte».

QOSHE - «Katespiracy», ou comment la machine à rumeurs autour de l’état de santé de Kate Middleton est désormais inarrêtable - Léo Tichelli
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«Katespiracy», ou comment la machine à rumeurs autour de l’état de santé de Kate Middleton est désormais inarrêtable

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21.03.2024

Les théories du complot qui jalonnent la pop culture ont souvent eu tendance à faire des morts vivants. Tupac Shakur n’est pas décédé à Las Vegas et Michael Jackson sirote des caïpirinhas sur une île à l’abri des regards. Pallier au deuil en imaginant ses idoles simplement loin des caméras est fréquent, et de nombreuses stars ont été «aperçues» post-mortem. Elvis Presley a été vu à Kalamazoo dans le Michigan, à Legoland en Californie ou dans une scène du film Home Alone tourné en 1990. Le roi de la pop aurait simulé sa mort pour échapper à ses dettes et Lady Di ne se serait jamais encastrée dans le tunnel du pont de l’Alma et aurait même assisté au mariage d’une certaine Kate Middleton.

Une transition toute trouvée pour parler de celle qui est désormais la cible du phénomène inverse: faire des vivants des défunts. Petit rappel des faits pour ceux qui ne traquent pas les moindres faits et gestes de la famille royale: la Princesse de Galles a été admise le 17 janvier dernier à l’hôpital pour subir une opération abdominale prévue, puis… Silence radio. Enfin pas tout à fait. Le Palais de Kensington a publié une photo de la convalescente tout sourire lors de la fête des mères, une scène supposément immortalisée par le Prince William.

Une communication anodine qui aurait dû rassurer l’opinion publique et étouffer dans l’œuf les spéculations naissantes sur l’état de santé de Kate. Que nenni. La photo avait en fait été retouchée et c’est le début de l’engrenage sur les réseaux. Son apparition en public le 18 mars avec son mari dans un magasin d’alimentation, le Windsor Farm Shop,........

© Le Temps


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