Le 19 mars 2023, la Suisse vivait un séisme comme elle en a rarement connu. En l’espace d’un week-end prirent fin près de 167 ans d’une histoire commencée en 1856. «Credit Suisse ne devait pas tomber!», titrait-on dans nos colonnes au lendemain de l’annonce du rachat pour trois ridicules milliards par sa concurrente aux trois clefs, devenu entre-temps un monstre bancaire. Un coup porté à la «réputation de stabilité» du pays, s’inquiétait la BBC. Même le sourire de sa principale égérie Roger Federer sur «les affiches des aéroports suisses, symbole de force, d’excellence, d’endurance et de fiabilité», ne parvenait plus à rassurer. La Suisse vacillait.

Aujourd’hui, le calme semble revenu et la Paradeplatz n’est pas à feu et à sang. Circulez, il n’y a rien à voir? «Un an après la fermeture de Credit Suisse, la Suisse se porte bien. Avec UBS, nous disposons toujours d’une grande banque qui fonctionne et qui a réalisé un bénéfice record l’année dernière grâce à [ce rachat forcé]», informe le Tages-Anzeiger. Mais. Parce qu’il y a bien un «mais», poursuit le quotidien alémanique, qui estime que l’omerta règne autour de cette affaire, durant laquelle la Confédération a aussi empoché quelques millions: «Coup de chance, disent les responsables, qui s’exercent à l’oubli. Le fait que le silence […] ait été décrété sur tout y contribue. La commission d’enquête parlementaire se révèle être l’instrument idéal pour étouffer la discussion sur la défaillance du système suisse.»

Le 19 mars 2024, un mot semble toujours caractériser la situation: vulnérabilité. Car la Suisse est désormais à découvert avec son unique mastodonte, qui, pesant «deux fois la taille du produit intérieur brut helvétique» avec ses 1500 milliards de francs, fait courir «un risque énorme pour notre pays», témoigne-t-on dans nos colonnes. Que se passerait-il si c’était au tour de l’institution aux trois clefs de couler? «Si la prochaine crise bancaire survient, nous n’aurons plus de deuxième grande banque capable d’intervenir», résume le Tagi. Impossible aussi cette fois-ci de regarder ailleurs en se disant que le pire est forcément derrière nous, analyse froidement la NZZ: «À certains égards, le cas Credit Suisse de 2023 est encore pire que le cas UBS de 2008: on ne peut plus avoir l’illusion qu’une telle situation ne se produira qu’une fois dans sa vie».

Sur les solutions à apporter, la réponse semble unanime: il faut un renforcement rapide de la réglementation «too big to fail». Un constat qui taraude Bloomberg, qui considère qu’il s’agit de «la question plus urgente pour la Suisse afin de protéger le pays et son industrie financière. Et vu la taille d’UBS Group AG en tant que banque systémique mondiale, cela compte pour le reste d’entre nous.» Yahoo!Finance rappelle de son côté que «le gouvernement suisse devrait publier un rapport le mois prochain [dans lequel] il pourrait annoncer des exigences plus strictes en matière de capital pour UBS» et cite Cédric Tille, professeur d’économie à l’IHEID, qui avertit que «nous n’avons résolu le problème qu’à court terme. Ce que nous avons fait ouvre la voie à un problème beaucoup plus grave par la suite. […] UBS est devenue trop grosse pour être sauvée.»

Bloomberg esquisse quelques pistes et estime que le pays devrait se doter d'«outils punitifs tels que des amendes et de la publicité», alors que les régulateurs helvétiques ne peuvent pas «dénoncer les banques ou les particuliers pour des actes répréhensibles. […] Une réprimande discrète qui reste dans le bureau du régulateur n’aura jamais la même influence sur le comportement d’une banque.» Au Tages-Anzeiger de renchérir: «vous connaissez les noms de ceux qui ont dirigé la banque ces dix dernières années. Pourquoi ne devraient-ils pas se justifier publiquement, comme c’est le cas aux États-Unis […]? Bien sûr, nous avons des règles différentes, mais elles peuvent être modifiées – si on le souhaite.»

Pour la première année de ce rachat précipité, la Tribune de Genève compte quant à elle les points entre les gagnants et les perdants suite à cette opération. Pour le média du bout du lac, Karin Keller-Sutter a par exemple «fait de la débâcle un joli coup médiatique», lui permettant entre autres d’être «célébrée à la fin de l’année comme l’une des femmes les plus influentes du monde par le Financial Times.» Dans le camp des winners, on liste encore les actionnaires d’UBS ou les banques cantonales et chez les losers les détenteurs de titres Credit Suisse ou les employés d’agence, mais aussi l’image du secteur bancaire helvétique, FINMA et Banque nationale en tête.

La régulation, c’est certes important, mais UBS a aussi d’autres idées en tête, comme faire fructifier son secteur de gestion de fortune. En décembre dernier, son directeur, Iqbal Khan, était déjà désireux d’aller concurrencer les majors américaines du secteur sur leur propre terrain en se développant aux Etats-Unis. Au point où le Financial Times se demande, alors même que la banque pilotée par Sergio Ermotti vient seulement de fêter le premier anniversaire du rachat de Credit Suisse, si UBS peut «devenir le Morgan Stanley de l’Europe?» Pour le média économique, «le succès de la fusion bancaire la plus importante depuis la crise financière mondiale dépend de plus en plus de la capacité de Khan à donner un coup de fouet aux activités de gestion de fortune.»

Roger Federer a même repris du service et retrouvé son sourire inspirant stabilité et fiabilité. Le FT rappelle que «pendant deux jours ce mois-ci, UBS a fait appel à [l’ex-numéro un mondial], à l’investisseur Bill Ackman et au directeur de Moderna Stéphane Bancel, pour donner une série de conférences sur la motivation aux 250 banquiers privés les plus expérimentés de l’établissement.» Le but à atteindre? «Faire passer les actifs investis dans la gestion de fortune de 3800 milliards de dollars à plus de 5000 milliards de dollars d’ici à 2028.» De grandes ambitions, bien différentes de l’ambiance moribonde qui régnait il y a seulement 365 jours, lorsque le «Credit Suisse marchait tout seul vers le désastre», conclut Bloomberg.

QOSHE - Il y a un an mourrait Credit Suisse, vive UBS? - Léo Tichelli
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Il y a un an mourrait Credit Suisse, vive UBS?

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19.03.2024

Le 19 mars 2023, la Suisse vivait un séisme comme elle en a rarement connu. En l’espace d’un week-end prirent fin près de 167 ans d’une histoire commencée en 1856. «Credit Suisse ne devait pas tomber!», titrait-on dans nos colonnes au lendemain de l’annonce du rachat pour trois ridicules milliards par sa concurrente aux trois clefs, devenu entre-temps un monstre bancaire. Un coup porté à la «réputation de stabilité» du pays, s’inquiétait la BBC. Même le sourire de sa principale égérie Roger Federer sur «les affiches des aéroports suisses, symbole de force, d’excellence, d’endurance et de fiabilité», ne parvenait plus à rassurer. La Suisse vacillait.

Aujourd’hui, le calme semble revenu et la Paradeplatz n’est pas à feu et à sang. Circulez, il n’y a rien à voir? «Un an après la fermeture de Credit Suisse, la Suisse se porte bien. Avec UBS, nous disposons toujours d’une grande banque qui fonctionne et qui a réalisé un bénéfice record l’année dernière grâce à [ce rachat forcé]», informe le Tages-Anzeiger. Mais. Parce qu’il y a bien un «mais», poursuit le quotidien alémanique, qui estime que l’omerta règne autour de cette affaire, durant laquelle la Confédération a aussi empoché quelques millions: «Coup de chance, disent les responsables, qui s’exercent à l’oubli. Le fait que le silence […] ait été décrété sur tout y contribue. La commission d’enquête parlementaire se révèle être l’instrument idéal pour étouffer la discussion sur la défaillance du système suisse.»

Le 19 mars 2024, un mot semble toujours........

© Le Temps


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