Ce week-end, du 15 au 17 mars, la Russie se rend aux urnes. Pour élire son chef d’Etat? Presque, selon le média The Atlantic, pour qui «les mots ont un sens. Appelez cela un "événement de type électoral"». Amateurs de suspens, passez votre chemin, le scrutin est joué d’avance et Vladimir Poutine part grand (seul?) favori pour diriger le pays pour les six prochaines années. Cette histoire, dont on connaît déjà la fin, afflige le magazine mensuel qui y voit «la mort de la démocratie» rendant «tous les autres piliers essentiels sans objet, car le peuple n’a plus son mot à dire sur les personnes qui gouvernent.»

Dans les colonnes des médias occidentaux, personne ne se donne la peine d’entretenir le moindre espoir que le principal trio d'«outsiders» puisse rivaliser avec le maître du Kremlin, chacun culminant à moins de 5% des intentions de vote. France 24 propose d’ailleurs un article pour savoir «à quoi servent les trois candidats en lice contre Poutine?» Se poser la question, c’est déjà y répondre.

Mais à vaincre sans péril, Vladimir Poutine compte quand même triompher avec un semblant de gloire. Gagner c’est bien, terrasser, c’est mieux. Pour ce faire, le gouvernement a dépensé l’équivalent de près d’un milliard de francs pour ces élections, dont la majeure partie de ce budget «a été allouée à l’infotainment pour promouvoir le nationalisme, l’unité et les valeurs traditionnelles», précise le média The Conversation. Le tout alors que le pays reste embourbé en Ukraine dans son «opération spéciale» comme il l’appelle.

La seule ombre au tableau pourrait en effet venir d’une participation maigrichonne, comme ça a par exemple été le cas dernièrement en Iran (41%) ou au Venezuela en 2020 (31%). Pour le CV d’un autocrate, tout aussi réélu qu’il soit, cela peut faire tache. L’objectif? Battre son principal opposant, soit Vladimir Poutine lui-même et ses 76,7% obtenus en 2018, un score déjà largement trafiqué, rappelle le média russe d’opposition Novaya Gazeta. Voilà peut-être l’unique défi du week-end, sachant que «l’intérêt des électeurs est à un niveau historiquement bas. Les pénuries de main-d’œuvre actuelles risquent d’avoir un impact négatif sur les stratégies habituelles de «mobilisation des entreprises», par lesquelles les employeurs font pression sur leur personnel pour qu’il aille voter, mais aussi sur leurs amis et leur famille pour qu’ils se rendent aux urnes», explique le Kyiv Post.

De son côté, Russia Today, financé par l’Etat russe, nous offre ses pronostics – selon les projections du Centre russe de recherche sur l’opinion publique: «Vladimir Poutine, qui se présente en tant qu’indépendant, est susceptible de remporter 82% des voix» – et s’inquiète d’une possible ingérence américaine lors du scrutin. Le Monde ne voit quant à lui dans ce simulacre de démocratie qu’un «scrutin présidentiel taillé sur mesure» qui n’a pour seule vocation d’être «une démonstration de force à l’adresse des Occidentaux.»

Quand Vladimir Poutine sera réélu (avec des «si», on ferait de la Russie une démocratie), le président de 71 ans entamera un mandat supplémentaire, ce qui «fera de lui le dirigeant ayant la plus grande longévité depuis Joseph Staline», avertit encore The Conversation. Certains de ses principaux opposants ne sont même plus là pour le voir continuer son règne, sachant que les «deux leaders les plus charismatiques de l’opposition sont morts: Boris Nemtsov a été abattu près du Kremlin en 2015, et Alexeï Navalny a survécu à un empoisonnement ordonné par l’Etat en 2020, mais est mort en prison le mois dernier», rappelle le Washington Post. Dernière intimidation en date: l’agression de Leonid Volkov devant chez lui en Lituanie mercredi.

Le dernier coup de boutoir posthume de Navalny pourrait venir de l’opération «A midi contre Poutine», un appel aux citoyens à venir en masse dans les bureaux de vote le 17 mars pour exprimer leur désaccord. Mais même cette action symbolique risque de faire long feu car «les observateurs électoraux des chambres civiques régionales de Russie ont reçu des instructions pour identifier les participants à la manifestation», relate Meduza, journal russe d’opposition en exil. Les agents électoraux sont conseillés de «faire attention aux électeurs portant des symboles Navalny, des drapeaux blanc-bleu-blanc, des drapeaux ukrainiens et des «symboles pacifistes», ainsi qu’aux électeurs qui présentent un comportement nerveux à la vue de policiers.»

Côté russe, on se prépare tranquillement aux élections, tout en restant sur ses gardes. «La Commission électorale centrale est prête à faire face aux situations d’urgence lors du vote, tant en Russie qu’à l’étranger», avertit la Rossiyskaya Gazeta, quotidien appartenant au gouvernement. Le pays vote aussi pour son président pour la première fois depuis son invasion de l’Ukraine et a pensé à tout pour faire voter les territoires annexés de son voisin, à savoir, indique le Komsomolskaïa Pravda, «les habitants des nouvelles régions – la République populaire de Donetsk et celle de Louhansk, ainsi que les oblasts de Zaporijjia et de Kherson. […] Le fait est que certaines localités sont situées à proximité de la ligne de contact. C’est pourquoi les agents électoraux ont déjà commencé à faire le tour des villages avec des urnes portables pour que les gens puissent voter.»

Pour ceux qui restent encore trop indécis à glisser un bulletin pour Poutine, le Kremlin a tout prévu. «Les fonctionnaires tentent d’attirer les habitants dans les bureaux de vote en leur offrant des déjeuners gratuits, des billets de concert et des tirages au sort pour des prix allant de sacs de sucre à une nouvelle voiture», relate le Moscow Times. Mais ce n’est pas tout, précise encore le média considéré comme un «agent de l’étranger par Moscou», l’effort électoral peut aussi être récompensé par un tour de grande roue à Omsk (Sibérie), des iPhone 15 ou un aspirateur Dyson dans la région de l’Altaï. Ces élections sont décidément une «simulation bien conçue», conclut Meduza.

QOSHE - La présidentielle russe, cette «simulation bien conçue», terminée avant même d’avoir commencé - Léo Tichelli
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La présidentielle russe, cette «simulation bien conçue», terminée avant même d’avoir commencé

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15.03.2024

Ce week-end, du 15 au 17 mars, la Russie se rend aux urnes. Pour élire son chef d’Etat? Presque, selon le média The Atlantic, pour qui «les mots ont un sens. Appelez cela un "événement de type électoral"». Amateurs de suspens, passez votre chemin, le scrutin est joué d’avance et Vladimir Poutine part grand (seul?) favori pour diriger le pays pour les six prochaines années. Cette histoire, dont on connaît déjà la fin, afflige le magazine mensuel qui y voit «la mort de la démocratie» rendant «tous les autres piliers essentiels sans objet, car le peuple n’a plus son mot à dire sur les personnes qui gouvernent.»

Dans les colonnes des médias occidentaux, personne ne se donne la peine d’entretenir le moindre espoir que le principal trio d'«outsiders» puisse rivaliser avec le maître du Kremlin, chacun culminant à moins de 5% des intentions de vote. France 24 propose d’ailleurs un article pour savoir «à quoi servent les trois candidats en lice contre Poutine?» Se poser la question, c’est déjà y répondre.

Mais à vaincre sans péril, Vladimir Poutine compte quand même triompher avec un semblant de gloire. Gagner c’est bien, terrasser, c’est mieux. Pour ce faire, le gouvernement a dépensé l’équivalent de près d’un milliard de francs pour ces élections, dont la majeure partie de ce budget «a été allouée à l’infotainment pour promouvoir le nationalisme, l’unité et les valeurs traditionnelles», précise le média The Conversation. Le tout alors que le pays reste embourbé en Ukraine dans son «opération........

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