Evidemment, elle commence à l’aurore, «à l’aurore de chaque matin, l’aventure commence alors que la lumière nous lave les mains». Eloge de l’émerveillement quotidien, Jacques Brel chantait en 1958 les aventures ordinaires de Martin le forgeron, César l’alcoolique, Yvon le marin, et d’autres figures masculines encore, occupées par exemple à battre le blé. «Tout ce que l’on cherche à redécouvrir fleurit chaque jour au coin de nos vies», philosophait-il dans ce passé lointain, ajoutant que «la grande aventure, il faut la cueillir entre notre église et notre mairie».

Longtemps, l’aventure a donc été une affaire d’homme, solitaire de préférence. «Egaré dans la vallée infernale», ce dernier, par exemple, pouvait s’appeler Bob Morane. Son travail? Faire justice, traquer les bandits, sauver in extremis des crocodiles son seul acolyte recensé (également de sexe masculin) et, ponctuellement, avoir des relations sexuelles avec une jolie femme (blanche) tirée des griffes d’un potentat sauvage aux confins des mondes colonisés, tout en désirant secrètement une femme (asiatique) notoirement toxique portant le nom d’une fleur (cf. L’Aventurier, par Indochine, un titre sorti en 1982).

Parfois, l’aventure était collective, mais toujours «entre couilles». En 1972, un film fort en explosifs et en cascades à bord de Citroën DS, intitulé L’Aventure c’est l’aventure, mettait en scène une bande de criminels sympathiques occupés notamment à simuler la prise en otage de Johnny Hallyday avec sa propre complicité. A sa sortie, Claude Lelouch déclarait en interview que son film illustrait la seule forme d’aventure encore possible au XXe siècle, «dès lors que l’aventure aujourd’hui, ce n’est plus la découverte de continents ou de lieux géographiques, mais qu’elle réside dans l’intention des hommes vis-à-vis d’autres» – l’époque étant alors, selon le cinéaste, caractérisée par «le chantage et les prises d’otages». Pour la bande-son, Johnny Hallyday chantait donc: «L’aventuureu, c’est l’aventu-uureu… Elle est là, qui vous attend un soir, pas de pitié, il est trop tard, il faut gagner et oublier. L’aventuureu, c’est l’aventu-uureu, elle est pareille à l’amûuur, elle est en moi pour toujûuuur. […] Le courageu… le chantageu… les otageu… les sauvageu… Elle est lààà, elle est làààà, elle est l’aaaaventuuuuure…»

Lorsque, par malheur, une femme se trouvait concernée par l’aventure, celle-ci était forcément d’une nature bien différente, comme on s’en souvient avec Pierre Bachelet (1983): partie «sur un coup d’amour», la femme finissait par «rentrer au refuge, les yeux en déluge. […] Mais l’aventure, ça met l’amour au pied du mur, essuie tes yeux et ta figure…» Et cætera, et cætera.

Au XXIe siècle, l’aventure a changé de nature, et aussi de protagonistes. L’importance sociétale prise par le secteur du jeu vidéo en est la meilleure preuve. On s’en convaincra en faisant la connaissance de Mélanie Courtinat, qui exerce le mystérieux métier de «créatrice de mondes virtuels». On s’en étonnera en découvrant la filière e-sport-études ouverte par un lycée professionnel à Nancy. Sans jugement de valeur, et avec toute la curiosité que nous devons à la jeunesse, il faut désormais en prendre acte.