Dites «palmier», on vous répondra «vacances». Et avec ceci, un chapelet de lieux communs: le sable fin, la mer qui scintille, la chaleur écrasante, le soleil de plomb… Ça y est, vous l’avez dans l’œil? Coiffant un long fût duveteux, sa touffe de grandes feuilles en éventail déploie une belle ombre ajourée comme une invitation à la sieste. A présent, vous pensez tropiques et lenteur, paradis lointain, luxe, calme et volupté.

Ce cliché-là ne date pas d’hier. Au XIXe siècle déjà, cet arbre exotique était associé à une forme d’oisiveté luxueuse, et c’est pour cette raison que des gens puissants se sont mis à en planter dans leurs jardins, comme un signe extérieur de richesse. Dans leur sillage, les communes touristiques l’ont fait le long de leurs rivieras. Puis les propriétaires de villas sam’suffit, plus ou moins dans le monde entier.

La société des loisirs et de la consommation a fini par transformer l’arbre en pictogramme, pour indiquer l’emplacement, ici d’un solarium, là d’une agence de voyages ou d’un bar à cocktails. A Dubaï, deux îles artificielles ont été construites en forme de palmier pour maximiser le nombre de kilomètres de plages privées destinées aux investisseurs et aux touristes. Dans l’entreprise où je travaille, une messagerie interne permet de signaler son absence à ses collègues à l’aide d’émojis; par défaut, celui des vacances est un palmier.

Peu de végétaux peuvent se targuer d’une telle portée symbolique. En lisant notre enquête sur Trachycarpus fortunei, également appelé «palmier de Chine» puisqu’il en est originaire, on apprendra comment la puissance évocatrice d’un arbre s’est transformée en un problème écosystémique très concret: cette espèce exotique robuste se multiplie à présent tranquillement dans les forêts du Tessin.

Ce sujet fascinant nous a été soufflé par le photographe Yann Gross. Curieux de tout ce que le vent de la mondialisation sème en terre étrangère (les idées, les désirs ou les plantes – voir son portfolio), il mène en ce moment une enquête photographique sur cet arbre importé, et désormais considéré comme invasif. Les images qu’il nous livre ici, notamment en couverture, en sont un aperçu généreux.

Possiblement, la lecture de cette enquête nous conduira à réfléchir: à quoi rêve-t-on lorsqu’on remplit son caddie en garden center? De quels fantasmes, de quels symboles nos jardins individuels sont-ils semés? Et de tous ces désirs, tous ces clichés, quelles seront les conséquences à long terme sur notre environnement?

QOSHE - Le palmier, de l’invitation au voyage au déséquilibre écologique - Rinny Gremaud
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Le palmier, de l’invitation au voyage au déséquilibre écologique

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29.03.2024

Dites «palmier», on vous répondra «vacances». Et avec ceci, un chapelet de lieux communs: le sable fin, la mer qui scintille, la chaleur écrasante, le soleil de plomb… Ça y est, vous l’avez dans l’œil? Coiffant un long fût duveteux, sa touffe de grandes feuilles en éventail déploie une belle ombre ajourée comme une invitation à la sieste. A présent, vous pensez tropiques et lenteur, paradis lointain, luxe, calme et volupté.

Ce cliché-là ne date pas d’hier. Au XIXe siècle déjà, cet arbre exotique était associé à une forme d’oisiveté luxueuse, et c’est pour cette raison que des gens puissants se sont mis à en planter........

© Le Temps


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