En composant le dernier numéro du magazine T de cette année, je me suis demandé ce que penserait un extraterrestre qui aurait la chance de le tenir entre ses mains. Lisant successivement l’interview de Pascal Lardellier sur la raison d’être des rites en Occident, puis le reportage sur les vacances des Pères Noël professionnels, il se persuaderait sans doute du rôle central que jouent ces gros hommes vêtus de rouge dans la vie des humains d’aujourd’hui: «Ils forment une congrégation qui préside à un rite mondialisé. Ils incarnent dans leur chair rebondie un mythe qui transcende les grandes religions établies, tout en cohabitant harmonieusement avec elles. Et au plus noir de la saison froide, on leur confie la parole des petits enfants – l’avenir de l’humanité! – auxquels ils apportent de la joie, du rêve et du réconfort. Qui d’autre, au XXIe siècle humain, peut se targuer de tels pouvoirs, et de telles responsabilités?»

Naturellement, l’extraterrestre inscrirait alors les Pères Noël dans une perspective plurimillénaire: «De tout temps, les civilisations humaines ont investi certains individus du pouvoir d’incarner un récit mythologique. Rappelez-vous les gardiennes et gardiens de temples dans l’antiquité préchrétienne, hem netjer du culte d’Amon, galas sumériens, vestales romaines ou pythies grecques. Même les religions monothéistes ont leurs délégués terrestres, leurs figures de chair et d’os, garantes des rites et du récit, vêtues de tenues qui les distinguent du reste des mortels.»

Dans leur soucoupe, ses congénères se passeraient alors le magazine en hochant la tête. Puis, à la vue des pages sur le design liturgique, l’un d’eux ne manquerait pas de relever: «Leurs religions dominantes se dotent d’un matériel de culte vraiment très sobre, pour ne pas dire austère. Avec une panoplie d’accessoires si peu engageants, elles ne peuvent pas faire le poids face à l’univers chamarré et plein de promesses que déploient les Pères Noël. D’ailleurs, pour marquer durablement les esprits et créer du lien, ils sont vraiment mieux placés que quiconque: leur congrégation est jeune et impressionnable, tandis que celle des autres est nettement vieillissante.»

Alors, dans leur soucoupe volante, les discussions iraient bon train: «Et toi, Zguk, combien tu paries que, quand on reviendra les voir dans 1000 ans, les humains qui auront survécu au réchauffement climatique se réuniront tous les dimanches dans des centres commerciaux pour chercher du réconfort auprès de gros hommes barbus et vêtus de rouge?»

QOSHE - On parie sur les Pères Noël? - Rinny Gremaud
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On parie sur les Pères Noël?

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24.12.2023

En composant le dernier numéro du magazine T de cette année, je me suis demandé ce que penserait un extraterrestre qui aurait la chance de le tenir entre ses mains. Lisant successivement l’interview de Pascal Lardellier sur la raison d’être des rites en Occident, puis le reportage sur les vacances des Pères Noël professionnels, il se persuaderait sans doute du rôle central que jouent ces gros hommes vêtus de rouge dans la vie des humains d’aujourd’hui: «Ils forment une congrégation qui préside à un rite mondialisé. Ils incarnent dans leur chair rebondie un mythe qui transcende les grandes religions établies, tout en cohabitant........

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