Ces derniers temps, la marque «Depardieu», c’est un peu comme le foie gras, la corrida, l’art contemporain parfois, l’entre-soi cinématographique souvent. On aime, ou on n’aime pas. On oppose aujourd’hui plus que jamais son œuvre magistrale à son comportement. La justice est également appelée à trancher dans le cadre de plaintes. Dans ce contexte passionnel, on apprenait en fin d’année la décision de la Radio Télévision Suisse (RTS) de suspendre la diffusion des films dans lesquels l’acteur français joue un rôle principal.

Regarder ou écouter Gérard Depardieu est un choix. Les Valseuses, du duo déjanté Depardieu-Dewaere, peuvent ne pas plaire. Quand il chante et raconte Barbara, aucune obligation d’y aller. Se priver d’Obélix, de Maigret, de Campana, de Cyrano est un droit. Le considérer comme un grossier personnage, dans le sillage des images de son escapade coréenne, est légitime.

Mais cela doit rester un choix individuel, éthique ou artistique. Quand la RTS joue les censeurs, et de surcroît s’assied sur la présomption d’innocence, la question devient politique. Officiellement, il s’agit d’un «choix pragmatique» et sujet à réexamen. En réalité, c’est bien un choix stratégique.

La RTS montre une direction politique déjà ressentie depuis le non à l’initiative «No Billag». Dans le cas Depardieu, elle veut choisir à la place du public, en l’infantilisant avec cette petite musique de fond moralisatrice. C’est à pleins poumons que la RTS respire l’air vicié du temps, celui du jugement moral permanent prescrivant comment boire, manger, voyager, penser, consommer, etc. L’heure serait à la purification de l’art et à l’effacement des artistes.

Depuis des mois, dans l’ombre de l’initiative «200 francs, ça suffit!» on entend les huiles du service public audiovisuel marteler que remettre en cause son financement est «une attaque contre la Suisse». Poussée à bout, cette rhétorique, aussi alarmiste que ridicule, fait de toute personne «RTSosceptique» une sorte de «mauvais Suisse».

La menace sur l’esprit suisse est pourtant ailleurs. Ce sont bien les dirigeants de l’entreprise publique qui la font peser, en censurant, en effaçant. Notre vénérable Constitution suisse est porteuse des valeurs de libertés, porteuse de droits et de responsabilités également. Les citoyens sont considérés comme capables de discernement. Quant au bon ou au mauvais goût, aucun n’est pénal.

La direction de la RTS est en train de transformer le nécessaire débat sur le service public et son financement en débat sur sa ligne politique. Choisir une ligne aussi radicale est une erreur fondamentale. Et quand on décide de dégoupiller une grenade politique, il ne faut pas s’étonner des dégâts éventuels… Qu’ils coûtent 200, 300 ou 335 francs.

QOSHE - Depardieu, le jeu dangereux de la RTS - Romain Clivaz
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Depardieu, le jeu dangereux de la RTS

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03.01.2024

Ces derniers temps, la marque «Depardieu», c’est un peu comme le foie gras, la corrida, l’art contemporain parfois, l’entre-soi cinématographique souvent. On aime, ou on n’aime pas. On oppose aujourd’hui plus que jamais son œuvre magistrale à son comportement. La justice est également appelée à trancher dans le cadre de plaintes. Dans ce contexte passionnel, on apprenait en fin d’année la décision de la Radio Télévision Suisse (RTS) de suspendre la diffusion des films dans lesquels l’acteur français joue un rôle principal.

Regarder ou écouter Gérard Depardieu est un choix. Les Valseuses, du duo déjanté Depardieu-Dewaere, peuvent ne pas plaire. Quand il chante et raconte........

© Le Temps


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