Les révélations touchant l’abbaye de Saint-Maurice et son collège ne sont pas un scandale de plus. La résonance est bien plus forte, car Saint-Maurice est un phare au pied d’une falaise. Phare intellectuel, religieux, de l’enseignement bien au-delà du Valais. Croyants, athées, agnostiques, bouffeurs de curés ou grenouilles de bénitier: ces révélations bouleversent et indignent ceux qui l’ont côtoyée de l’extérieur, ou de l’intérieur, comme l’auteur de ces lignes. Ils se sentent trahis. Trahison de l’esprit du collège et de l’abbaye, des élèves, des parents.

Malgré les crucifix en classe ou la messe obligatoire de la Saint-Maurice le 22 septembre, l’institution a toujours été un espace de liberté et de créativité remarquable. On y côtoyait un professeur de philosophie proche des fondamentalistes catholiques, mais enseignant la logique et la rigueur intellectuelle avec maestria. On y lisait La Chanson de Roland, Voyage au bout de la nuit ou Les Liaisons dangereuses. On y débattait, chantait, jouait en toute liberté.

C’est maintenant un préfet de l’internat qui est mis en cause. Soupçons à l’époque, devenus des légendes urbaines dans ce huis clos, ils pourraient donc être vrais. Des parents ont confié leurs enfants, espérant leur offrir une solide éducation. Pour de nombreux anciens internes, cette prison était un royaume. On y grandissait plus vite, loin des parents, on y rencontrait des gens d’ailleurs, on y «faisait les cons» comme il se doit entre 14 et 19 ans.

Tous croyaient en cette institution pourvoyeuse d’une éducation humaniste, moderne, rigoureuse. Des personnes tenues en haute estime se révèlent pourtant être des acteurs directs ou indirects d’un système où les abus ont été si ce n’est tolérés, au moins dissimulés. La demande de pardon formulée jeudi par l’abbaye n’y changera rien.

Plus rien ne sera comme avant à l’ombre de la Cime de l’Est. Priorité aujourd’hui: établir les faits. Remonter le temps sans prescription. Comme un devoir de mémoire. La détermination affichée jusqu’ici par Christophe Darbellay et les autorités rassure. La communication probablement sincère de l’abbaye, mais maladroite et hasardeuse, nettement moins. Puissent l’ensemble des institutions des hommes faire le travail de vérité que celles de Dieu n’ont pas su, ou voulu, faire.

QOSHE - Saint-Maurice: comme une trahison - Romain Clivaz
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Saint-Maurice: comme une trahison

15 1
24.11.2023

Les révélations touchant l’abbaye de Saint-Maurice et son collège ne sont pas un scandale de plus. La résonance est bien plus forte, car Saint-Maurice est un phare au pied d’une falaise. Phare intellectuel, religieux, de l’enseignement bien au-delà du Valais. Croyants, athées, agnostiques, bouffeurs de curés ou grenouilles de bénitier: ces révélations bouleversent et indignent ceux qui l’ont côtoyée de l’extérieur, ou de l’intérieur, comme l’auteur de ces lignes. Ils se sentent trahis. Trahison de l’esprit du collège et de l’abbaye, des élèves, des........

© Le Temps


Get it on Google Play