Un corps n’oublie jamais une montre. Contrairement au regard, qui peut aller et venir sur un cadran comme bon lui semble, la chair et les muscles sont en contact permanent avec un garde-temps. Jour après jour, minute après minute, le poignet et la main développent une mémoire de la matière. Ils s’habituent à la lourdeur d’un bracelet en acier ou à la rugosité du cuir. Impriment les proportions d’un boîtier, les formes des cornes. Apprivoisent une couronne, une lunette, un poussoir. Lorsqu’on omet de mettre sa montre, ne dit-on pas machinalement «je me sens nu»?

Oui: si le choix d’une montre relève de considérations économiques, sociales et culturelles, cet objet implique aussi et surtout une expérience tactile. C’est cela que racontent les foules se formant aux abords des boutiques horlogères, ces espaces de vente devenus eldorados de «l’expérience client» (voir notre enquête). C’est aussi cela que disent les salons horlogers bondés, avec de longues files d’attente devant les espaces touch & feel, du nom de ces sessions offrant aux visiteurs l’opportunité de manipuler les nouveautés et de découvrir leurs spécificités techniques. L’année passée, au salon genevois Watches and Wonders, à Genève, on en dénombrait 1800 rien que pour les professionnels. Afin qu’il dévoile tout son génie et toute sa vérité, un garde-temps doit passer autour d’un poignet, sous la pulpe des doigts, dans la paume de la main. Il doit être touché, palpé, retourné.

Post-pandémie, l’hubris numérique promettait un monde où le luxe se consommerait en 2D, l’exceptionnel à portée de clic. C’était oublier le caractère fondamentalement intime de la chose horlogère, et le besoin, pour les consommateurs, d’éprouver les textures du réel.

QOSHE - Dans l'horlogerie, les consommateurs veulent toucher, palper, sentir - Séverine Saas
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Dans l'horlogerie, les consommateurs veulent toucher, palper, sentir

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08.04.2024

Un corps n’oublie jamais une montre. Contrairement au regard, qui peut aller et venir sur un cadran comme bon lui semble, la chair et les muscles sont en contact permanent avec un garde-temps. Jour après jour, minute après minute, le poignet et la main développent une mémoire de la matière. Ils s’habituent à la lourdeur d’un bracelet en acier ou à la rugosité du cuir. Impriment les proportions d’un boîtier, les formes des cornes.........

© Le Temps


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