La mode doit-elle être démocratique? La question agite le microcosme de la Fashion Week de Paris, qui se terminera peu avant la parution de ce magazine. La veille de son défilé, la marque américaine The Row a demandé à ses invités de «s’abstenir de photographier ou de partager tout contenu» durant leur expérience. Le jour J, posés sur chaque siège, un calepin et un crayon invitaient à une prise de notes manuscrites. Les images officielles de la collection ont ensuite mis près d’une semaine à être dévoilées. La démarche a du sens.

Les réseaux sociaux étant désormais au cœur du système de la mode, le succès d’un show se mesure au nombre de mentions, de hashtags, de stories likées et partagées. Happés par cette société du spectacle, les vêtements deviennent un prétexte aux dérives narcissiques de chacun. Ils sont vus sans être observés, célébrés (ou décriés) sans être compris. En bannissant les écrans, The Row – chantre d’un minimalisme ultra-luxe à l’américaine – remet la création au cœur des conversations. Dans les jours suivant l’événement, les personnes qui avaient pu assister à la présentation racontaient la collection, l’imaginaire des unes soudainement suspendu aux mots des autres. Comme au bon vieux temps.

Le bon vieux temps, c’est le milieu du XXe siècle, lorsque les défilés de mode étaient des présentations confidentielles réservées à une petite élite blanche et bourgeoise. Entre les créateurs et leurs clientes se tissait une relation verticale, les premiers dictant leurs préceptes esthétiques aux secondes. En guise de critiques, une poignée d’éditrices dont l’avis faisait autorité.

Les fondatrices de The Row, Mary-Kate et Ashley Olsen, souhaitent-elles revenir à cette période? Il y a fort à parier que non: à New York, la marque organise chaque année des soldes provoquant une véritable hystérie collective. Pendant des jours, des femmes (et des hommes) de tous âges, de tous milieux sociaux, font la file pendant des heures pour un manteau ou un pantalon parfaitement coupé, au prix, parfois, de mois d’économies. Des personnes qui entrent dans le luxe par la petite porte, en s’offrant par exemple un casque audio, comme sur notre couverture, une lime à ongles ou des lunettes de soleil griffées (voir notre enquête ci-dessous).

Pendant la Fashion Week de Paris, les sœurs Olsen ont pourtant claqué la porte au nez de cette clientèle ultra-connectée – notamment à leur défilé. Pour remettre la création au centre de l’attention, elles auraient pu, à la façon de Miuccia Prada, organiser des séances digitales de questions-réponses avec le public, ou, comme Glenn Martens chez Diesel, proposer aux internautes d’assister en direct aux préparatifs du défilé. Elles ont préféré le mutisme et l’entre-soi. Une stratégie très séduisante si vous êtes riche et/ou influent. Beaucoup moins si vous ne l’êtes pas.

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QOSHE - Plis et repli - Séverine Saas
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Plis et repli

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15.03.2024

La mode doit-elle être démocratique? La question agite le microcosme de la Fashion Week de Paris, qui se terminera peu avant la parution de ce magazine. La veille de son défilé, la marque américaine The Row a demandé à ses invités de «s’abstenir de photographier ou de partager tout contenu» durant leur expérience. Le jour J, posés sur chaque siège, un calepin et un crayon invitaient à une prise de notes manuscrites. Les images officielles de la collection ont ensuite mis près d’une semaine à être dévoilées. La démarche a du sens.

Les réseaux sociaux étant désormais au cœur du système de la mode, le succès d’un show se mesure au nombre de mentions, de hashtags, de stories likées et partagées. Happés par cette société........

© Le Temps


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