Je suis suisse. Mais tellement suisse! Mais tellement archi-suisse!!! D’ailleurs, ma naissance est, elle aussi, l’objet d’un mythe fondateur. Moi, la basket de la marque zurichoise On, j’ai été créée par un ingénieur. Mais petit à petit, une histoire s’est agglutinée, qui attribue ma paternité à l’ancien champion d’Ironman alémanique Olivier Bernhard. Ce dernier m’aurait inventée en bricolant des tuyaux d’arrosage et en les collant sous une semelle pour obtenir un rebond extraordinaire. Bref, comme la Confédération, on me fait naître d’en bas, du peuple, du côté du bon sens et de ceux qui résistent, du côté des petits David qui deviennent plus malins que les Goliath. Dans cette histoire, Goliath n’est pas un bailli autrichien. Mais Nike, Adidas et les autres envahisseurs.

Mais peut-être faut-il que je me présente. Je suis la basket de la marque helvétique On – un nom bizarre, impossible à googler qui me situe déjà dans cet écart qui fera mon succès. Je suis reconnaissable à ma semelle crénelée et à mon logo en forme de petit bonhomme, nez en l’air. J’ai été lancée en 2010 à Zurich, par trois hommes: Olivier Bernhard, David Allemann et Caspar Coppetti – tiens, tiens, trois types, comme pour le serment du Grütli. A mes commencements, ce sont les grands sportifs qui ont forgé ma crédibilité. Puis mon royaume s’est étendu. Aujourd’hui, je suis un des rares produits helvétiques qui soient un objet de culte à l’échelle mondiale. D’après la presse, j’ai dépassé le milliard de chiffre d’affaires l’an dernier. Rien qu’en Suisse et en juin 2022, il se serait vendu pour 100 millions de mes congénères! Dans un marché dominé par des géants aux moyens illimités, seule une autre marque de basket récente, Hoka, fait aussi bien que moi. N’applaudissez pas. Je n’aime pas ça.

Et ce n’est qu’un début. Portée par Federer qui assure ma pub et qui a investi dans mon capital, j’ai des marges de progression immenses, en Asie notamment. Et mon empire s’est étendu aux habits. J’ai des slogans d’une intelligence rare. Voyez vous-même. La plupart des marques de sport ne se donnent pas trop la peine de parler d’écologie, elles continuent d’exploiter les vieux ressorts de la consommation de masse et de la collectionnite à tout prix. Ma marque, On, recycle. Elle a même lancé la basket «qui ne vous appartient pas» – un modèle qu’on achète par abonnement, qu’on renvoie quand il est usé et qui est remplacé (je résume). Un truc entre la basket en streaming et la chaussure en leasing. Waow. Je mérite de figurer, au firmament des objets qui signent le XXIe siècle, aux côtés de l’iPhone ou de la Tesla. Mais purée, ne m’applaudissez pas, je vous l’ai déjà dit!

En fait, je suis la basket qu’énormément de gens portent pour ne pas faire comme les autres. Sans se rendre compte que tout le monde fait pareil. On m’achète autant pour mes qualités que parce que je permets à mes propriétaires de se distinguer de la foule des banals et des vulgaires qui continuent de chausser des baskets aux couleurs plus vulgaires et aux histoires plus bourrines que les miennes. Celui ou celle qui me possède raconte aux autres sa supériorité. Son pouvoir d’achat. Sa «distinction», pour parler comme les sociologues. Mon ascension illustre le fait que nos goûts sont autant pétris de nos élans que de nos dégoûts.

Assez parlé de moi. Je suis fière, orgueilleuse, mais je fais ma modeste, je baisse les yeux, je rougis, je me faufile feutrée. Je l’ai répété tout au long de cette chronique. Admirez-moi mais ne le criez pas trop. Je suis suisse.

QOSHE - Confidence d’une sneaker suisse - Stéphane Bonvin
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Confidence d’une sneaker suisse

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31.12.2023

Je suis suisse. Mais tellement suisse! Mais tellement archi-suisse!!! D’ailleurs, ma naissance est, elle aussi, l’objet d’un mythe fondateur. Moi, la basket de la marque zurichoise On, j’ai été créée par un ingénieur. Mais petit à petit, une histoire s’est agglutinée, qui attribue ma paternité à l’ancien champion d’Ironman alémanique Olivier Bernhard. Ce dernier m’aurait inventée en bricolant des tuyaux d’arrosage et en les collant sous une semelle pour obtenir un rebond extraordinaire. Bref, comme la Confédération, on me fait naître d’en bas, du peuple, du côté du bon sens et de ceux qui résistent, du côté des petits David qui deviennent plus malins que les Goliath. Dans cette histoire, Goliath n’est pas un bailli autrichien. Mais Nike, Adidas et les autres envahisseurs.

Mais peut-être faut-il que je me présente. Je suis la basket de la marque helvétique On – un nom........

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