A écouter «Barbecue», un ancien policier haïtien devenu un tout-puissant chef de gang qui terrorise Port-au-Prince, on pourrait se contenter d’attribuer une bonne partie du chaos qui règne sur l’île des Caraïbes aux Haïtiens eux-mêmes. Criminalité endémique, corruption et pauvreté record. Le pays n’a plus de président ni de parlement, n’a plus organisé d’élection depuis 2016 et son premier ministre, Ariel Henry, vient d’annoncer sa démission. Les institutions étatiques se sont effondrées. Haïti est, cyniquement dit, la version la plus aboutie de l’Etat failli, qui ne va pas sans rappeler la récente descente aux enfers de l’Equateur, gangrené par les bandes criminelles.

Si, dès son indépendance en 1804, Haïti avait de nombreux atouts pour devenir un Etat prospère, il a très vite été sous le joug (financier) des puissances coloniales. Le pays a dû d’emblée se ruiner pour verser des sommes faramineuses à la France et aux banques de Wall Street en guise de réparations. Il a subi l’occupation américaine, des coups d’Etat successifs et une dictature brutale sous les Duvalier, père et fils, sans oublier des catastrophes naturelles dévastatrices.

Aujourd’hui, on peut s’interroger sur les cuisants échecs essuyés par cette chose informe qu’est la communauté internationale. Plusieurs missions des Nations unies n’ont pas réussi à infléchir la trajectoire de cet Etat parmi les plus pauvres de la planète. Emblématique d’un engagement mou, l’ONU a longtemps nié sa responsabilité dans la diffusion du choléra sur l’île en 2010, qui coûta la vie à 10 000 habitants. Les ONG internationales, sans doute animées de bonnes intentions, ne présentent pas un meilleur bilan. Manque de coordination et concurrence malsaine n’ont pas empêché la déroute.

Confrontée à une forte vague migratoire haïtienne dans les années 1990, l’administration américaine de Bill Clinton avait tenté de «restaurer la démocratie» dans le pays tout en érigeant des cages à Guantanamo pour «accueillir» des réfugiés haïtiens – des installations qui serviront plus tard aux présumés terroristes du 11-Septembre. L’espoir fit long feu, comme l’aide apportée par la Fondation Clinton pour faire d’Haïti un lieu privilégié des multinationales.

Au-delà de ce constat d’impuissance, que faire? Si l’ingérence de type colonial est d’emblée vouée à l’échec, Haïti ne peut être abandonné à son sort d’Etat en apparence damné. Mais comme le relèvent les experts des processus de paix, l’aide extérieure ne sera utile que si elle sert à créer les conditions nécessaires aux acteurs locaux pour reconstruire un pays en lambeaux. La tâche promet d’être colossale.

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Haïti, un Etat damné entre responsabilités locales et fiasco de l’aide internationale

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12.03.2024

A écouter «Barbecue», un ancien policier haïtien devenu un tout-puissant chef de gang qui terrorise Port-au-Prince, on pourrait se contenter d’attribuer une bonne partie du chaos qui règne sur l’île des Caraïbes aux Haïtiens eux-mêmes. Criminalité endémique, corruption et pauvreté record. Le pays n’a plus de président ni de parlement, n’a plus organisé d’élection depuis 2016 et son premier ministre, Ariel Henry, vient d’annoncer sa démission. Les institutions étatiques se sont effondrées. Haïti est, cyniquement dit, la version la plus aboutie de l’Etat failli, qui ne va pas sans rappeler la récente descente aux enfers de l’Equateur, gangrené par les bandes........

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