Dans l’inconscient collectif européen, associer l’Allemagne et l’extrême droite a toujours quelque chose d’inconfortable. Ce n’est donc pas étonnant que la percée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) préoccupe. Surtout après une récente réunion à Potsdam de membres du parti avec des éléments de la droite radicale notamment autrichienne visant à élaborer un projet de «remigration», une expulsion massive des demandeurs d’asile.

Dans l’optique des élections régionales prévues en septembre en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg, l’AfD crève le plafond en termes d’intentions de vote. En Saxe, avec 37%, elle dépasserait l’Union chrétienne-démocrate (33%). Dans une région qui a vécu sous le glacis soviétique pendant plus de quarante ans, le Parti social-démocrate (SPD) n’obtiendrait que 3% des votes. Il n’est pas exclu qu’en septembre, l’AfD accède au pouvoir régional. Cette fois, l’alerte est sérieuse. Longtemps confinée à l’ex-Allemagne de l’Est, la montée de l’extrême droite se manifeste aussi dans la partie occidentale du pays. Les patrons de l’industrie, soucieux de maintenir la formidable puissance exportatrice allemande, ne cachent plus leur vive inquiétude.

Si l’ascension de l’extrême droite s’observe un peu partout en Europe, les raisons qui la sous-tendent en Allemagne semblent en partie spécifiques à notre voisin du nord. La Zeitenwende (le tournant) prise par l’Allemagne après l’invasion russe de l’Ukraine a bouleversé le pays, qui soutient sans complexe l’effort défensif ukrainien au nom de l’Etat de droit et de l’unité européenne. Berlin consacre aussi des sommes considérables à sa défense. La guerre en Ukraine a fait exploser les prix de l’énergie, qui affectent plus fortement les couches les plus défavorisées. La précarité économique remonte toutefois plus loin. L’Allemagne a certes réussi à relancer de façon exceptionnelle son économie grâce aux réformes du chancelier Gerhard Schröder, mais à un prix élevé: la flexibilisation du marché du travail a créé des working poor qui ne se reconnaissent plus dans le SPD. Et malgré les milliards investis dans la réunification du pays, les ex-Allemands de l’Est se sentent encore comme des citoyens de seconde zone.

Berlin pourrait bien faire face à un casse-tête insoluble. Interdire l’AfD comme le pays l’a fait avec différents mouvements d’extrême droite, c’est prendre le risque de faire une entorse à la liberté démocratique, qui pourrait produire un effet boomerang. La laisser prospérer, c’est prendre le risque de déstabiliser des institutions démocratiques qui jusqu’ici ont prouvé leur solidité. Au sein de la CDU, la question de coopérer ou non avec l’AfD suscite depuis des années un débat enflammé et déchire le parti.

QOSHE - Interdire l’extrême droite? Le casse-tête allemand - Stéphane Bussard
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Interdire l’extrême droite? Le casse-tête allemand

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17.01.2024

Dans l’inconscient collectif européen, associer l’Allemagne et l’extrême droite a toujours quelque chose d’inconfortable. Ce n’est donc pas étonnant que la percée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) préoccupe. Surtout après une récente réunion à Potsdam de membres du parti avec des éléments de la droite radicale notamment autrichienne visant à élaborer un projet de «remigration», une expulsion massive des demandeurs d’asile.

Dans l’optique des élections régionales prévues en septembre en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg, l’AfD crève le plafond en termes d’intentions de vote. En Saxe, avec 37%, elle dépasserait l’Union chrétienne-démocrate (33%). Dans une........

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