Il y a d’abord le Vladimir Poutine déterminé, désireux de véhiculer l’image d’un dirigeant tout-puissant. Dans son récent discours annuel à la nation, ripostant aux propos d’Emmanuel Macron qui n’exclut pas l’envoi de troupes en Ukraine, le président russe n’a pas hésité. Il a brandi la menace d’utiliser l’arme nucléaire. Cette posture, jugée irresponsable par les Occidentaux, reflète la projection de puissance que Poutine affectionne.

Et puis il y a l’autre Vladimir Poutine, celui qui exhorte ses services à ne pas remettre le corps de l’opposant Alexeï Navalny à la famille ni à autoriser celle-ci à organiser une cérémonie civile, celui qui interdit même aux chauffeurs de corbillard de transporter la dépouille du défunt dans un cimetière de la banlieue de Moscou, où l’ennemi public numéro un de Poutine a grandi. Il y a le Poutine qui pousse les forces de l’ordre à couper le réseau de téléphonie mobile et à installer des caméras de surveillance le long du convoi funéraire. Mesurée à l’aune de la peur que suscite Alexeï Navalny, décédé dans l’une des pires colonies pénitentiaires du pays, en Arctique, la superpuissance projetée de Poutine et du régime depuis la fin 1999 semble bien dérisoire.

Le régime quasi dictatorial qu’a imposé Poutine à la Russie, surtout depuis l’invasion de l’Ukraine, est un aveu de faiblesse. Le président russe a peur de ce que représente Navalny, un Russe, certes nationaliste, mais courageux, désireux de défendre une autre Russie où la liberté d’expression serait garantie, où la corruption endémique serait éradiquée.

L’ex-agent du KGB devenu président a été déjà totalement déboussolé par la chute du mur de Berlin quand il opérait à Dresde. Il a très mal vécu les manifestations massives de contestation du système Poutine en 2011-2012. Quand il revient à la présidence, après la brève parenthèse Medvedev, le chef d’Etat soumet la société russe au joug de sa vision étriquée de la vie, du monde. Les intelligences et la culture russes méritent mieux.

Or vendredi, aux alentours du cimetière de Borissovo, des milliers de Russes n’ont pas eu peur, reprenant à leur compte l’une des devises de Navalny. Ils ont osé crier «non à la guerre». Ils auraient pu scander «Nous sommes tous des Navalny». Pour la mise en terre du cercueil, c’est ironiquement un air de Frank Sinatra, My Way, qui a été diffusé, dont les paroles semblent coller à la personnalité du très vaillant opposant qui a osé retourner en Russie après avoir été empoisonné au Novitchok, un agent neurotoxique de l’ère soviétique. «J’ai vécu une vie pleine. […] Je n’ai que très peu de regrets.» Il en aura sans doute eu un: celui de ne pas avoir réussi à transformer une société russe qui, derrière les interdictions que le régime Poutine lui impose, défend d’autres valeurs que le revanchisme et l’esprit belliqueux.

QOSHE - Poutine a peur d’un mort, Navalny - Stéphane Bussard
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Poutine a peur d’un mort, Navalny

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01.03.2024

Il y a d’abord le Vladimir Poutine déterminé, désireux de véhiculer l’image d’un dirigeant tout-puissant. Dans son récent discours annuel à la nation, ripostant aux propos d’Emmanuel Macron qui n’exclut pas l’envoi de troupes en Ukraine, le président russe n’a pas hésité. Il a brandi la menace d’utiliser l’arme nucléaire. Cette posture, jugée irresponsable par les Occidentaux, reflète la projection de puissance que Poutine affectionne.

Et puis il y a l’autre Vladimir Poutine, celui qui exhorte ses services à ne pas remettre le corps de l’opposant Alexeï Navalny à la famille ni à autoriser celle-ci à organiser une cérémonie civile, celui qui interdit même aux chauffeurs de corbillard de transporter........

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