Il y a un siècle, le 21 janvier 2024, mourait Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. Aujourd’hui, le fondateur de la Russie soviétique est toujours présent dans les mémoires, notamment en Russie où ses statues sont protégées et restaurées. Il est le révolutionnaire qui a renversé le régime tsariste et pris le pouvoir en 1917, lors des « dix jours qui ébranlèrent le monde », notait le journaliste américain et militant communiste John Reed dans son livre publié en 1919.

A LIRE AUSSI : A la recherche du Lénine perdu

Si certains s’emploient à réhabiliter le premier président de l’URSS, Lénine est aussi l’initiateur de la « Terreur rouge », politique mise en place dès l’arrivée des bolcheviks au pouvoir, durant la guerre civile qui s’ensuivi. Dans La terreur sous Lénine, publié initialement en 1975, l’historien Jacques Baynac, – mort début janvier – Alexandre Skirda, spécialiste du mouvement révolutionnaire russe, et Charles Urjewicz, professeur d’histoire de la Russie et du Caucase, ont rassemblé divers documents sur cette « Terreur rouge », rédigés dans les années 1920, par, principalement, des opposants de gauche au bolchévisme, notamment les anarchistes. « La dictature du prolétariat […] s’était muée en une dictature d’une nouvelle classe – amalgame hâtif d’éléments venus de toutes les anciennes couches sociales – sur une population paysanne exsangue », notait Jacques Baynac.

La Commission extraordinaire de lutte contre la contre-révolution et le sabotage, plus connue sous l’acronyme Tchéka, a joué, dès décembre 1917, un rôle central dans cette dictature d’une nouvelle classe. « Un bon communiste est aussi un bon tchékiste », affirmait Lénine. Cette police politique assoira son pouvoir rapidement, comptant 31 000 fonctionnaires fédéraux dès le début des années 1920. Alors que la Terreur rouge était officiellement terminée depuis la proclamation de l’URSS en décembre 1922, la Tchéka existe toujours, sous le nom de Guépéou, et les prisons comptent, en janvier 1924, 87 800 opposants enfermés.

Les travailleurs se mettant en grève pour protester contre leurs conditions de vie ou par opposition politique ne sont pas épargnés. En 1921, les marins de Kronstadt, rejoignant les ouvriers grévistes de Saint-Pétersbourg (renommé Petrograd en 1914) et réclamant les élections libres des soviets et la liberté de la presse, seront massacrés. « Beaucoup d’ouvriers quittent le Parti, déclarait un futur membre du bureau politique en 1922. Cela s’explique par le régime à poigne, qui n’a rien en commun avec la véritable discipline. »

A LIRE AUSSI : Mars 1921 : Lénine et Trotski écrasent les insurgés libertaires de Cronstadt

En imposant ses idéaux par un régime autoritaire, Jacques Baynac affirme que Lénine a trahi la pensée fondamentale de Karl Marx : pour le philosophe allemand, c’est le prolétariat lui-même qui serait à l’origine de sa propre émancipation. Sur un contrôleur de la Direction politique de l’État qui s’était suicidé dans les rues de Moscou en 1923, on trouva une lettre suppliant ses camarades de ne plus participer aux « horreurs et canailleries » du Parti, et de ne pas « éloigner les masses du socialisme ». Loin des discours caricaturaux qui parasitent les débats, la réédition de La Terreur sous Lénine donne à lire la parole des oubliés de l’Histoire.

***

La Terreur sous Lénine, Jacques Baynac (dir.), avec Alexandre Skirda et Charles Urjewicz, éditions L’échappée, 384 p., 14 €.

QOSHE - Une dictature d’une nouvelle classe : on a lu "La Terreur sous Lénine" - Blandine Doazan
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Une dictature d’une nouvelle classe : on a lu "La Terreur sous Lénine"

6 0
19.01.2024

Il y a un siècle, le 21 janvier 2024, mourait Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. Aujourd’hui, le fondateur de la Russie soviétique est toujours présent dans les mémoires, notamment en Russie où ses statues sont protégées et restaurées. Il est le révolutionnaire qui a renversé le régime tsariste et pris le pouvoir en 1917, lors des « dix jours qui ébranlèrent le monde », notait le journaliste américain et militant communiste John Reed dans son livre publié en 1919.

A LIRE AUSSI : A la recherche du Lénine perdu

Si certains s’emploient à réhabiliter le premier président de l’URSS, Lénine est aussi l’initiateur de la « Terreur rouge », politique mise en place dès l’arrivée des bolcheviks au pouvoir, durant la guerre civile qui s’ensuivi. Dans La terreur sous Lénine, publié initialement en 1975, l’historien Jacques Baynac, – mort début janvier........

© Marianne


Get it on Google Play