En août 1945, atomisé, totalement anéanti, le Japon n’est plus une puissance reconnue. On lui prédit un avenir sombre où il ne pourra plus jouer dans la cour des Grands. Occupé par les Américains qui lui imposent sa Constitution pacifiste, il n’a plus voix au chapitre. Mais miracle, la guerre de Corée (1950-1953) où il joue le fournisseur et la base arrière logistique de l’armée américaine, va lui permettre de relancer son économie. Petit à petit, puis de plus en plus rapidement, le pays va connaître une série de boums économiques successifs sans précédent dans l’histoire qui vont lui permettre dès les années 1960 de devenir le « troisième grand » devant l’Allemagne. Point d’orgue de ce retour dans le concert des nations, les jeux Olympiques de 1964 qui permettent au Japon de montrer au monde entier sa saisissante transformation.

Au début des années 1980, il va réussir à s’aligner sur le niveau de vie des pays les plus développés. Une fois passé le cap des grandes crises écologiques illustrées par des entreprises particulièrement polluantes et une mégalopole de Tokyo hors de contrôle, il va se ressaisir pour devenir une sorte de modèle comme l’avait été précédemment les États-Unis : modèle de l’entreprise japonaise et de son système productif, modèle de sa société basée sur la forte intégration des normes sociales par tout un chacun, modèle d’un pays sûr… D’aucuns lui promettent alors de devenir la première puissance économique du monde au XXIe siècle, rien moins que cela !

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Mais voilà, lorsqu’on est le premier de la classe, on a tendance à se laisser aller. Le Japon commence à vivre au-dessus de ses moyens au point de s’enivrer d’acquisitions à l’étranger les unes plus symboliques que les autres. La spéculation effrénée sur les terrains et la construction dans la capitale, l’argent douteux de la pègre, les « accords du Plaza » [accords sur le taux de change entre les États-Unis, le Japon, l'Allemagne de l'Ouest, le Royaume-Uni et la France] de 1985 qui réévaluent le yen (endaka, le yen fort), tout cela éclate dans la figure d’un Japon tétanisé.

Au début des années 1990, voilà donc que les choses se délitent. La bulle spéculative provoque une stagnation du revenu alors même que la croissance n’est plus au rendez-vous. Face au vieillissement de sa population, le pays reste passif. Pour le Japon, c’est désormais « deux décennies perdues ». Alors que le pays avait été en pointe dans la technologie, il rate le grand tournant d’Internet et de la communication. En Asie, il voit d’un mauvais œil la montée de ses rivaux de toujours, la Chine, mais aussi la Corée du Sud, sans cependant réagir. La vague de la mondialisation anglo-saxonne le laisse sur la touche, lui qui avait un réseau de grandes entreprises qui couvraient le monde entier.

Commence un lent repli sur lui-même, alors que le monde se globalise. Certes, il cherche, par le soft power, à se ressaisir et devient le deuxième pays exportateur de biens culturel derrière les États-Unis. Dès l'an 2000, le gouvernement promeut l’image d’un « Cool Japan » face aux critiques venant surtout de la Chine et de la Corée, par exemple sur son rôle durant « la guerre de quinze ans » (1931-1945) et son refus de reconnaître clairement les exactions de l’armée impériale à travers toute l’Asie.

Mais dans le domaine du soft power aussi, la Corée et la Chine deviennent pour lui des concurrents sérieux. Le Japon est de plus en plus inaudible sur la scène internationale et ses problèmes frontalier non résolus, son manque - c’est un euphémisme - d’allant pour accueillir des réfugiés, n’arrangent pas les choses.

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À la crise que traverse le pays, dans presque tous les domaines (scolaire, démographique, technique, économique, judiciaire…) répond une classe dirigeante incapable de montrer une voie vers le futur, sans imagination, sans grande capacité de décision et dont on a l’impression qu’elle laisse l’archipel comme un avion sans pilote à bord ! Une haute bureaucratie de mèche avec les lobbies préfère le statu quo à tout changement et bloque à tout-va. Dans le système scolaire comme dans la société, le politique n’est guère abordé et reste massivement un tabou, faisant du Japon le champion de la non-contestation, une démocratie à parti unique, même si des associations bougent en même temps que des personnalités du showbiz, qui jusque-là ne prenaient jamais position au Japon.

Le Japon vit cette régression comme un affront

Subissant un effondrement démographique sans précédent, une pénurie de main-d’œuvre inquiétante dans un pays où l’immigration reste la plus faible des économies développées, le Japon peut encore compter sur quelques grandes marques dans le secteur de la tech, de la robotique et de l’automobile. Mais si ses élites sclérosées ne changent pas d’attitude, si les modifications dans l’éducation, bientôt dans la Constitution, continuent dans la voie d’un néoconservatisme cher à l’ancien Premier ministre Shinzo Abe – la fameuse idéologie du Torimodosu, laquelle consiste à revenir vers un Japon à autonomie pleine et entière, autrement dit avec toutes ses valeurs traditionnelles, et donc enfin débarrassé du paradigme étranger imposé en 1945 – le Japon risque à nouveau de se refermer sur lui-même. Un chiffre pour finir : à peine 23 % des parents souhaitent que leurs enfants fassent des stages d’étude à l’étranger ! Et pour cause. Leur retour dans le monde du travail japonais ne leur donne guère d’avantage, bien au contraire.

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Dépassé par l’Allemagne dans les classements internationaux, le Japon vit cette régression comme un affront, à la hauteur des années 1960 où il avait dépassé cette même Allemagne qui depuis le XIXe siècle avait toujours été pour lui le modèle à imiter et à dépasser. Il y a fort à parier que cette onde de choc aura des répercussions dans le futur tant la symbolique joue ici un rôle capital.

QOSHE - "Le Japon risque à nouveau de se refermer sur lui-même" - Christian Kessler
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"Le Japon risque à nouveau de se refermer sur lui-même"

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16.11.2023

En août 1945, atomisé, totalement anéanti, le Japon n’est plus une puissance reconnue. On lui prédit un avenir sombre où il ne pourra plus jouer dans la cour des Grands. Occupé par les Américains qui lui imposent sa Constitution pacifiste, il n’a plus voix au chapitre. Mais miracle, la guerre de Corée (1950-1953) où il joue le fournisseur et la base arrière logistique de l’armée américaine, va lui permettre de relancer son économie. Petit à petit, puis de plus en plus rapidement, le pays va connaître une série de boums économiques successifs sans précédent dans l’histoire qui vont lui permettre dès les années 1960 de devenir le « troisième grand » devant l’Allemagne. Point d’orgue de ce retour dans le concert des nations, les jeux Olympiques de 1964 qui permettent au Japon de montrer au monde entier sa saisissante transformation.

Au début des années 1980, il va réussir à s’aligner sur le niveau de vie des pays les plus développés. Une fois passé le cap des grandes crises écologiques illustrées par des entreprises particulièrement polluantes et une mégalopole de Tokyo hors de contrôle, il va se ressaisir pour devenir une sorte de modèle comme l’avait été précédemment les États-Unis : modèle de l’entreprise japonaise et de son système productif, modèle de sa société basée sur la forte intégration des normes sociales par tout un chacun, modèle d’un pays sûr… D’aucuns lui promettent alors de devenir la première puissance économique du monde au XXIe siècle, rien moins que cela !

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© Marianne


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