Le principal d’un collège de Takasago, dans la préfecture de Hyogo, au Japon, vient de se voir licencier par le comité d’éducation locale pour faute grave. À savoir tricherie dans une supérette dans laquelle il a en effet acheté un café. Or pour acheter ledit café, il faut au préalable payer un gobelet, soit pour un café normal (120 yens) soit pour un plus grand café (180 yens). La triche consiste en fait ici à acheter le gobelet pour 120 yens et puis à le remplir avec une contenance de 180 yens, ce qui est possible.

Le principal explique d’ailleurs que la première fois, il ne l’avait pas fait exprès, appuyant sur le mauvais bouton de 180 yens. Pris en flagrant délit, il a cependant avoué avoir procédé de la sorte 7 fois entre le mois de juin et le mois de décembre.

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La sanction a donc été immédiate. Le fait d’avoir triché, même pour une somme aussi modeste que quelques yens, alors qu’il est en responsabilité, met probablement sa carrière entre parenthèses, ce que la majorité des Japonais trouvent normal. Même si dans ce cas précis, la punition leur apparaît trop dure au regard de certains politiciens véreux du PLD (parti libéral démocrate) – la faction du Premier ministre Fumio Kishida au pouvoir – dont on sait depuis peu que certains ont triché sur le plan financier et pour d’autres sommes évidemment que les quelques yens du principal, sans qu’ils soient pour le moment inquiétés par la justice.

Mais au Japon, l’honnêteté reste un des piliers du vivre en commun et en fait un pays où les vols dans la vie quotidienne sont très nettement inférieurs aux autres pays ce qui rend la vie plus sûre, plus agréable, même si la délinquance financière n’a, elle, rien à envier au reste du monde.

Il faut cependant savoir que le monde enseignant subit de plein fouet le retour de la loyauté, du nationalisme, la fameuse idéologie du Torimodosu, chère à Shinzo Abe – l’ancien Premier ministre assassiné – qui consiste à revenir en arrière vers un enseignement réactionnaire, débarrassé du paradigme étranger imposé selon la droite en 1945.

C’est un lent grignotage qui s’abat sur ses fonctionnaires de l’éducation et une pression sans équivalent. Les enseignants, les chefs d’établissement sont différents des autres citoyens. Ils n’ont par exemple ni le droit de faire grève ni le droit d’avoir une quelconque activité politique dans leur vie publique et privée. Obligés d’utiliser les manuels scolaires approuvés par le ministère de l’Éducation qu’ils ne peuvent en outre choisir individuellement, ils subissent en tout point un renforcement du caractère contraignant de la profession, obsession de la droite pour qui les enseignants en général sont des individus peu fiables, potentiellement dangereux, des « gens de gauche » en somme, fondamentalement antijaponais (hannichi-teki).

Il s’agit aussi, dans la loi de 2006, de renouveler trois fois dans leur carrière les certificats d’enseignement et de direction, une manière pour le ministère de contrôler les fonctionnaires de l’éducation quelque peu réticents. On ne peut que faire le rapprochement avec les stages d’entraînement mis en place par la municipalité de Tokyo en 2006 pour les récalcitrants qui ne se seraient pas levés devant le drapeau japonais – certains y ont perdu leur carrière – ou de ne pas faire chanter l’hymne national à leurs élèves. Et pour bien enfoncer le clou, un site web du PLD datant de 2016 enjoignait tout un chacun de dénoncer les enseignants et la direction fautifs en révélant leurs noms, leurs établissements, comptant pour se faire sur l’étroite surveillance des parents que les médias ont affublés des termes de mamans éducations (kyôiku mama) et de parents monstres (monsutâ pearentsu).

Une autre attaque contre ces fonctionnaires de l’éducation relève du domaine du salaire qui dépend uniquement des autorités locales et qui aboutit à une différenciation construite non sur une augmentation mais uniquement sur une diminution. Diminution calculée non sur le travail lui-même et sur son efficacité, mais sur la docilité, l’application sans poser de questions, sans réfléchir, des directives du ministère.

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De plus, leurs tâches ne cessent de croître au point que le Japon est un des pays où enseignants et directeurs passent le plus de temps physiquement entre les murs de l’école ou du collège et sont même poursuivis dans leurs tâches jusqu’à la maison, alors que paradoxalement, le temps employé à enseigner véritablement est largement inférieur à la moyenne de l’OCDE. Bref, rendre ces fonctionnaires fatigués, inquiets, stressés, donc soumis. Pour C. Galan, Y. Cadot et A. Henninger, dans leur livre Loyauté et patriotisme, Éducation et néoconservatisme dans le Japon du XXIe siècle, cette oppression par les règles va jusqu’à évoquer le fonctionnement des institutions totalitaires tel que précisé par Goffman Erving et qui se caractériserait par « des individus placés dans un milieu quasi coupé du monde pour des périodes assez longues et dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées ».

Ce stress, cette pression constante, ont-ils joué un rôle dans le cas du principal mis en cause pour vol ? S’est-il ainsi vengé de semaines en semaines en contournant le système même si ce n’est que pour quelques yens ? S’agit-il d’une réponse à des salaires dans l’enseignement particulièrement bas et pouvant de surcroît être remis en question à la baisse ?

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Autant d’hypothèses qui peuvent sembler loin de cette petite tricherie en supérette ! Mais comment expliquer de prendre un tel risque si ce n’est sous l’effet d’un stress sans doute lié à sa condition de principal ! Ou bien, et c’est sans doute ce que la justice va vouloir montrer, s’agit-il simplement d’un vol attribuable à la seule personnalité de l’auteur qui ne se serait pas comporté en vrai Japonais, faute impardonnable ?

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Japon : un principal viré pour un café ou le retour en force du nationalisme après la mort de Shinzo Abe

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05.02.2024

Le principal d’un collège de Takasago, dans la préfecture de Hyogo, au Japon, vient de se voir licencier par le comité d’éducation locale pour faute grave. À savoir tricherie dans une supérette dans laquelle il a en effet acheté un café. Or pour acheter ledit café, il faut au préalable payer un gobelet, soit pour un café normal (120 yens) soit pour un plus grand café (180 yens). La triche consiste en fait ici à acheter le gobelet pour 120 yens et puis à le remplir avec une contenance de 180 yens, ce qui est possible.

Le principal explique d’ailleurs que la première fois, il ne l’avait pas fait exprès, appuyant sur le mauvais bouton de 180 yens. Pris en flagrant délit, il a cependant avoué avoir procédé de la sorte 7 fois entre le mois de juin et le mois de décembre.

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La sanction a donc été immédiate. Le fait d’avoir triché, même pour une somme aussi modeste que quelques yens, alors qu’il est en responsabilité, met probablement sa carrière entre parenthèses, ce que la majorité des Japonais trouvent normal. Même si dans ce cas précis, la punition leur apparaît trop dure au regard de certains politiciens véreux du PLD (parti libéral démocrate) – la faction du Premier ministre Fumio Kishida au pouvoir – dont on sait depuis peu que certains ont triché sur le plan financier et pour d’autres sommes évidemment que les quelques yens du principal, sans qu’ils soient pour le moment inquiétés par la justice.

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© Marianne


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