Si le caucus de l’Iowa n'est pas représentatif du reste du pays, il a démontré une performance étonnamment haute de Donald Trump auprès de classes sociales qui le rejetaient jusqu’alors. C’est un enseignement majeur à neuf mois de l’élection présidentielle.

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Aux États-Unis, le caucus de l’Iowa a monopolisé l’intégralité de la sphère médiatique lundi 15 janvier au soir, plus encore que la conférence de presse d’Emmanuel Macron chez nous le lendemain. Cette focalisation extrême peut rationnellement surprendre : il ne s’agit que de la première étape, sur cinquante, de la primaire d’un seul des deux partis. De plus, l’Iowa est un État peu peuplé, donc à l’influence fédérale moindre.

Néanmoins, l’Amérique accorde à son appartenance nationale une expression liturgique qui tend à nous échapper en France : depuis le XIXe siècle, c’est en Iowa que se tient le premier scrutin en amont de la présidentielle et, jusqu’à cette année, les Démocrates votaient en même temps que les Républicains. Il s’agit ainsi d’un moment particulièrement symbolique, marquant le début de l’année électorale.

En outre, les Républicains n’appliquent pas en Iowa le principe du « winner-take-all » (selon lequel le candidat arrivé en tête devrait bénéficier du vote de l’intégralité des délégués alloués à l’État en question) et lui préfèrent une répartition proportionnelle des délégués en fonction du score réalisé par les différents concurrents. Ainsi, en plus de nous dispenser quelques enseignements sur la nouvelle distribution sociologique de l’électorat de droite, le caucus de lundi a permis à Trump de prendre une avance importante parmi les 2 500 délégués qui devront s’exprimer en conclusion des primaires. En effet, jamais aucun candidat n’avait récolté ne serait-ce que la moitié des suffrages en Iowa ; Trump en a obtenu 51 %.

« L’hégémonie exercée par Trump dans l’électorat évangélique d’Iowa est impressionnante. »

D’un point de vue sociologique, l’Iowa est un cas particulier. Dans cet Etat majoritairement rural, les diplômés sont peu nombreux. Se superpose en outre à cette population rurale une proportion surabondante d’évangéliques, qui constituent près du tiers des habitants. Il était évident que la conjugaison de ces deux électorats profiterait à Trump : en 2020, il a principalement bénéficié du vote des évangéliques de toute position sociale et de celui des « blue-collar workers », c’est-à-dire les travailleurs en col-bleu, concentrés dans les États ruraux, victimes de la désindustrialisation et de la baisse des exportations américaines dans le commerce international au profit de la Chine. C’est d’ailleurs à cet égard qu’il faut lire la focalisation du programme diplomatique de l’ancien président sur la question chinoise plutôt qu’ukrainienne, bien que les Démocrates cherchent à y voir l’expression d’une poutinophilie.

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Quoi qu’il en soit, l’hégémonie exercée par Trump dans l’électorat évangélique d’Iowa est impressionnante. L’État est divisé en 99 comtés : si l’on superpose, comme l’ont fait toutes les chaînes d’information américaines, une carte qui met en exergue les comtés les plus évangéliques avec une carte se focalisant sur les comtés les plus trumpistes, on obtient une corrélation parfaite. Et si l’on ajoute à cette équation des données exclusivement économiques, toutes ces correspondances s’affermissent encore ! En somme, l’ancien président a complètement absorbé l’électorat populaire du Parti républicain, quand bien même Ron DeSantis, son opposant et actuel gouverneur de Floride, a mené une campagne intense ces dernières semaines dans les comtés ruraux. Dans les médias, il mettait également plus en avant que son programme de relance économique, alors qu’il avait fait de la rhétorique antiwoke sa signature.

Une chose est certaine, ces données marquent un tournant structurel, bien au-delà du seul État d’Iowa. Comme le soulignait Politico avant la publication des scores lundi, « la carte des résultats en Iowa nous enseignera beaucoup » sur le Parti républicain moderne. Pour Ron DeSantis, il est dorénavant clair que sa campagne est inopérante : il a certes devancé de deux points l’ancienne gouverneur de Caroline du Sud, Nikki Haley, mais il s’adresse au même électorat que Trump. Or, celui-ci semble désormais impossible à battre dans les comtés ruraux ou religieux.

« Il a significativement progressé chez les plus diplômés et pro-establishment des Républicains. »

Quant à Nikki Haley, sa situation est intéressante : se focalisant sur les classes les plus diplômées, son ambition était limitée en Iowa. La semaine dernière, elle avait même suscité la polémique en déclarant qu’elle espérait que le New Hampshire (dont la sociologie est moins populaire) allait « corriger » le vote de l’Iowa où elle s’attendait à une défaite. Elle a fini troisième, mais a maintenu une distance resserrée avec Ron DeSantis, malgré un électorat qui apprécie peu sa vision néoconservatrice des relations internationales et son refus de promettre une interdiction fédérale de l’avortement.

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En Iowa, Nikki Haley a remporté le seul comté où Trump n’est pas arrivé en tête. Sa victoire est néanmoins courte, ne s’étant déterminée qu’à une voix près ! Ce comté, où l’ancien président est arrivé deuxième, accueille pourtant l’université d’Iowa et regroupe ainsi une population plus diplômée et aisée que le reste de l’État. C’est d’ailleurs le lieu le plus démocrate d’Iowa, à en croire les cartes électorales de la présidentielle de novembre 2020.

En somme, si Donald Trump a intégralement absorbé les strates religieuses et populaires de l’électorat républicain, il a significativement progressé chez les plus diplômés et pro-establishment des Républicains. Il est indubitable que cette donnée résonnera durant le reste de la primaire, au-delà des spécificités propres à l’Iowa. Elle devrait même inquiéter les Démocrates pour l’élection générale de novembre, puisque Trump semble avoir aboli certaines frontières sociologiques sur lesquelles misaient les proches de Joe Biden. En réalité, si Nikki Haley s’adresse à l’establishment républicain classique, confiné dans la capitale fédérale, ce premier épisode des primaires démontre une dichotomie entre l’establishment conservateur de Washington D. C. et celui du Parti républicain, désormais majoritairement trumpiste. Reste à voir si cet enseignement sera confirmé par les scrutins à venir, à commencer par celui au New Hampshire la semaine prochaine.

QOSHE - États-Unis : "Les primaires républicaines signent la trumpisation des plus diplômés" - Eliott Mamane
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États-Unis : "Les primaires républicaines signent la trumpisation des plus diplômés"

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19.01.2024

Si le caucus de l’Iowa n'est pas représentatif du reste du pays, il a démontré une performance étonnamment haute de Donald Trump auprès de classes sociales qui le rejetaient jusqu’alors. C’est un enseignement majeur à neuf mois de l’élection présidentielle.

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Aux États-Unis, le caucus de l’Iowa a monopolisé l’intégralité de la sphère médiatique lundi 15 janvier au soir, plus encore que la conférence de presse d’Emmanuel Macron chez nous le lendemain. Cette focalisation extrême peut rationnellement surprendre : il ne s’agit que de la première étape, sur cinquante, de la primaire d’un seul des deux partis. De plus, l’Iowa est un État peu peuplé, donc à l’influence fédérale moindre.

Néanmoins, l’Amérique accorde à son appartenance nationale une expression liturgique qui tend à nous échapper en France : depuis le XIXe siècle, c’est en Iowa que se tient le premier scrutin en amont de la présidentielle et, jusqu’à cette année, les Démocrates votaient en même temps que les Républicains. Il s’agit ainsi d’un moment particulièrement symbolique, marquant le début de l’année électorale.

En outre, les Républicains n’appliquent pas en Iowa le principe du « winner-take-all » (selon lequel le candidat arrivé en tête devrait bénéficier du vote de l’intégralité des délégués alloués à l’État en question) et lui préfèrent une répartition proportionnelle des délégués en fonction du score réalisé par les différents concurrents. Ainsi, en plus de nous dispenser quelques enseignements sur la nouvelle distribution sociologique de l’électorat de droite, le caucus de........

© Marianne


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