Le Parlement, réuni en Congrès ce lundi 4 mars, a modifié l’article 34 de la Constitution pour y inclure une « liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Les oppositions timorées de la droite sont moins idéologiques que liées à l’esprit de l’époque.

Pour l’essentiel, les partis de droite, Rassemblement national et Républicains inclus, ont voté en faveur de la révision constitutionnelle entendant inscrire dans la loi fondamentale le droit à l’avortement. Si cette réalité amoindrit la portée rhétorique des élus à l’origine de cette initiative — elle signe le large consensus pour ce droit —, elle témoigne également d’une vision téléologique de l’Histoire amplement entretenue dans l’espace politico-médiatique.

D’un point de vue purement programmatique, il est heureux de constater qu’aucun parti ne fait de l’abrogation du recours à l’IVG un quelconque objectif. Les Français sont près de neuf sur dix à louer la loi Veil et leurs responsables politiques semblent partager cette unanimité. Le contexte international a néanmoins justifié la volonté du camp présidentiel de réformer la Constitution afin d’empêcher un quelconque retour en arrière sur le sujet.

S’il est regrettable de remarquer que cette volonté a été motivée par la situation aux États-Unis, où l’avortement n’a été interdit que dans de rares parties du pays, plutôt que par la majorité d’États musulmans où l’IVG est prohibée y compris en cas de viol ou de danger pour la mère, il subsiste que le débat s’est avéré peu clivant en France.

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En effet, même Les Républicains, dont le groupe sénatorial avait vivement critiqué le projet de loi constitutionnel, ont voté en faveur de ce dernier. 122 des 194 parlementaires du parti ont ainsi participé au plébiscite, comme plus de la moitié des députés RN. Il est pourtant peu probable que les convictions de ces personnalités aient changé aussi radicalement entre aujourd’hui et le mois dernier où Gérard Larcher regrettait que la Constitution devienne « un catalogue de droits sociaux et sociétaux ». Qu’a-t-il donc pu se produire ? Dans une réunion de groupe fin janvier, alors rapportée par Les Échos, le président du parti, Éric Ciotti, avait mis ses troupes en garde : « Évitons à la sortie du débat de nous retrouver dans le camp des ringards anti-IVG ».

Si condamner l’avortement serait aujourd’hui impossible socialement et renvoyé au champ de la désuétude, les réserves manifestées par Les Républicains étaient plus nuancées. Elles ne concernaient en rien le droit commun qui a légalisé l’IVG le siècle dernier, mais interrogeaient l’expression de « liberté garantie » qui, au niveau constitutionnel, pourrait rendre l’État comptable de l’exécution de l’avortement et ainsi empêcher les praticiens d’y opposer leur clause de conscience à titre individuel. En outre, admettons que cette inscription de l’IVG dans la Constitution affirme moins le principe d’État de droit que « des tas de droits », selon la formule du constitutionnaliste Guy Carcassonne.

Pourtant, ces considérations n’ont pas semblé les bienvenues. Et les responsabilités sont partagées : d’une part, la moindre opposition au projet de constitutionnalisation a été volontiers amalgamée avec un discours anti-IVG et, d’autre part, une forme d’autocensure s’est exercée à droite.

Selon des propos régulièrement tenus par divers élus LR, notamment rappelés par Libération, les intéressés se sont confrontés à un clivage générationnel au sein de leur famille, les filles ou épouses de ces parlementaires leur ayant promis le pire s’ils ne soutenaient pas la mesure.

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Ce n’est pas la première fois que les positions de la droite semblent trop en décalage avec l’univers politico-médiatique pour être en mesure de librement s’exprimer. Les renvois constants par les partis de gauche de la moindre posture conservatrice au camp de la réaction, voire à celui de l’extrême droite, sont le signe de la vision téléologique de l’Histoire entretenue par les progressistes. L’idée : le Progrès est naturel et l’Histoire a pour fin d’aller dans son sens. Ainsi, le moindre désaccord avec les positions progressistes serait moins le fruit de clivages idéologiques qu’une infraction morale au cours de l’Histoire.

C’est précisément cette peur de renvoyer une image ringarde de la politique traditionnelle, couplée à la rhétorique aussi intimidante qu’efficace des partis progressistes, qui explique le ralliement soudain de la droite sénatoriale et des Républicains de manière générale à la volonté d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Dans son propos liminaire avant le vote, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait d’ailleurs signifié à la représentation nationale : « Aujourd'hui, nous pouvons changer le cours de l’Histoire. »

Les observateurs les plus sceptiques verront peut-être un paradoxe dans la volonté de constitutionnaliser un droit que le seul sens de l’Histoire garantirait pourtant. C’est un autre point prégnant des philosophies politiques d’inspiration progressiste, tout droit venu des États-Unis : l’excès de zèle quant à la dénonciation d’un potentiel retour du bâton à la suite de la conquête d’un droit, un « backlash » que seule une législation toujours plus contraignante saurait prévenir. Une décision du Conseil constitutionnel en 1984 consacrait d’ailleurs un « effet-cliquet », selon lequel le législateur peut renforcer une loi déjà adoptée, mais n’est pas en mesure de revenir sur des droits « s'agissant de situations existantes intéressant une liberté publique ».

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En somme, le faste avec lequel la réforme constitutionnelle a été accueillie relève d’une stratégie plus large. Celle-ci consiste à exagérer l’influence des forces réactionnaires dans la société, le progressisme n’étant plus en mesure que de mettre en scène des victoires politiques sur des droits acquis depuis longtemps.

QOSHE - IVG : "Le progressisme ne fait plus que mettre en scène des victoires politiques acquises depuis longtemps" - Eliott Mamane
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IVG : "Le progressisme ne fait plus que mettre en scène des victoires politiques acquises depuis longtemps"

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05.03.2024

Le Parlement, réuni en Congrès ce lundi 4 mars, a modifié l’article 34 de la Constitution pour y inclure une « liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Les oppositions timorées de la droite sont moins idéologiques que liées à l’esprit de l’époque.

Pour l’essentiel, les partis de droite, Rassemblement national et Républicains inclus, ont voté en faveur de la révision constitutionnelle entendant inscrire dans la loi fondamentale le droit à l’avortement. Si cette réalité amoindrit la portée rhétorique des élus à l’origine de cette initiative — elle signe le large consensus pour ce droit —, elle témoigne également d’une vision téléologique de l’Histoire amplement entretenue dans l’espace politico-médiatique.

D’un point de vue purement programmatique, il est heureux de constater qu’aucun parti ne fait de l’abrogation du recours à l’IVG un quelconque objectif. Les Français sont près de neuf sur dix à louer la loi Veil et leurs responsables politiques semblent partager cette unanimité. Le contexte international a néanmoins justifié la volonté du camp présidentiel de réformer la Constitution afin d’empêcher un quelconque retour en arrière sur le sujet.

S’il est regrettable de remarquer que cette volonté a été motivée par la situation aux États-Unis, où l’avortement n’a été interdit que dans de rares parties du pays, plutôt que par la majorité d’États musulmans où l’IVG est prohibée y compris en cas de viol ou de danger pour la mère, il subsiste que le débat s’est avéré peu clivant en France.

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© Marianne


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