C’est sous le quinquennat de François Hollande que débutent l’approche purement sécuritaire du continent africain et la multiplication de comportements déplacés, le tout ne faisant que s’amplifier depuis les présidences Macron. Résultat, la France est chassée de son ancien « pré carré », ne restent que le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Pour combien de temps encore ?

Les politiques de François Hollande et d’Emmanuel s’inscrivent dans une continuité d’échecs : le tout-sécuritaire au détriment du politique. Il existe un biais, un tropisme, purement militaire. En effet, la politique de François Hollande vis-à-vis de l’Afrique dont Jean-Yves Le Drian fut le grand metteur en scène, se sera étroitement cantonnée à la seule sphère sécuritaire sans vision politique concomitante. Certes, François Hollande a eu à gérer les conséquences terribles de l’affaire libyenne et du déferlement d’armes dans la région. Était-ce une raison pour oublier qu’une crise militaire ne peut avoir qu’une résolution politique ? C’est le malheur de nos amis africains qui lui a permis d’exister, au Mali comme en République centrafricaine.

La stabilisation, la construction d’un processus politique réaliste et inclusif sont relégués au second plan. Au Mali, la France est intervenue tardivement, de manière totalement isolée et sans rien à proposer pour l’après, sans parvenir à mettre autour de la table les principaux États concernés. Comment s’étonner, dans ces conditions, des accusations faciles de néocolonialisme ? Le président français ira jusqu’à déclarer au sommet Afrique-France de Bamako de janvier 2017 : « La France ne recherche pas d’influence en Afrique » faisant probablement pleurer de rire ou de joie nos compétiteurs chinois, russes et turcs.

« Au-delà de l’inexpérience, de l’absence de vision et de cohérence, il y a des mots, des attitudes, des comportements qui peuvent blesser et ruiner la confiance de nos partenaires. »

La politique d’Emmanuel Macron, toujours très tributaire de Jean-Yves Le Drian, se situera dans la continuité. De la fin de Barkhane à l’expulsion humiliante du Niger, le politique aura été totalement défaillant. Au Niger, toutes les erreurs ont été commises et d’autant plus marquées qu’à chaque discours martial aura suivi une reculade de la France.

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Au-delà de l’inexpérience, de l’absence de vision et de cohérence, il y a des mots, des attitudes, des comportements qui peuvent blesser et ruiner la confiance de nos partenaires. À ce triste jeu des mauvaises blagues, François Hollande et Emmanuel Macron n’ont, hélas, pas de rivaux… Des boutades de François Hollande telles que « Manuel Valls et rentré sain et sauf d’Algérie » aux propos invraisemblables d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou le 28 novembre 2017.

Venu mettre officiellement un énième terme à la Françafrique, le président français aura, par son attitude désinvolte, contredit tout l’esprit (excellent) de son discours. S’adressant au Président burkinabé : « Du coup, il s’en va… Reste là ! plaisante le président français. Du coup, il est parti réparer la climatisation ». Quelques instants d’autosatisfaction et de rires, la ruine de notre crédibilité politique à long terme. Emmanuel Macron se fera aussi reprendre de volée en République démocratique du Congo par le président Félix Tshisekedi, le 4 mars 2023, sur le « compromis électoral à l’africaine » dont il tentera, sans succès, d’exonérer Jean-Yves Le Drian (encore lui !).

« Alors que le Sénégal traverse une crise politique, un scénario sahélien est-il envisageable dans ce pays avec des conséquences tout autres ? »

Les dirigeants français, non conscients que les peuples africains souhaitaient ardemment passer d’une indépendance formelle à une indépendance réelle, se sont comportés en petits marquis venant rendre visite à leur pré carré. Ils sont directement responsables de notre expulsion et miser sur l’échec des coups d’États semble déjà une stratégie défaillante. Les nouveaux pouvoirs tiennent en place et jouissent d’une certaine popularité. Les Américains, eux, n’ont pas coupé les ponts et récolteront les fruits le moment venu. La France n’a désormais plus aucun atout dans son jeu.

Alors que le Sénégal traverse une crise politique, un scénario sahélien est-il envisageable dans ce pays avec des conséquences tout autres ? Le Sénégal est au cœur de la diplomatie française en Afrique. La présence française au Sénégal n’a rien de commun avec celle de trois pays de la zone sahélienne. Environ 25 000 Français y résident, de loin la plus importante communauté française d’Afrique de l’Ouest. L’ambassade de France à Dakar est la plus importante de la région et le Sénégal le pays phare de la francophonie. Son caractère incontestablement démocratique, sa lignée de présidents prestigieux au savoir-faire diplomatique renommé, son État solide, sa douceur légendaire en font un pays par bien des aspects exceptionnels dans la région.

« Ne nous y trompons pas, l’état d’esprit de la population sénégalaise vis-à-vis de la France est très comparable à celui qui prévaut dans les trois pays de la zone sahélienne. »

D’un point de vue économique, la France est le premier partenaire commercial du Sénégal, son premier fournisseur. La France est également le premier investisseur au Sénégal avec 43 % du stock d’investissements directs à l'étranger (IDE) et 250 entreprises françaises y emploient plus de 30 000 personnes. Ces chiffres laissent à penser que si le repli français en Afrique est patent, il ne passe pas par le Sénégal. Et pourtant… Ne nous y trompons pas, l’état d’esprit de la population sénégalaise vis-à-vis de la France est très comparable à celui qui prévaut dans les trois pays de la zone sahélienne.

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L’idée est largement répandue dans la population sénégalaise que ce partenariat bénéficie davantage à la France qu’au Sénégal, que la France pille des richesses plutôt que de transférer de la valeur ajoutée. Dans le tourbillon incessant des coups de théâtre qui se sont succédé depuis quelques semaines dans ce pays, il est permis, aujourd’hui, de voir un peu plus clair.

Il existe une forte pression populaire pour que l’élection présidentielle se tienne avant le 2 avril, date de la fin officielle du mandat de Macky Sall. Cette solution permet d’éviter les troubles, les débordements, les affrontements. Néanmoins, elle présente l’inconvénient de ne pas voir concourir deux poids lourds à la magistrature suprême, Karim Wade et Ousmane Sonko. Le nouveau président sera-t-il vraiment légitime ? Le Conseil constitutionnel qui vient de rendre une décision marquante en s’opposant au report de l’élection présidentiel (et à la prolongation du mandat de Macky Sall) est affaibli par les doutes qui planent sur l’intégrité de deux de ses membres.

Le rôle du Premier ministre Amadou Ba, fort discret dans l’expression, semble fondamental et il semble avoir fait le nécessaire pour que le Conseil constitutionnel rende sa décision surprise. Il a très probablement conscience que pour lui, c’est maintenant ou jamais. Il a profité du soutien du président Macky Sall (y compris contre ses troupes historiques) avant de jouer sa partition personnelle. Pour lui, une élection sans Wade et Sonko est absolument nécessaire pour avoir une chance. Il paraît plus à l’aise pour exercer le pouvoir que pour le conquérir.

Une chose est d’ores et déjà acquise : l’élection ne se tiendra pas le 25 février. À compter du 2 avril, Macky Sall restera-t-il au pouvoir ou transmettra-t-il les rênes du pouvoir au Président de l’Assemblée nationale ? Ses deux prédécesseurs, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, qui jouissent d’une autorité et d’un prestige certains, ont fait savoir dans un courrier en date du 11 février qu’ils souhaitaient l’apaisement et qu’ils avaient confiance en Macky Sall pour dénouer la situation. Le Président Macky Sall a répondu à cette attente lors une allocution télévisée, le 22 février. Il a confirmé que son mandat s’achevait le 2 avril et n’a pas exclu la libération anticipée d’Ousmane Sonko dans un souci d’apaisement et de réconciliation. Les États-Unis seraient bien inspirés de relâcher la pression sur Macky Sall et la resserrer sur un dirigeant coupable d’un possible génocide en toute impunité.

Au Sénégal, le « en même temps » a été utilisé d’une manière fort peu concluante. Tout en entretenant une relation privilégiée avec le président Macky Sall, Emmanuel Macron enverra une délégation de la « cellule Afrique » de l’Élysée donner des signaux à son opposant, Ousmane Sonko, en mars 2023, d’une manière qu’il espérait confidentielle. Une naïveté ou un amateurisme confondants. Le bilan est là encore calamiteux : Macky Sall sera froissé et la France n’a rien à espérer en contrepartie de la part d’Ousmane Sonko qui subit d’autres influences bien plus puissantes. À moins d’être un Machiavel et de le manier avec une infinie précision, ce qui est loin d’être le cas, le « en même temps » s’avère calamiteux en politique étrangère.

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La France, pour l’heure, a fait en quelque sorte le service minimum. Le ministère des Affaires étrangères s'est contenté de communiqués sobres rappelant les principes fondamentaux. Cette position prudente mais qui ne peut tenir lieu de politique ne va pouvoir se maintenir davantage. Avec un impératif légitime de ne pas voir un homme hostile à ses intérêts s’installer au palais présidentiel. À défaut, il en serait réellement terminé de la politique africaine de la France avec des conséquences préjudiciables très importantes pour nos compatriotes établis dans cette zone.

La diplomatie française, qui semble obnubilée par la guerre russo-ukrainienne, serait bien inspirée de consacrer davantage de temps au Sénégal est de contribuer à un scénario politique gagnant-gagnant. La France est sur la corde raide et le moindre faux pas provoquerait un saut fatal dans le vide. Le Sénégal a payé « le prix du sang » par deux fois pour contribuer à la libération de la France. A-t-on oublié le rôle capital des tirailleurs sénégalais lors du débarquement en Provence ? Ce lien forgé par l’histoire mérite une attention toute particulière.

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Erwan Davoux : "La diplomatie française serait bien inspirée de consacrer davantage de temps au Sénégal"

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23.02.2024

C’est sous le quinquennat de François Hollande que débutent l’approche purement sécuritaire du continent africain et la multiplication de comportements déplacés, le tout ne faisant que s’amplifier depuis les présidences Macron. Résultat, la France est chassée de son ancien « pré carré », ne restent que le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Pour combien de temps encore ?

Les politiques de François Hollande et d’Emmanuel s’inscrivent dans une continuité d’échecs : le tout-sécuritaire au détriment du politique. Il existe un biais, un tropisme, purement militaire. En effet, la politique de François Hollande vis-à-vis de l’Afrique dont Jean-Yves Le Drian fut le grand metteur en scène, se sera étroitement cantonnée à la seule sphère sécuritaire sans vision politique concomitante. Certes, François Hollande a eu à gérer les conséquences terribles de l’affaire libyenne et du déferlement d’armes dans la région. Était-ce une raison pour oublier qu’une crise militaire ne peut avoir qu’une résolution politique ? C’est le malheur de nos amis africains qui lui a permis d’exister, au Mali comme en République centrafricaine.

La stabilisation, la construction d’un processus politique réaliste et inclusif sont relégués au second plan. Au Mali, la France est intervenue tardivement, de manière totalement isolée et sans rien à proposer pour l’après, sans parvenir à mettre autour de la table les principaux États concernés. Comment s’étonner, dans ces conditions, des accusations faciles de néocolonialisme ? Le président français ira jusqu’à déclarer au sommet Afrique-France de Bamako de janvier 2017 : « La France ne recherche pas d’influence en Afrique » faisant probablement pleurer de rire ou de joie nos compétiteurs chinois, russes et turcs.

« Au-delà de l’inexpérience, de l’absence de vision et de cohérence, il y a des mots, des attitudes, des comportements qui peuvent blesser et ruiner la confiance de nos partenaires. »

La politique d’Emmanuel Macron, toujours très tributaire de Jean-Yves Le Drian, se situera dans la continuité. De la fin de Barkhane à l’expulsion humiliante du Niger, le politique aura été totalement défaillant. Au Niger, toutes les erreurs ont été commises et d’autant plus marquées qu’à chaque discours martial aura suivi une reculade de la France.

A LIRE AUSSI : La France doit-elle rester au Sahel ?

Au-delà de l’inexpérience, de l’absence de vision et de cohérence, il y a des mots, des attitudes, des comportements qui peuvent blesser et ruiner la confiance de nos partenaires. À ce triste jeu des mauvaises blagues, François Hollande et Emmanuel Macron........

© Marianne


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