Après la projection de son second film, La Promesse verte, en salles ce 27 mars, Édouard Bergeon nous a accordé une heure, à bâtons rompus. Cet opus est à inscrire dans la nouvelle tendance cinématographique que sont les drames écologiques : il met en scène Martin, étudiant idéaliste, tenaillé par le désir d'enquêter sur la déforestation liée à l'huile de palme dans une Indonésie… vocation qui lui joue un tour judiciaire pour le faire taire et le condamner à mort. Sa mère, Carole, une Alexandra Lamy en excellente quinqua Madame Tout le monde, remue ciel et terre pour le faire libérer. On navigue dans les arcanes très réalistes des mondes politique, diplomatique, économique, et au milieu d'intérêts financiers omniprésents, sur fond d'enjeux écologiques.

Un film qui prouve qu'on peut faire du cinéma populaire exigeant, sans tomber dans les grosses ficelles lénifiantes du cinéma militant et moralisateur. Édouard Bergeon nous parle, en toute franchise et sur un ton libre, du film, mais aussi de sa carrière et d'Au nom de la Terre, son premier film inspiré du suicide de son père, agriculteur.

Marianne : Votre deuxième film, La Promesse verte, avec Alexandra Lamy et Félix Moati, sort au cinéma ce 27 mars. Une intrigue en Indonésie autour du poids de l’huile de palme. En quoi s’inscrit-il dans vos travaux précédents ? Reste-t-il aussi personnel qu’Au nom de la terre, où vous racontiez le suicide de votre père agriculteur ?

Édouard Bergeon :La Promesse verte reste un film personnel. Quand j'ai fait lire le scénario à Félix Moati et Alexandra Lamy, ils m'ont dit « Mais en fait, ce deuxième film est quasiment aussi personnel qu’Au nom de la terre, parce que tu y racontes ta mère et toi ». Ma mère était une femme combattante, et moi, en gros, j’ai été reporter et documentariste et j'ai fait le tour du monde.

Il y a en effet un peu de nous deux dans le combat des personnages incarnés par Alexandra Lamy et Félix Moati. Même si c'est moins criant que dans Au nom de la terre. Après, même si j'ai un peu serré les dents en croisant les FARC en Colombie, je n’ai pas fini en prison comme le personnage de mon film (rires) !

Pour revenir à ma mère, quand mon père tombe en dépression pendant deux ans, après le deuxième incendie dans la ferme, elle a dû tenir celle-ci. Et quand mon père est décédé, elle a dû continuer à payer un plan de redressement judiciaire et faire tourner l’exploitation jusqu'à prendre sa retraite il y a seulement quatre ans. Donc c'est une combattante. Mais elle ne ressemble au personnage d’Alexandra Lamy que de façon allégorique.

C’est aussi un hommage aux femmes, aux femmes militantes, lanceuses d'alerte. Parce que les lanceurs d'alerte, aujourd'hui, sont souvent des femmes, qui défendent leur peuple, leur forêt, la planète… Comme en Ouganda, avec Vanessa Nakate, ou bien celle qui m'a inspiré en Indonésie : Mina Setra. Il y a aussi Melati Wijsen, contre la consommation de plastique à Bali. Bref, je voulais réaliser un film populaire et percuter les deux générations, les mères de famille et les jeunes.

Le but était de superposer la trame écolo à la trame agricole…

Je suis même parti d’une histoire agricole. Les manifs d’agriculteurs dans le film contre l’huile de palme importée en France sont d’abord tout à fait d’actualité, puisqu’elles disent, dans le film comme dans la réalité : « N’importons pas du bout du monde ce que nous savons faire mieux chez nous ! ». Et ce sont elles, en 2018 (pendant que je tournais Au Nom de la Terre), devant la raffinerie Total de La Mède, qui m’ont donné l’idée de ce film, et que j’ai reproduites à l’écran.

Nos agriculteurs (comme mon père) ont été guidés il y a 30 ans vers le colza vert, pour faire du biodiesel, encouragés par l'Europe et l'État. Or le marché a été fracassé par l'huile venant d'Indonésie et de Malaisie, et ils sont devenus les dindons de la farce.

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Donc j'ai parlé de la terre qui nous nourrit chez nous, dans mon premier film, et là je parle de la Terre sur laquelle nous vivons, avec la déforestation en toile de fond. Dans l'écriture, il n’a pas été évident de conjuguer la petite histoire française, la maman à qui on doit s’identifier (Alexandra Lamy), et la « grande », à l'autre bout monde, écologique, une histoire commune à tous.

Pourquoi, précisément, le sujet de la déforestation en Indonésie ?

J’ai lu beaucoup de choses sur la forêt et la déforestation, au Brésil, en Argentine… Le film aurait pu se tourner chez eux, et le thème aurait été le soja (pour nourrir des poulets industriels dégueulasses qui arrivent chez nous à bas coût) et non l’huile de palme, qui sert aujourd’hui à faire de l'énergie verte, également « produit miracle » de l’agroalimentaire.

L’histoire du film n’est pas inspirée d’une histoire vraie, mais tout ce qui nourrit les personnages est vrai. Toute la géopolitique est réelle, je m’inspire de Total, j'ai été conseillé par des gens du Quai d'Orsay, j’ai lu sur le sujet, rencontré des ONG de défense contre la peine de mort. J'ai effectué un travail d'enquête de journaliste.

Où avez-vous tourné ?

En Thaïlande, à Bangkok, la région de Phuket et la région de Krabi, où il y a des palmeraies, mais la première économie de ce pays, c'est le tourisme, donc le sujet de l'huile ne les a pas dérangés.

Et l'Indonésie ?

On n'a pas cherché à y aller, parce qu'il n'y a pas d'industrie du cinéma. Les Américains, quand ils veulent filmer un palmier, ils viennent en Thaïlande ! Il y a des techniciens, des équipes. En Indonésie, il n'y a pas tout cela. En Thaïlande on a pu tourner à peu près ce qu'on voulait, dans des prisons, des palmeraies, etc.

On voulait pouvoir mieux filmer des images d’extérieur de prison, elles nous ont finalement été refusées à cause de l’élection qui arrivait, une certaine tension politique s'est installée dans le pays et les choses se sont un peu grippées. Mais avec de la déco, de la débrouille, du numérique, ça l'a fait. Cela a demandé trois fois douze jours de repérages pour les décors, puis un mois de préparation et cinq semaines de tournages sur place. J’ai été trois mois et demi en Thaïlande, en tout.

Vous attendez-vous à des bisbilles avec l’Indonésie, qui en prend pour son grade dans le film ?

Non, pourquoi ? L'Indonésie n'est pas la Russie ! Factuellement, c'est le pays qui a le plus déforesté, et c'est le premier producteur d'huile de palme ! Nous aurions pu raconter la même histoire en Malaisie. J’ai voulu être le plus juste possible, sans chercher à fustiger personne. Mais on fait du cinéma ! On raconte une histoire, il fallait que Martin (le personnage joué par Félix Moati) soit au bout du monde, en difficulté dans un pays où on fait de l'huile et où on pratique la peine de mort.

Après on en a parlé avec des personnes du Quai d'Orsay, ils nous ont dit que l'ambassadeur français à Djakarta allait peut-être se faire taper sur les doigts. Mais il expliquera que « ça s'appelle la liberté d'expression » ! On a quand même beaucoup de chance en France (et dans d'autres pays), de pouvoir faire un cinéma libre et de ne pas connaître la censure, il faut le rappeler.

Sur la diplomatie justement, vous avez tourné au Quai d’Orsay : comment ça s'est passé ?

Ça a été pas mal de demande d'autorisation mais je voulais absolument tourner au Quai d'Orsay, qui est pour moi le cœur du réacteur de la diplomatie. C'est le plus beau palais de Paris, avec cet escalier d'honneur, les enfilades de salons, leur grande horloge, le bureau du ministre…

C’est un décor qui se loue, des personnels du mobilier national pour faire bouger le bureau Louis XVI. Et puis il y a une sécurité ! Le Quai continue à vivre pendant qu’on tourne. Et l’image de la diplomatie dans le film est plutôt cool pour la France, non ?

Votre film montre que l’huile de palme sert aussi à faire du carburant vert ! Justement on pourrait vous objecter que l’huile de palme pose des problèmes écologiques, mais qu’on ne peut s’en passer pour décarboner les transports…

Doit-on vraiment passer par elle ? Je pose la question. Il y a aussi l'électricité « verte », l’hydrogène et d’autres solutions, comme apprendre à être plus raisonnable, consommer moins, etc. Je ne dis pas qu’il faut faire sans le carburant vert produit avec l'huile de palme, car ça n'est pas possible en fait, l’Indonésie et d'autres pays en ont besoin, et cela fait entrer des devises et tourner lesdits pays.

Ma critique consiste à dire que les compagnies pétrolières, les compagnies de transport maritime, les raffineries, les intermédiaires, etc., explorent encore un nouveau terrain de jeu (certes moins carboné) qui leur fait gagner autant d'argent, mais avec d'autres conséquences pour la planète. Bref, je ne tranche pas, mais je pose les termes du débat.

L’huile de palme est au cœur du film, avec cette scène symbolique où Alexandra Lamy jette tout ce qu’elle trouve dans son placard qui en contient…

C'est une huile magique, elle n’est pas chère, elle se tient bien, permet de conserver les aliments, surtout les plats préparés. Elle est aussi dans la cosmétologie. Trois quarts servent aujourd’hui aux biocarburants (dont le kérosène). Le fond de l'affaire, comme d’habitude, ce sont les consommateurs. Quand tu cuisines, tu ne mets pas d'huile de palme. Moi J’ai grandi dans une ferme, j’ai appris à cuisiner…

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Vous voyez bien que certains n’ont ni votre temps, ni votre argent pour cuisiner, et que tout le monde ne peut pas avoir une consommation alimentaire responsable…

Les gens disent « J'ai pas le temps » ! OK, moi je travaille 60-70 heures par semaine, je prends le temps de le faire quand même. Alors OK, je n’ai pas d'enfants, mais voilà, certains ont le temps pour 3 heures de série ou de scroling d'écran par jour, mais n’ont pas le temps de cuisiner. Enfin, bref, ça passe par l’éducation des enfants, encore et toujours…

Parlons de vos acteurs : Alexandra Lamy a un côté « Madame Tout Le Monde » dans le film assez réussi dans le film. C'était pensé comme ça ?

Elle a accepté de ne pas être maquillée, d'être « brut », naturelle quoi. Comme dans la vie, elle vend sa voiture pour avoir de l’argent pour aider son fils. Je voulais que le spectateur soit à hauteur du regard de cette femme. Fasse l’enquête avec elle, sans en savoir plus qu’elle. Et quand elle dit qu’elle ne sait pas, elle ne sait pas, nous non plus, même si elle est prête à déplacer des montagnes dans les méandres du lobbying et de la diplomatie.

Quant à Félix Moati, n’est-ce pas un rôle un peu nouveau pour lui ?

Comme Alexandra, il a adoré le scénario quand il l’a lu. Il a emmené le personnage beaucoup plus loin que ce que je pouvais penser au moment de l'écriture. Je n’avais pas imaginé un comédien d'une trentaine d'années au départ, mais je suis content du résultat. Il a ce côté idéaliste, à l’image d’une nouvelle génération.

Et vous, de quelle génération et de quel monde êtes-vous ? De base, vous êtes journaliste…

De base, je suis fils d'agriculteur ! J'ai eu ma première carte de presse pour La Nouvelle République au service des sports à Poitiers pendant huit mois, à 20 ans. Après, j'ai été à France 3 Poitiers, service des sports, avant de monter à Paris…

Vous vouliez être journaliste « depuis toujours », comme certains disent en sortant les violons, ou c’est venu comme ça ?

Non ! À 19 ans, j’étais vendeur chez Gamm Vert, après mon bac S ! Je vendais des graines, des aliments pour animaux et du terreau, après le contrecoup de la mort de mon père. Après le sport études cyclisme. Dans ma tête, je savais que je n’allais pas faire le Tour de France. Au lycée, j'étais plutôt bon élève mais je m’ « empêchais », en fait.

Après Gamm Vert, j’ai choppé un DUT de communication relations publiques à Bordeaux, et tout de suite j’ai fait mes stages sur le tour de Poitou-Charentes cycliste, je m'occupais des invités de la presse et je rencontrais des journalistes, notamment un mec de France 3, Florian, qui deviendra l'un de mes meilleurs potes et me fera commencer la télé un an plus tard.

Puis je fais dix jours en presse écrite. Et là, je me dis « Mais être payé à raconter des histoires, c’est formidable ! ». Donc le sport, tu vois, le vélo, le rugby. Je faisais mes courses de vélo et je faisais le papier à la fin ! Et la ruralité bien sûr. J’ai rattrapé ensuite une école de journalisme à Tours mais au final, je n’ai même pas eu mon diplôme, car je séchais pour travailler à France 3. J’avais envie de travailler et surtout j’avais besoin de gagner ma vie. J’ai fait 3 mois là-bas et ça m'a donné l'opportunité d'envoyer une cassette de trois sujets à France 2, et j'ai été pris deux mois en CDD, au JT.

C'est là que vous montez à Paris ?

On est en 2005, le 1er juillet, je monte avec ma moto et mon sac mais je tombe en panne sèche à Tours sur l'autoroute. L’enfer, je pousse ma moto. Tout ce qu'il ne faut pas faire. Et là un mec de la sécurité de l'autoroute me voit, monte la moto dans le camion et on fait le plein d'essence pour que j'arrive à l'heure à Paris à France 2. Je suis pris deux mois. On était dix et à la fin, ils en ont gardé trois, c'était un peu comme la Star Academy.

J'avais proposé plein de sujets sur la sécheresse, l'agriculture, et bim je suis resté. Là, ça s'est accéléré. La première année, tu alternes entre Télématin pour te former et les régions : bureaux de Poitiers, Rennes, etc. Deux ans de JT, 13 heures et 20 heures : 150 sujets par an. Tu bosses 300 jours par an, mais c'est hyper formateur. Ça se passe bien, puis je pars, précarité de France Télé oblige, réduction de personnel. Je vais faire du mag en agence de presse. Le séisme en Haïti, les enfants dans les mines de charbon en Colombie, les précaires qui dorment dans leur voiture en France…

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Édouard Bergeon : "À cause de 'La Promesse verte', notre ambassadeur en Indonésie risque de se faire gronder"

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27.03.2024

Après la projection de son second film, La Promesse verte, en salles ce 27 mars, Édouard Bergeon nous a accordé une heure, à bâtons rompus. Cet opus est à inscrire dans la nouvelle tendance cinématographique que sont les drames écologiques : il met en scène Martin, étudiant idéaliste, tenaillé par le désir d'enquêter sur la déforestation liée à l'huile de palme dans une Indonésie… vocation qui lui joue un tour judiciaire pour le faire taire et le condamner à mort. Sa mère, Carole, une Alexandra Lamy en excellente quinqua Madame Tout le monde, remue ciel et terre pour le faire libérer. On navigue dans les arcanes très réalistes des mondes politique, diplomatique, économique, et au milieu d'intérêts financiers omniprésents, sur fond d'enjeux écologiques.

Un film qui prouve qu'on peut faire du cinéma populaire exigeant, sans tomber dans les grosses ficelles lénifiantes du cinéma militant et moralisateur. Édouard Bergeon nous parle, en toute franchise et sur un ton libre, du film, mais aussi de sa carrière et d'Au nom de la Terre, son premier film inspiré du suicide de son père, agriculteur.

Marianne : Votre deuxième film, La Promesse verte, avec Alexandra Lamy et Félix Moati, sort au cinéma ce 27 mars. Une intrigue en Indonésie autour du poids de l’huile de palme. En quoi s’inscrit-il dans vos travaux précédents ? Reste-t-il aussi personnel qu’Au nom de la terre, où vous racontiez le suicide de votre père agriculteur ?

Édouard Bergeon :La Promesse verte reste un film personnel. Quand j'ai fait lire le scénario à Félix Moati et Alexandra Lamy, ils m'ont dit « Mais en fait, ce deuxième film est quasiment aussi personnel qu’Au nom de la terre, parce que tu y racontes ta mère et toi ». Ma mère était une femme combattante, et moi, en gros, j’ai été reporter et documentariste et j'ai fait le tour du monde.

Il y a en effet un peu de nous deux dans le combat des personnages incarnés par Alexandra Lamy et Félix Moati. Même si c'est moins criant que dans Au nom de la terre. Après, même si j'ai un peu serré les dents en croisant les FARC en Colombie, je n’ai pas fini en prison comme le personnage de mon film (rires) !

Pour revenir à ma mère, quand mon père tombe en dépression pendant deux ans, après le deuxième incendie dans la ferme, elle a dû tenir celle-ci. Et quand mon père est décédé, elle a dû continuer à payer un plan de redressement judiciaire et faire tourner l’exploitation jusqu'à prendre sa retraite il y a seulement quatre ans. Donc c'est une combattante. Mais elle ne ressemble au personnage d’Alexandra Lamy que de façon allégorique.

C’est aussi un hommage aux femmes, aux femmes militantes, lanceuses d'alerte. Parce que les lanceurs d'alerte, aujourd'hui, sont souvent des femmes, qui défendent leur peuple, leur forêt, la planète… Comme en Ouganda, avec Vanessa Nakate, ou bien celle qui m'a inspiré en Indonésie : Mina Setra. Il y a aussi Melati Wijsen, contre la consommation de plastique à Bali. Bref, je voulais réaliser un film populaire et percuter les deux générations, les mères de famille et les jeunes.

Le but était de superposer la trame écolo à la trame agricole…

Je suis même parti d’une histoire agricole. Les manifs d’agriculteurs dans le film contre l’huile de palme importée en France sont d’abord tout à fait d’actualité, puisqu’elles disent, dans le film comme dans la réalité : « N’importons pas du bout du monde ce que nous savons faire mieux chez nous ! ». Et ce sont elles, en 2018 (pendant que je tournais........

© Marianne


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