Marianne : Depuis quand le sujet de l’eau intéresse-t-il le grand public ? Depuis quand les chercheurs se penchent-ils dessus ? L’eau fait rarement la une des médias…

Simon Porcher :L’eau est un sujet d’intérêt depuis toujours ! On retrouve les premiers puits d’eau en Mésopotamie, et les premiers réseaux d’eau apparaissent dès l’Antiquité grecque. L’eau est donc d’abord une affaire d’ingénieurs, avant de devenir celle des urbanistes puis des chimistes. Louis Pasteur, par exemple, a travaillé sur la potabilisation de l’eau.

La gestion de l’eau devient un objet de recherches en économie et en gestion avec les travaux d’Elinor Ostrom, première femme à recevoir le prix Nobel d’économie, qui étudie plus spécifiquement les modes de gouvernance de l’eau pour répartir les volumes entre différents usagers.

Si l’eau fait rarement la une des médias, c’est parce que la gestion de l’eau est bien maîtrisée depuis des années en France et fait rarement défaut. Un Français ne s’attend pas à ouvrir le robinet de la salle de bains le matin et à ce que l’eau ne coule pas. Les sécheresses vécues par d’autres régions du monde ne nous touchent pas forcément parce que nous ne les avons pas vécues nous-mêmes… mais les récentes tensions sur la gestion de l’eau et les restrictions fréquentes montrent que l’eau est une ressource rare, et que les politiques et les médias doivent s’en préoccuper.

La journée mondiale de l’eau, ce 22 mars, a-t-elle un impact positif ?

La journée mondiale de l’eau est l’occasion de mettre en avant le travail réalisé par les organisations non gouvernementales sur le terrain et de rappeler que 30 % de la population mondiale n’a pas accès à domicile à une eau exempte de contamination. Cette part s’est réduite depuis 2000 mais c’est une grande désillusion pour l’humanité quand on pense que l’on maîtrise les méthodes de potabilisation de l’eau depuis des siècles.

La journée mondiale de l’eau de 2023 a été l’occasion d’organiser une conférence globale sur l’eau aux Nations unies à New York. La dernière conférence globale des Nations unies sur l’eau avait eu lieu en 1977, il y a quasiment cinquante ans ! Cela montre le manque de considération qu’a l’eau au plus haut niveau politique.

Plus globalement, la réponse globale des États (conventions, COP, etc.) sur la question de l’eau est-elle, selon vous, à la hauteur ?

Il y a eu de belles avancées mais elles restent insuffisantes. On a reconnu lors de la conférence de Dublin en 1992 que l’eau était fragile et que sa gestion devait être participative. On lui a reconnu aussi une valeur économique, ce qui, dans l’esprit des rédacteurs des conclusions, devait amener à éviter le gaspillage de l’eau et sa surexploitation.

En revanche, le Sommet de la Terre de Rio de 1992 qui aboutit à la signature de trois conventions – lutte contre la désertification et le changement climatique, et protection de la biodiversité – n’a pas accordé une place majeure à l’eau douce. Aucune des conférences des parties (COP) qui a suivi n’a vraiment donné beaucoup de place à l’eau. À titre d’exemple, les conclusions de la dernière COP qui avait lieu à Dubaï, un territoire en stress hydrique permanent, ne mentionnent l’eau que dans deux paragraphes !

Il manque à l’eau une « maison » aux Nations unies, un traité global, un groupe d’experts et une COP pour bien comprendre les évolutions du cycle de l’eau au regard du changement climatique, et améliorer sa gouvernance au niveau mondial. On espérait que la conférence globale de 2023 aux Nations unies pourrait aboutir sur un tel résultat mais on en est encore loin.

En quoi la période de gestion facile de l’eau est-elle révolue ?

La gestion de l’eau facile renvoie pour moi au fait qu’il y a encore quelques années, l’accès à l’eau dans les pays industrialisés du moins n’était qu’un problème d’investissement. Les techniques de desserte et de potabilisation de l’eau sont maîtrisées depuis des siècles donc avec de l’argent, on pouvait amener de l’eau dans des zones arides.

Avec le réchauffement climatique, le cycle de l’eau a évolué, avec des sécheresses et des inondations de plus en plus fréquentes. La quantité d’eau disponible à un moment donné devient de plus en plus incertaine, et sa qualité aussi. Par exemple, avec les sécheresses, l’eau devient de moins bonne qualité car les polluants y sont plus concentrés. Le risque est donc que l’on voit de plus en plus d’aires de captage être fermées car l’eau y est polluée.

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Par ailleurs, l’augmentation de la demande en eau, tirée par la croissance démographique et l’augmentation du niveau de vie, ne facilite pas la gestion de l’eau. L’offre sur un territoire est relativement stable et cette hausse de la demande entraîne une surexploitation des réserves en eau, ce qui accroît le stress hydrique. Cela implique de trouver des ressources alternatives, par exemple de collecter plus d’eau de pluie ou de dessaler de l’eau de mer quand cela a un sens, et souvent de prioriser certains usages.

Quels sont les premiers conflits liés à la gestion de l’eau dans le monde ?

Les conflits liés à l’eau ont toujours existé car l’eau porte en elle-même le conflit. Le terme « riverains » vient d’ailleurs du latin rivalis, qui veut dire tirer son eau du même puits. Mais l’eau est aussi une source d’entente : bien souvent, la gestion de l’eau a permis de créer des institutions favorisant son partage. Au niveau international, des États en conflits ont mis en place des institutions de partage de l’eau. C’est le cas par exemple de la commission de l’Indus, qui met en place des arbitrages de partage de l’eau entre l’Inde et le Pakistan et qui a survécu à trois guerres entre les deux États.

Mais en période de sécheresse, les risques de conflits sont plus importants : on l’a vu dans les Deux-Sèvres avec les mégabassines, mais aussi dans de nombreux endroits, partout dans le monde, autour de la gestion service public de l’eau par des entreprises privées par exemple. Le risque est qu’un conflit ayant pour sujet principal l’eau explose : si un pays voit son économie complètement bouleversée par le manque d’eau, les gains de la paix seront relativement faibles par rapport aux coûts du manque d’eau.

Le modèle du service public de l’eau est-il à revoir ?

Il faut changer le modèle économique du service public de l’eau. Actuellement, en France, un opérateur est payé au volume vendu : il a donc intérêt à vendre le plus possible et à inciter au gaspillage de l’usager. Il faut que les opérateurs soient rémunérés sur leur capacité à optimiser la consommation d’eau : réduire les fuites sur les réseaux d’eau, sensibiliser les usagers sur le gaspillage, les inciter à s’équiper de mousseurs sur les robinets, etc.

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Et puis, il faut que les opérateurs soient incités eux-mêmes à investir sur les réseaux pour faire face au changement climatique. Les sécheresses et les fortes précipitations vont être de plus en plus fréquentes : il faut équiper les réseaux d’eau et d’assainissement pour qu’ils puissent faire face à ces enjeux. En Bretagne, par exemple, des pluies trop fortes en 2020 ont entraîné 838 jours cumulés de fermetures de plages en 2020 car les stations d’épuration, trop vétustes, débordent.

Quelles sont vos solutions à mettre en œuvre ?

D’abord, que chacun puisse se rendre compte de la rareté de l’eau. À l’ère du numérique, un individu sait combien de pas il marche, durant combien d’heures il a dormi et le nombre de calories qu’il a brûlées mais n’a aucune connaissance précise du volume d’eau qu’il a consommé, ni de son empreinte eau. L’empreinte eau renvoie à toute l’eau consommée par un individu, pas seulement au titre de son usage domestique, mais aussi l’eau utilisée pour produire les aliments qu’il mange par exemple. Compter correctement l’eau consommée dans son logement, connaître l’eau utilisée pour produire les biens que l’on achète ou les aliments que l’on mange sont désormais des nécessités. La responsabilité des consommateurs poussera aussi les entreprises et les États à encourager les économies d’eau.

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Il faut ensuite changer le modèle économique de l’eau : il faut encourager la sobriété, pas le gaspillage. Pourquoi ne pas rémunérer des usagers qui consomment moins d’eau en période de sécheresse par exemple ? Enfin, il faut réinventer la gouvernance mondiale de l’eau. L’eau douce doit avoir sa COP, son groupe d’expert, son organisme onusien. Cela ne résoudra pas tous les problèmes mais cela permettra d’avoir des discussions sur l’eau éclairées par des évidences scientifiques, avec un suivi de mesures à mettre en place. Cela permettra aussi de se rendre compte des bonnes pratiques de gestion des conflits d’usage dans différents territoires, notamment dans les pays ou les régions où l’eau est rare.

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Simon Porcher : "L’eau douce doit avoir sa COP, son groupe d’expert, son organisme onusien"

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22.03.2024

Marianne : Depuis quand le sujet de l’eau intéresse-t-il le grand public ? Depuis quand les chercheurs se penchent-ils dessus ? L’eau fait rarement la une des médias…

Simon Porcher :L’eau est un sujet d’intérêt depuis toujours ! On retrouve les premiers puits d’eau en Mésopotamie, et les premiers réseaux d’eau apparaissent dès l’Antiquité grecque. L’eau est donc d’abord une affaire d’ingénieurs, avant de devenir celle des urbanistes puis des chimistes. Louis Pasteur, par exemple, a travaillé sur la potabilisation de l’eau.

La gestion de l’eau devient un objet de recherches en économie et en gestion avec les travaux d’Elinor Ostrom, première femme à recevoir le prix Nobel d’économie, qui étudie plus spécifiquement les modes de gouvernance de l’eau pour répartir les volumes entre différents usagers.

Si l’eau fait rarement la une des médias, c’est parce que la gestion de l’eau est bien maîtrisée depuis des années en France et fait rarement défaut. Un Français ne s’attend pas à ouvrir le robinet de la salle de bains le matin et à ce que l’eau ne coule pas. Les sécheresses vécues par d’autres régions du monde ne nous touchent pas forcément parce que nous ne les avons pas vécues nous-mêmes… mais les récentes tensions sur la gestion de l’eau et les restrictions fréquentes montrent que l’eau est une ressource rare, et que les politiques et les médias doivent s’en préoccuper.

La journée mondiale de l’eau, ce 22 mars, a-t-elle un impact positif ?

La journée mondiale de l’eau est l’occasion de mettre en avant le travail réalisé par les organisations non gouvernementales sur le terrain et de rappeler que 30 % de la population mondiale n’a pas accès à domicile à une eau exempte de contamination. Cette part s’est réduite depuis 2000 mais c’est une grande désillusion pour l’humanité quand on pense que l’on maîtrise les méthodes de potabilisation de l’eau depuis des siècles.

La journée mondiale de l’eau de 2023 a été l’occasion d’organiser une conférence globale sur l’eau aux Nations unies à New York. La dernière conférence globale des Nations unies sur l’eau avait eu lieu en 1977, il y a quasiment cinquante ans ! Cela montre le manque de considération qu’a l’eau au plus haut niveau politique.

Plus globalement,........

© Marianne


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