Un député ne devrait pas dire ça, alors trois, n'en parlons pas… Depuis de longs mois, les élus insoumis nous ont habitués à toutes les outrances. Persuadés que la clef de leur accession au pouvoir se trouve dans l'électorat des « quartiers populaires », ils pensent pouvoir le séduire en activant une dynamique identitaire à travers des prises de position radicales. Après avoir défendu l'abaya à l'école, s'être montrés d'une complaisance inouïe envers le Hamas, et même osé des allusions antisémites, on retrouve trois députés LFI participer à la cabale contre la dessinatrice Coco.

Rappel des faits : ce lundi 11 mars, Libération publie une caricature de sa collaboratrice. Le procédé, classique dans le dessin de presse, fait s'entrechoquer plusieurs éléments d'actualité, dans un trait émaillé d'humour noir : dans les ruines de Gaza, alors que le ramadan débute, on aperçoit un jeune garçon affamé, en train de pourchasser des rats, réprimandé par sa mère : « t-t-t… pas avant le coucher du soleil ! »

Dans une société française gagnée par l'ultra-sensibilité des « communautés » et les sempiternels appels au « respect », la satire devient un art dangereux, surtout lorsqu'elle porte sur des événements aussi tragiques que ceux qui se déroulent en Palestine. Coco (de son vrai nom Corinne Rey) l'a appris à ses dépens, en croulant sous des centaines de messages imbéciles, injurieux, voire menaçants. La dessinatrice en a publié quelques-uns, dont des mots doux appelant à son meurtre, ou ce message : « Je te souhaite le pire dans ta vie, ignoble personnage. Ils auraient dû te liquider le 7 janvier ».

Une sentence faisant directement référence au passé de Coco : membre de Charlie Hebdo, elle a été prise en otage par les frères Kouachi et forcée par eux d'ouvrir la porte de sécurité blindée le 7 janvier 2015, jour du massacre de la rédaction du journal satirique. Difficile, voire impossible de l'ignorer pour des députés de la Nation. Mais Sophia Chikirou, Sarah Legrain et Carlos Martens Bilongo, tous trois membres de la France insoumise, ont tout de même décidé d'apporter leur écot à la curée contre Coco.

« Vous n'aurez pas notre haine mais vous la méritez », cingle la première, ex-laïque visiblement convertie à la nouvelle stratégie insoumise, dans une allusion au livre du journaliste Antoine Leiris, Vous n'aurez pas ma haine, écrit après la mort de son épouse dans les attentats du Bataclan. « Tout bonnement immonde, commente Sarah Legrain. Et [ne] venez pas pleurer sur la liberté d'expression. Vous l'avez. » S'adressant à une rescapée de la tuerie de Charlie Hebdo, la référence est osée. « Juste, quand vous en faites n’importe quoi avec (sic), ne vous étonnez pas qu’on vous le dise », complète pourtant celle qui était prof de français avant de devenir députée LFI. Plus sobre, Carlos Martens Bilongo, déjà auteur d'un dérapage sur Israël, complète le trio d'un simple « Honteux ! ». Certes venus en force, les élus insoumis ne sont toutefois pas seuls, puisque la porte-parole du Parti socialiste Chloé Ridel a elle aussi réagi en jugeant que « ce dessin est ignoble ».

Outre leurs visées clientélistes, ces réactions témoignent en partie d'une incompréhension quant au message envoyé par le dessin. Ce dernier « souligne le désespoir des Palestiniens, dénonce la famine à Gaza et moque aussi l'absurdité de la religion », explique elle-même Coco. Telle n'a pas été l'interprétation de ceux qui ont fondu en meute sur la dessinatrice. Eux ont perçu ce coup de crayon comme une moquerie contre les Palestiniens victimes d'un «génocide ». Beaucoup, dans une association d'idées instantanée, se sont empressés de se demander pourquoi Coco ne s'en prenait pas à la religion juive (ce qu'elle a fait pas plus tard que la semaine dernière dans Charlie Hebdo) ou ne dénonçait pas Israël… sans comprendre que la caricature qu'ils vomissent pointe la famine provoquée à Gaza par le gouvernement de Benjamin Netanyahu.

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Inutile, toutefois, de se perdre en conjectures et justifications pour expliquer aux ignorants que Coco s'en prend à tous les cultes, qu'elle n'épargne pas le pouvoir israélien et qu'elle ne s'est jamais acharnée sur le sort des Palestiniens. Dans tous les cas de figure, la liberté d'expression de la dessinatrice de presse reste absolue. On peut critiquer ses caricatures, ne pas apprécier ses dessins, les trouver de mauvais goût. Il reste que les menaces subies par Coco sont inacceptables.

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Une ombre plane sur la démocratie française, tant grandit le nombre de ceux qui pensent que les limites à la liberté d'expression doivent être fixées par la « sensibilité » des membres des « communautés » visées par les dessins de presse. Avec du recul, il est hallucinant de compter parmi les ennemis de la liberté d'expression un mouvement de gauche radicale comme la France insoumise. Mais c'est une nouvelle donnée structurante du paysage politique qu'il faut bien prendre en compte. En participant à la campagne d'intimidation menée contre Coco, les trois députés LFI viennent d'en fournir une énième preuve.




QOSHE - Quand des députés insoumis participent aux attaques contre la dessinatrice Coco - Hadrien Mathoux
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Quand des députés insoumis participent aux attaques contre la dessinatrice Coco

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12.03.2024

Un député ne devrait pas dire ça, alors trois, n'en parlons pas… Depuis de longs mois, les élus insoumis nous ont habitués à toutes les outrances. Persuadés que la clef de leur accession au pouvoir se trouve dans l'électorat des « quartiers populaires », ils pensent pouvoir le séduire en activant une dynamique identitaire à travers des prises de position radicales. Après avoir défendu l'abaya à l'école, s'être montrés d'une complaisance inouïe envers le Hamas, et même osé des allusions antisémites, on retrouve trois députés LFI participer à la cabale contre la dessinatrice Coco.

Rappel des faits : ce lundi 11 mars, Libération publie une caricature de sa collaboratrice. Le procédé, classique dans le dessin de presse, fait s'entrechoquer plusieurs éléments d'actualité, dans un trait émaillé d'humour noir : dans les ruines de Gaza, alors que le ramadan débute, on aperçoit un jeune garçon affamé, en train de pourchasser des rats, réprimandé par sa mère : « t-t-t… pas avant le coucher du soleil ! »

Dans une société française gagnée par l'ultra-sensibilité des « communautés » et les sempiternels appels au « respect », la satire devient un art dangereux, surtout lorsqu'elle porte sur des événements aussi tragiques que ceux qui se déroulent en Palestine. Coco (de son vrai nom Corinne Rey) l'a........

© Marianne


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