On admet aujourd'hui que le christianisme est irréductible aux bûchers de l'Inquisition, à l'Index des livres interdits, à l'antisémitisme raciste issu de l'antijudaïsme religieux, aux violences des guerres de religion issues de l'intolérance manifestée par l'Église catholique pendant plus d'un millénaire. Pourquoi n'admet-on pas, dans le même esprit, que le communisme de Marx est irréductible au goulag, à la dictature stalinienne, et aux sinistres caricatures qui furent données de son projet politique au vingtième siècle ? Au-delà de l’analogie fondée sur le devenir contradictoire d’idéaux d’abord prometteurs, la question doit être posée et donner lieu à une réflexion sans concession. En l’occurrence, elle ne peut être réglée honnêtement que par une confrontation rigoureuse entre les textes de Karl Marx et la réalité historique du stalinisme. C'est sans doute ainsi que peut être tranché un problème majeur d'interprétation. Entendons-nous. Il ne d'agit nullement de minimiser les crimes du stalinisme, qui ont brouillé et sali l'image de l’idéal communiste, mais de se demander s'ils découlent d'un tel idéal ou s'ils en constituent au contraire la négation en acte, c’est-à-dire une véritable trahison.

A LIRE AUSSI : "Pour Marx, c'est par le travail que l’humanité se construit et prend conscience d’elle-même"

Or, rien, dans le corpus des textes de Marx ou d’Engels, ne permet de justifier ou encore moins de programmer les atrocités du stalinisme, sauf par une interprétation malveillante ou dépourvue de rigueur. Dans « communisme », il y a la référence à ce qui est commun à tous les hommes. Pas plus que l'idée communiste elle-même, l'oeuvre de Marx ne peut être rendue responsable de son détournement sinistre et de sa caricature. Les libertés piétinées, les procès truqués, les déportations, le goulag, la dictature, l’absence d’État de droit, la bureaucratie autoritaire, le productivisme prédateur, auxquels la défunte Union soviétique a été réduite dans l’opinion commune, ne peuvent donc être traités sans malhonnêteté comme des conséquences du communisme et du marxisme comme tels. Cette posture idéologique, effectuée sans aucun souci de la mettre à l’épreuve des textes, traduit soit l’ignorance soit la mauvaise foi partisane.

A LIRE AUSSI : Un "bon" et un "mauvais" Marx ? Henri Peña-Ruiz répond à Alain Minc

C'est pourtant à un telle posture que s’est livré Stéphane Courtois dans l'ouvrage collectif qu'il a dirigé et publié en 1997 aux Editions Robert Laffont. Un ouvrage intitulé à tort Le livre noir du communisme alors qu'il expose en réalité Le livre noir du stalinisme, avec nombre d'erreurs importantes et de chiffres contestables. Son chapitre introductif, notamment, rédigé par le seul Stéphane Courtois, énonce une analogie scandaleuse entre nazisme et communisme. Il a d'ailleurs été vivement contesté par certains des auteurs de l'ouvrage. Dans un article du Monde daté du 14 novembre 1997, Nicolas Werth et Jean-Louis Margolin dressent la liste des principaux points qu'ils contestent : « La centralité du crime de masse dans les pratiques répressives des communismes au pouvoir ; l'assimilation entre doctrine communiste et mise en application de celle-ci, ce qui fait remonter le crime jusqu'au cœur même de l'idéologie communiste ; l'affirmation qui en découle de la grande similitude du nazisme et du communisme, tous deux intrinsèquement criminels dans leur fondement même ; un chiffrage des victimes du communisme abusif… » Comme on le voit, ces griefs n’ont rien d’anodin en ce qu’ils attestent une volonté de disqualifier l’idée communiste comme telle, sans égard aux détournements et aux trahisons qui l’ont caricaturée.

Analysons le point majeur. L'analogie entre nazisme et communisme est-elle fondée ? Il faudrait pour cela que la réalité historique des pays communistes ait été la stricte application de la théorie exposée par Marx et Engels. Ce n'est pas le cas. En revanche, le nazisme, comme projet politique exposé notamment dans Mein Kampf a donné lieu à une application très fidèle de son programme d'extermination des juifs. Dans ce cas, du programme à la réalité pratique, la conséquence a été directe. La différence avec le communisme est de taille, et elle interdit l'amalgame effectué par Stéphane Courtois dans le chapitre introductif du livre qu'il a dirigé. De Marx au goulag stalinien, il y a la contradiction qui existe entre la promotion de l’émancipation et celle de l’oppression, alors que des théories nazies au génocide juif, il y a bien mise en œuvre méthodique et cohérente d’une conception raciste, différentialiste et oppressive.

A LIRE AUSSI : La monstrueuse originalité du nazisme

La méconnaissance volontaire ou involontaire de cette différence majeure en dit long sur la guerre idéologique destinée à invalider toute alternative au capitalisme mondialisé, naguère décrété horizon indépassable de notre temps par Francis Fukuyama. Par ailleurs le concept fourre-tout de « totalitarisme » a servi à tout confondre… Toutes choses égales par ailleurs, la contradiction entre la loi d'amour attribuée à Jésus-Christ et les bûchers de l'Inquisition catholique interdit également ce genre d'amalgame. A-t-on pu lire un Livre noir du christianisme où le « Sermon sur la montagne » attribué à un certain Jésus-Christ serait désigné comme la source des bûchers de l’Inquisition ? Pas encore. Et c'est bien ainsi. Agiter un épouvantail permet de mieux faire passer la formule thatchérienne : « There is no alternative ». Il est donc grand temps de faire cesser le traitement discriminatoire dont le communisme fait l'objet. Incriminer un idéal au nom de sa caricature est indigne.

QOSHE - Le communisme analogue au nazisme ? "Incriminer un idéal au nom de sa caricature est indigne" - Henri Pena-Ruiz
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Le communisme analogue au nazisme ? "Incriminer un idéal au nom de sa caricature est indigne"

26 0
28.11.2023

On admet aujourd'hui que le christianisme est irréductible aux bûchers de l'Inquisition, à l'Index des livres interdits, à l'antisémitisme raciste issu de l'antijudaïsme religieux, aux violences des guerres de religion issues de l'intolérance manifestée par l'Église catholique pendant plus d'un millénaire. Pourquoi n'admet-on pas, dans le même esprit, que le communisme de Marx est irréductible au goulag, à la dictature stalinienne, et aux sinistres caricatures qui furent données de son projet politique au vingtième siècle ? Au-delà de l’analogie fondée sur le devenir contradictoire d’idéaux d’abord prometteurs, la question doit être posée et donner lieu à une réflexion sans concession. En l’occurrence, elle ne peut être réglée honnêtement que par une confrontation rigoureuse entre les textes de Karl Marx et la réalité historique du stalinisme. C'est sans doute ainsi que peut être tranché un problème majeur d'interprétation. Entendons-nous. Il ne d'agit nullement de minimiser les crimes du stalinisme, qui ont brouillé et sali l'image de l’idéal communiste, mais de se demander s'ils découlent d'un tel idéal ou s'ils en constituent au contraire la négation en acte, c’est-à-dire une véritable trahison.

A LIRE AUSSI : "Pour Marx, c'est par le travail que l’humanité se construit et prend conscience d’elle-même"

Or, rien, dans le corpus des textes de Marx ou d’Engels, ne permet de justifier ou encore moins de........

© Marianne


Get it on Google Play