Le philosophe Georges Didi-Huberman, dans La fabrique des émotions disjointes (Minuit), analyse la manière dont les régimes politiques font usage de l'émotion pour gouverner. Il s'attarde sur les régimes propagandistes – dont notre société, dans la lignée du nazisme et du fascisme, fait partie. La publicité, les réseaux sociaux, la politique, agissent en permanence sur nos émotions. Ces dernières y sont réifiées, simplifiées, nous faisant confondre l'être avec l'avoir. C'est bien connu, si tu n'as pas ta Rolex à 50 ans, tu n'as pas réussi ta vie !

Georges Didi-Huberman crée ainsi le concept « d'émotion disjointe » pour désigner l'enfermement et l'obsession affective, à laquelle une telle propagande nous accule. Il met ses réflexions au service d'une compréhension de l'histoire sous le prisme des affects, comme lorsqu'il évoque les conversations de ces femmes russes, enrôlées dans la Seconde Guerre mondiale, sur l'amour, la vie et bien sûr, la guerre – que Svetlana Alexievitch nommait les « documents sentiments » ou bien, à l'occasion de la propagande nazie par laquelle Hitler est parvenu à convaincre tout un peuple.

Marianne : Qu’est-ce qu’une émotion disjointe ?

Georges Didi-Huberman : Cette notion est apparue dans le livre que j’ai écrit sur Victor Klemperer (philologue allemand juif, auteur d’une analyse magistrale sur le totalitarisme langagier dans la société nazie, LTI, la langue du Troisième Reich). Disons, pour commencer, que nous sommes tous déchirés : entre la conscience et l’inconscient. Nous avons du mal à reconnaître nos désirs, nous sommes sujets à névroses, à angoisses à inhibitions… C’est ce que Freud appelle le « clivage » du psychisme. Mais il y a des gens qui n’ont pas l’air déchirés du tout, qui sont des « blocs », qui ont l’air d’aller beaucoup mieux mais qui, en réalité, sont psychotiques. C’est ce que Lacan a traduit sous le terme de « forclusion ». Dans ce régime psychotique, vous pensez aller mieux, mais vous êtes un fou total, complètement coupé des autres.

QOSHE - Georges Didi-Huberman : "Ce n’est pas parce que le libéralisme a triomphé que le fascisme a disparu" - Isabelle Vogtensperger
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Georges Didi-Huberman : "Ce n’est pas parce que le libéralisme a triomphé que le fascisme a disparu"

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03.04.2024

Le philosophe Georges Didi-Huberman, dans La fabrique des émotions disjointes (Minuit), analyse la manière dont les régimes politiques font usage de l'émotion pour gouverner. Il s'attarde sur les régimes propagandistes – dont notre société, dans la lignée du nazisme et du fascisme, fait partie. La publicité, les réseaux sociaux, la politique, agissent en permanence sur nos émotions. Ces dernières y sont réifiées, simplifiées, nous faisant confondre l'être avec l'avoir. C'est bien connu, si tu n'as pas ta........

© Marianne


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