Pascal Quignard nous livre dans Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour, une méditation sur l’amour, la sexualité, le langage… Livre intelligent et suggestif, qu’une interrogation taraude : pourquoi l’homme éprouve-t-il, à l’égard de son origine, une honte, une forme d’ingratitude ? — qu’on retrouve sous forme symbolique dans l’art, dans la religion, et dans toutes les sphères de notre existence humaine.

Cette réflexion nous mène, inévitablement à l’amour, source ultime. « La passion insubordonnée de l’amour » asociale, clandestine, qui vient percer le monde du symbole. Le romancier se place sans le sillon de Freud et Ferenczi pour explorer les méandres de la psyché humaine — à l’heure où la psychanalyse est stigmatisée, il nous confie sa dette envers elle. Livre poétique, érudit, stimulant, et empreint d’une grande sagesse. Pascal Quignard égrène ses réflexions, épluche les mots, nous replonge dans les récits anciens, effeuille les corps et les âmes, afin d’approcher cette énigme mystérieuse de l’origine.

Marianne : Un sondage Ifop, publié le 6 février, montre que les Français font de moins en moins l’amour, et notamment les jeunes de 18 à 24 ans. Qu’est-ce que cela dit de notre société ?

Pascal Quignard : La chasteté, pour moi, est un mystère complet. Elle intervient dans l’histoire des hommes de façon récurrente et fait partie de la sexualité. Shiva, l’un des plus grands dieux de l’hindouisme, grand maître des ascètes et de la méditation, est abstinent sexuellement. Il apparaît parfois sous la forme d’une représentation phallique, d’une force créatrice comme Bacchus qui, chez les romains, sera associé à la fertilité. Il y a aussi chez les grands mystiques une volonté de chasteté totale. Et puis, il y a cette vérité, que le monde de l’origine sexuelle fait peur, répugne parfois.

"Il y a un moment où la construction symbolique se fissure, pour laisser place à la pulsion du désir."

Seul l’art, dites-vous, affronte l’épreuve du désir. Pourquoi ?