On est dans la Drôme, à Crépol, cinq cents habitants. Il y a un bal sur invitation. Une bande veut rentrer de force. On refuse. La bande sort des couteaux. Thomas, seize ans, meurt poignardé alors que plusieurs blessés sont hospitalisés. Voilà les faits. Voilà la tragédie de la mort d’un adolescent, pour rien. Et puis tout s’emballe, comme d’habitude. Ce fait divers devient l’objet de la récupération immédiate de l’extrême droite. Celle qui s’agite sur les réseaux sociaux, celle qui a pris des années d’avance sur la Toile grâce aux agrégateurs d’informations comme Fdesouche qui font une veille sur tous les faits divers où pourrait être impliquée la « racaille ». Dans le petit lexique de l’extrême droite, racaille est synonyme de tous les jeunes avec un nom à consonance arabe ou subsaharienne.

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Maintenant, il semblerait même qu’une chaîne d’information en continu, appartenant à un milliardaire breton qui a son propre agenda idéologique, se comporte de la même manière. La France insoumise (LFI) et Mélenchon, jamais à l’abri d’une idiotie ces temps-ci, contre-attaquent par pur clientélisme électoral, avec l’agression au cutter d’un jardinier maghrébin après des insultes racistes. À chaque camp ses victimes, à chaque camp ses indignations surjouées. On voudrait montrer qu’il existe deux France prêtes à sombrer dans la guerre civile qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

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Mais, médiatiquement, le jardinier ne fera pas le poids. L’image fantasmée d’une France raciste prend moins que celle, tout aussi fantasmée, d’un pays qui a sombré dans l’ « ensauvagement ». L’ « ensauvagement », c’est comme la « racaille » ou la « décivilisation », ce n’est pas du concept qui aurait pour but de nous aider à comprendre ce qui se passe vraiment. Au contraire. Certains de ses mots sont même employés, toujours pour des raisons électoralistes, par le gouvernement. Pour le meurtre de Thomas, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a repris le mot « ensauvagement ». Macron, lui, n’a pas hésité, déjà, à parler de « décivilisation ».

Notons qu’Olivier Véran, qui a encore un peu de décence, s’est fait allumer pour avoir refusé d’employer « ensauvagement » au prétexte que cela ne rendait pas compte de la réalité. Mais Marine Le Pen, elle, sait déjà qu’il s’agit d’une « razzia », mot ô combien connoté, et Éric Zemmour, lui, oppose les jeunes morts aux jeunes morts en comparant des situations incomparables, celle de Nahel et celle de Thomas. Quant à son premier porte-flingue, Stanislas Rigault, pour lui, c’est un « francocide », encore un de ces mots qui portent en eux le vilain désir d’une guerre des races.

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On ose à peine, dans cette ambiance irrespirable, qui chauffe à blanc l’opinion dans une atmosphère très Radio Mille Collines [qui avait appelé au génocide des Tutsis au Rwanda], demander simplement que la police et la justice fassent leur travail et qu’on s’interroge ensuite, ensemble, sur les raisons de cette ultraviolence : de la faillite de l’école aux conditions de vie dans « les quartiers », de la disparition de la police de proximité à l’influence délétère des réseaux sociaux, ces loupes grossissantes où les propos du café du commerce deviennent des fake news gobées par des centaines de milliers d’internautes. Mais non, en d’autres circonstances, Manuel Valls avait déjà dit cette phrase incroyable : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

Le hasard fait que je lis, ces temps-ci, Les Mystères de Paris d’Eugène Sue qui viennent de reparaître dans la collection 10/18. Eugène Sue qui, le premier, dépeint l’incroyable violence des bas-fonds de Paris dans les années 1830, écrit ainsi : « Les sinistres régions de la misère et de l’ignorance sont peuplées d’êtres morbides, aux cœurs flétris. Assainissez ces cloaques, répandez-y l’instruction, l’attrait du travail, d’équitables salaires, de justes récompenses, et aussitôt ces visages maladifs, ces âmes étiolées renaîtront au bien, qui est la santé, la vie de l’âme. » Il n’est pas près d’être invité sur CNews, Eugène Sue.

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Crépol : "On ose à peine demander qu’on s’interroge ensemble sur les raisons de cette ultraviolence"

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24.11.2023

On est dans la Drôme, à Crépol, cinq cents habitants. Il y a un bal sur invitation. Une bande veut rentrer de force. On refuse. La bande sort des couteaux. Thomas, seize ans, meurt poignardé alors que plusieurs blessés sont hospitalisés. Voilà les faits. Voilà la tragédie de la mort d’un adolescent, pour rien. Et puis tout s’emballe, comme d’habitude. Ce fait divers devient l’objet de la récupération immédiate de l’extrême droite. Celle qui s’agite sur les réseaux sociaux, celle qui a pris des années d’avance sur la Toile grâce aux agrégateurs d’informations comme Fdesouche qui font une veille sur tous les faits divers où pourrait être impliquée la « racaille ». Dans le petit lexique de l’extrême droite, racaille est synonyme de tous les jeunes avec un nom à consonance arabe ou subsaharienne.

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Maintenant, il semblerait même qu’une chaîne d’information en continu, appartenant à un milliardaire breton qui a son propre agenda idéologique, se comporte de la même manière. La........

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