Le 15 novembre 2018, à la suite de l’acquittement de Georges Tron, Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’État socialiste, écrivait sur X (ex-Twitter) : « Verdict désespérant pour les droits des victimes : le doute ne doit plus bénéficier aux accusés ! C’est le retour du droit de cuissage ? #MeToo n’aura donc servi à rien ? Le parquet doit faire appel. » C’est ce qu’il a fait et Georges Tron a été condamné le 17 février 2021 à trois ans de réclusion criminelle. Avec le recul, je crois que cette prise de position aurait dû être dénoncée. Non pas parce que Georges Tron a été acquitté puis condamné : je ne connais pas les détails du dossier mais sa condamnation est définitive et je m’y tiens. Mais parce que par la suite, est née dans la tête de certains l’idée que le système actuel protégerait les violeurs et qu’il faudrait donc adopter une nouvelle définition du viol. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le célèbre « Je te crois » est devenu un slogan chez certaines militantes et femmes politiques.

Le 26 janvier 2021, interrogée après la sortie du livre de Camille Kouchner, La familia grande [dans lequel elle accuse son beau-père, Olivier Duhamel, d’avoir agressé sexuellement son frère] Irène Théry, psychologue, expliquait dans Philosophie Magazine : « Pour sortir de l’impasse, il faut inscrire, dans le droit, l’idée d’un crédit de véracité au bénéfice des victimes : même si le procès ne parvient pas à établir la culpabilité de leurs agresseurs, celles-ci doivent être supposées ne pas mentir jusqu’à preuve du contraire. » Il y aurait donc des hommes pas condamnés donc innocentés mais des victimes qui seraient reconnues comme ayant dit la vérité. C’est tout de même tellement tiré par les cheveux que j’ai encore du mal à comprendre. Et je me demande comment nous avons pu collectivement en arriver à de telles âneries.

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Il y a quelques jours, la France s’est opposée à la rédaction d’un article d’une directive européenne prévoyant une définition commune du viol dont les femmes sont victimes et les réactions excessives n’ont évidemment pas manqué…

Sandrine Rousseau : « Aujourd’hui sortira une directive européenne sur le droit des femmes. Il n’y aura rien sur le viol. La France s’est opposée à ce que l’article 5 figure dans le texte. Cet article caractérisait le viol comme un crime, dès lors qu’il n’y avait pas de consentement ».

Manon Aubry : « Est-ce que vous pensez qu’une relation sexuelle sans consentement est un viol ? C’est une évidence pour tout le monde, sauf pour Emmanuel Macron qui a bloqué cette définition européenne du viol après avoir couvert et félicité Depardieu. C’est une honte absolue ! »

Raphaël Glucksmann : « Emmanuel Macron vient de réussir à exclure la définition et la criminalisation du viol de la loi européenne sur les violences contre les femmes ».

« Le viol est bel et bien déjà un crime, contrairement à ce que j’ai lu et entendu. »

Communication politique réussie puisque durant plusieurs jours, nous avons eu droit à un défilé d’offusqués, n’hésitant pas à affirmer que la France ne protégerait pas ses femmes et ses jeunes filles. Alors même que les cours criminelles départementales, chargées de juger le crime de viol, tournent à plein régime depuis leur création et que les tribunaux correctionnels condamnent tous les jours des conjoints violents.

Sur une échelle de l’agacement de 0 à 10, j’étais donc bien à 15, voyez-vous. Des propos sans aucune contradiction sur l’immense majorité des plateaux de télévision : voilà à quoi nous avons eu droit. Personne ne dit comment notre Code pénal définit le viol, personne ne dit ce qui était prévu dans cette fameuse directive, personne ne contredit personne. C’est : élément de langage contre élément de langage. Punchline contre punchline. Alors qu’il s’agit d’une vraie question de droit qui va bien au-delà de l’opposition politicienne à Emmanuel Macron.

Pourtant, le viol est bel et bien déjà un crime, contrairement à ce que j’ai lu et entendu. L’article 222-23 du Code pénal dispose que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle ». Pour que le crime de viol soit constitué, il faut que l’auteur pénètre sexuellement autrui en usant de menace, de contrainte, de surprise ou de violence.

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Comme pour toutes les infractions, l’enquête pénale visera à interroger le comportement du suspect pour savoir s’il a pénétré sexuellement le ou la plaignante, et s’il l’a fait avec menace, violence, contrainte ou surprise. Et les tribunaux apprécient de façon très large ces notions, par exemple, lorsque le plaignant, ou la plaignante, est alcoolisé, ou endormi au moment de la pénétration. Le suspect étant présumé innocent, ce sont des éléments à charge contre lui (mais aussi à décharge) que l’enquête devra recueillir. Les déclarations du plaignant, ou de la plaignante, servant en réalité d’indice sérieux et devant être confirmées par des éléments extérieurs. On croit une accusation, certes, mais pour poursuivre et condamner il faut confirmer ces accusations. C’est une logique assez évidente, me semble-t-il. Et j’imagine que personne ne souhaite que l’on condamne, en France, sur des accusations ni vérifiées ni confirmées par une enquête de police. Aussi crédibles soient-elles. Une accusation est une chose à entendre et à écouter. Mais la justice pénale a besoin de preuves. Et c’est heureux pour éviter les lynchages publics et les condamnations à l’emporte-pièce.

Alors que nous proposait l’article 5 de la fameuse directive européenne qui en a fait hurler beaucoup ?

Cet article visait à imposer aux États une définition commune du viol afin d’en faire un eurocrime, dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes :

« Les États-membres veillent à ce que les comportements intentionnels suivants soient passibles de sanctions en tant qu’infractions pénales :

a) le fait de se livrer avec une femme à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet.

b) le fait de contraindre une femme à se livrer avec une autre personne à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec tout ou partie du corps ou avec un objet.

Les États-membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre en raison de son état physique ou mental, par exemple parce qu’elle est inconsciente, ivre, endormie, malade, blessée physiquement ou handicapée, et où cette incapacité à se forger une volonté libre est exploitée.

Le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. L’absence de consentement ne peut être réfuté exclusivement par le silence de la femme, son absence de résistance verbale ou physique ou son comportement sexuel passé. »

Vu la rédaction de cet article, j’ai tout de suite compris pourquoi la France n’en avait pas voulu. Et je me dis que c’est d’ailleurs sûrement la raison pour laquelle nos offusqués ne l’ont pas cité dans leurs tweets ou dans leurs interviews, car cela n’aurait pas servi leur militantisme politique.

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D’abord, force est de constater que cet article 5 voulait imposer aux Etats d’adopter une définition commune du viol uniquement lorsqu’il est commis sur des femmes. Et cela ne vous aura pas échappé en le lisant ! Si cet article avait été validé par la France, nous aurions donc accepté dans notre droit pénal une définition du viol différente en fonction du sexe des plaignants et, si je peux me permettre, cela n’est pas possible, mais surtout pas souhaitable, sauf à minimiser, voire à nier, l’existence du crime de viol commis sur des hommes. Et ces viols existent bel et bien, au risque de heurter certaines dans leurs croyances.

La lutte contre les violences faites aux femmes ne doit pas se faire au mépris de la lutte contre les violences sexuelles tout court. Et pourtant, pas une seule seconde, les réactions publiques n’ont évoqué cette différence de traitement, et cette absence de considération pour les hommes. Ou alors, traiter les femmes différemment en leur personnalisant une définition du viol ne leur pose aucun souci. Moi, si.

Mais pire. L’article 5 visait à demander aux États-membres de définir le viol, non plus par rapport au comportement du suspect (comme c’est le cas dans notre loi pénale actuelle puisqu’il faut rapporter la preuve que le suspect a pénétré sexuellement autrui et qu’il a employé la force, la menace, la surprise ou la contrainte), mais par rapport aux déclarations de la plaignante, et plus spécialement par rapport à son consentement.

« C’est le consentement des femmes qui sera remis en cause, débattu. »

Une femme dit qu’elle n’a pas consenti ? C’est un viol. Il faudra alors prouver qu’elle était consentante si l’on veut pouvoir se défendre et comment va-t-on le faire ? En interrogeant son comportement à elle, et non plus celui du suspect. Vont s’en suivre évidemment des débats sur la taille de sa jupe, son comportement de séductrice, son regard aguicheur... Pourquoi je vous dis cela ? Car malheureusement, ce sont des propos qui sont déjà tenus par des suspects dans nombreux dossiers. Propos que, même en défense, je refuse de tenir lors de mes plaidoiries.

Je suis ainsi étonnée que nos militantes passent leur temps à dire qu’il ne faut pas interroger le comportement de celle qui se dit victime, et je partage leur avis sur ce point, tout en voulant un texte pénal et une définition du viol qui déplacera les débats judiciaires sur elle. Ce sont ainsi les femmes qui seront interrogées, questionnées, observées. C’est leur consentement à elles qui sera remis en cause, débattu. Et que dire alors des femmes qui sont violées et qui n’ont même pas conscience de l’être ? Ou des femmes qui reviendront sur leurs accusations, sur leur consentement, en disant qu’elles n’ont pas trop consenti ? Vous imaginez les débats ubuesques que nous allons avoir dans nos palais de justice ?

Le viol fondé sur la notion de consentement entraînera évidemment des débats sur la parole de la partie civile. C’est cela que vous voulez ? À nous d’expliquer cela aux femmes, mais aussi aux hommes, plutôt que de leur mentir avec des slogans indignes de la lutte contre les violences sexuelles.

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"Pourquoi la France a eu raison de s'opposer à la directive européenne sur le viol"

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14.02.2024

Le 15 novembre 2018, à la suite de l’acquittement de Georges Tron, Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’État socialiste, écrivait sur X (ex-Twitter) : « Verdict désespérant pour les droits des victimes : le doute ne doit plus bénéficier aux accusés ! C’est le retour du droit de cuissage ? #MeToo n’aura donc servi à rien ? Le parquet doit faire appel. » C’est ce qu’il a fait et Georges Tron a été condamné le 17 février 2021 à trois ans de réclusion criminelle. Avec le recul, je crois que cette prise de position aurait dû être dénoncée. Non pas parce que Georges Tron a été acquitté puis condamné : je ne connais pas les détails du dossier mais sa condamnation est définitive et je m’y tiens. Mais parce que par la suite, est née dans la tête de certains l’idée que le système actuel protégerait les violeurs et qu’il faudrait donc adopter une nouvelle définition du viol. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le célèbre « Je te crois » est devenu un slogan chez certaines militantes et femmes politiques.

Le 26 janvier 2021, interrogée après la sortie du livre de Camille Kouchner, La familia grande [dans lequel elle accuse son beau-père, Olivier Duhamel, d’avoir agressé sexuellement son frère] Irène Théry, psychologue, expliquait dans Philosophie Magazine : « Pour sortir de l’impasse, il faut inscrire, dans le droit, l’idée d’un crédit de véracité au bénéfice des victimes : même si le procès ne parvient pas à établir la culpabilité de leurs agresseurs, celles-ci doivent être supposées ne pas mentir jusqu’à preuve du contraire. » Il y aurait donc des hommes pas condamnés donc innocentés mais des victimes qui seraient reconnues comme ayant dit la vérité. C’est tout de même tellement tiré par les cheveux que j’ai encore du mal à comprendre. Et je me demande comment nous avons pu collectivement en arriver à de telles âneries.

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Il y a quelques jours, la France s’est opposée à la rédaction d’un article d’une directive européenne prévoyant une définition commune du viol dont les femmes sont victimes et les réactions excessives n’ont évidemment pas manqué…

Sandrine Rousseau : « Aujourd’hui sortira une directive européenne sur le droit des femmes. Il n’y aura rien sur le viol. La France s’est opposée à ce que l’article 5 figure dans le texte. Cet article caractérisait le viol comme un crime, dès lors qu’il n’y avait pas de consentement ».

Manon Aubry : « Est-ce que vous pensez qu’une relation sexuelle sans consentement est un viol ? C’est une évidence pour tout le monde, sauf pour Emmanuel Macron........

© Marianne


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