« Une victoire de la présomption d’innocence » ! Les mots de Jacqueline Laffont Haïk, une des plus grandes pénalistes de France, résonnent encore dans les couloirs du palais de justice de l’île de la Cité depuis qu’elle les a prononcés le 29 novembre. Après un procès retentissant de 15 jours, des débats houleux et passionnés, le bouillonnant ministre de la Justice en exercice, Éric Dupond-Moretti, a été relaxé. La Cour de Justice de la République, composée de 3 magistrats de la Cour de Cassation et de 12 parlementaires (députés et sénateurs) a jugé qu’il était innocent des faits qui lui étaient reprochés.

Fin de trois ans d’une guerre ouverte entre certains syndicats de magistrats et leur ministre de tutelle. Trois ans de suspicion. Des milliers d’articles de presse qui se sont écrasés sur le silence du ministre, mis en examen, puis prévenu, qui avait annoncé réserver sa parole à ses juges. Et qui est resté en poste, y compris lors de ces journées d’audience.

« 69 % des sondés jugent qu’en règle générale les élus et les dirigeants politiques français sont plutôt corrompus qu’honnêtes »

Éric Dupond-Moretti est donc innocent. La justice a été rendue. La justice telle que notre Constitution la prévoit (article 68-1) : « les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de Justice de la République ».

Une justice rendue cependant dans un contexte particulier… Quelques semaines avant le début de cette audience, le baromètre annuel de la confiance politique venait de publier ses derniers chiffres : « 69 % des sondés jugent qu’en règle générale les élus et les dirigeants politiques français sont plutôt corrompus qu’honnêtes ». Quant à la confiance dans la justice, elle venait d’atteindre son niveau le plus bas puisque « 70 % des Français la trouvent laxiste ».

A LIRE AUSSI : Relaxe de Dupond-Moretti : "La suppression pure et simple de la CJR n'est pas la solution miracle"

Un drame pour notre démocratie. Drame dont nos responsables politiques ne semblent pas mesurer l’ampleur puisqu’ils alimentent cette défiance au quotidien. Alors qu’on aurait pu s’attendre à un peu de hauteur de leur part, vu l’enjeu et le contexte, l’immense majorité de nos politiques n’a même pas attendu de connaître la motivation écrite de la relaxe du ministre pour hurler au scandale. Relaxe de surcroît fondée sur une analyse très technique d’un des délits les complexes de notre droit pénal, celui de prise illégale d’intérêt. Je suis évidemment (et encore une fois) tombée des nues face à tant d’excès !

« Un bras d’honneur à l’idée de justice » - Ugo Bernalicis (LFI).

« Éric Dupond-Moretti doit tout de même démissionner, même s'il n'est pas reconnu coupable de prise illégale d'intérêts parce qu'il est coupable d’incompétence » - Laurent Jacobelli (RN).

« La Cour de Justice de la République est une Cour dans laquelle 12 des juges (sur 15) sont des parlementaires en proportion de chaque groupe. Comment dès lors faire confiance au jugement émis ? » - Sandrine Rousseau (EELV).

Ces réactions étaient tant attendues que je savais déjà qui dirait quoi : à gauche, des critiques visant à remettre en cause l’existence de la CJR (puisque c’est dans leur programme politique) ; à droite, des critiques visant le ministre lui-même et le laxisme judiciaire dont il serait responsable (un leitmotiv quotidien qui fonde leur programme politique).

Julien Odoul a aussi posé sa pierre à l’édifice des âneries politiques, en direct sur une chaîne d’infos, analysant cette « relaxation » comme une « insulte à toutes les victimes », dans un raisonnement alambiqué que je n’ai moi-même pas encore compris puisque le ministre n’a fait aucune victime… Quant à Sandrine Rousseau, elle a tweeté qu’on ne pouvait pas faire confiance à ses collègues parlementaires.

Cerise sur le gâteau de ces excès, le groupe LFI a écrit au parquet général pour l’inciter à saisir la cour de cassation afin de contester cette relaxe. Oui, oui, vous lisez bien : des députés qui demandent au Parquet de contester une décision de justice rendue après un débat contradictoire qui s’est tenu dans le respect de la loi. On croit rêver !

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Des excès, encore des excès, toujours des excès. Des éléments de langage, encore et toujours. Placer ses idées, quel que soit le contexte, quels que soient les arguments, quel que soit le moment. Il ne faut plus prendre le temps de réfléchir : il faut agir tout de suite. Il faut battre le fer (du buzz) tant qu’il est chaud. Peu importe finalement qu’Éric Dupond-Moretti ait été relaxé ou condamné d’ailleurs, ce n’est visiblement plus le sujet : les uns veulent la suppression de la CJR, les autres pouvoirs hurler au laxisme de la justice.

Ces critiques ne m’étonnent donc guère plus. La justice est piétinée, tous les jours, par ceux qui sont censés la respecter le plus. On ne cherche plus à la comprendre et on se contente d’un tweet de quelques mots pour se faire un avis intangible. Contester la justice est aujourd’hui un programme politique en tant que tel. Et cela finira par causer sa perte. Et avec elle, celle de notre démocratie.

QOSHE - Après la relaxe de Dupond-Moretti par la CJR : "des excès et des âneries" - Julia Courvoisier
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Après la relaxe de Dupond-Moretti par la CJR : "des excès et des âneries"

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04.12.2023

« Une victoire de la présomption d’innocence » ! Les mots de Jacqueline Laffont Haïk, une des plus grandes pénalistes de France, résonnent encore dans les couloirs du palais de justice de l’île de la Cité depuis qu’elle les a prononcés le 29 novembre. Après un procès retentissant de 15 jours, des débats houleux et passionnés, le bouillonnant ministre de la Justice en exercice, Éric Dupond-Moretti, a été relaxé. La Cour de Justice de la République, composée de 3 magistrats de la Cour de Cassation et de 12 parlementaires (députés et sénateurs) a jugé qu’il était innocent des faits qui lui étaient reprochés.

Fin de trois ans d’une guerre ouverte entre certains syndicats de magistrats et leur ministre de tutelle. Trois ans de suspicion. Des milliers d’articles de presse qui se sont écrasés sur le silence du ministre, mis en examen, puis prévenu, qui avait annoncé réserver sa parole à ses juges. Et qui est resté en poste, y compris lors de ces journées d’audience.

« 69 % des sondés jugent qu’en règle générale les élus et les dirigeants politiques français sont plutôt corrompus qu’honnêtes »

Éric Dupond-Moretti est donc innocent. La justice a été rendue. La justice telle que notre Constitution la prévoit (article 68-1) : « les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans........

© Marianne


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