Les Français s’intéressent à la justice. Ils veulent savoir qui juge et ce qui est jugé. C’est heureux, à l’heure où beaucoup d’entre eux n’ont pas confiance en elle et où la critique de certaines décisions est devenue un sport politique national. Mais si parler de justice est essentiel, il faut en parler bien, de façon que ceux qui nous écoutent, ou nous lisent, en tirent quelque chose.

À propos du déballage médiatique de la famille Delon, nous savons que sa fille est peu appréciée dans son village suisse, que l’un de ses fils croit pouvoir soigner le cancer à base de plantes et de jus de fruits pressés, et que l’ancienne petite amie du dernier fils apporte tout son soutien à son ex-compagnon… Il y aurait pourtant eu matière à parler de la protection judiciaire des personnes malades et âgées par le juge du contentieux et de la protection, des mesures civiles qui existent et des infractions pénales qui pourraient être commises. C'est loupé pour cette fois-ci.

Ce week-end, autre information à la rubrique judiciaire : Nordahl Lelandais est devenu père alors qu’il est en prison. Pire, il est devenu père alors qu’il est un « tueur d’enfant ». Les familles de ses victimes, à très juste titre, ont fait part de leur dégoût et de leur colère : « C’est écœurant, à gerber : nos enfants n’ont pas eu le droit de vivre ». « Un assassin, un tueur d'enfant, un pédophile a donné la vie dans une prison. C'est au-delà du réel ». Comment ne pas comprendre leurs réactions, évidemment ? C’est leurs douleurs, leurs enfants, leurs vies et nous devons respecter cette colère, leur incompréhension et leur nausée.

« Malgré tout ce que l’on peut entendre, non, Nordahl Lelandais ne sortira pas dans 15 ans. »

Mais l'idée même de justice impose de dépassionner les débats. Alors, allons un peu plus loin et évoquons la questions que l'information pourrait soulever : celle de la sexualité en prison. Peut-on, oui ou non, avoir des enfants alors qu’on est incarcéré, y compris pour des crimes atroces ? Doit-on autoriser les détenus à construire une famille à l’intérieur de nos cellules ? Je pense que oui.

Nordahl Lelandais a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité dans l’affaire Maëlys, assortie d’une période de sûreté de 22 ans. Il a en outre été condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d’Arthur Noyer, ainsi qu’à un an de prison pour une agression sexuelle. Il n’est pas un cas unique puisque les cours d’assises condamnent régulièrement des meurtriers d’enfants et des pédophiles. C’est en revanche un cas médiatique.

Que les choses soient claires : il y a de très grandes chances que Nordahl Lelandais termine sa vie dans une cellule de 9 m2. Il pourra seulement, s’il le souhaite, déposer une demande d’aménagement de peine au bout de 22 ans de prison. Sans avoir la moindre certitude qu’elle aboutisse. Malgré tout ce que l’on peut entendre, non, il ne sortira pas dans 15 ans. C’est faux, et cela commence à bien faire de laisser passer de tels mensonges auprès de l’opinion publique qui n’a vraiment pas besoin de cela en ce moment.

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Maintenant que la justice a tranché, comment les choses se passent-elles entre les murs ? Si la loi prévoit que la sanction pénale a d’abord pour objet de sanctionner l’auteur, et c’est bien normal, l’article 130-1 du Code pénal ajoute qu’elle a aussi pour but « de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Et ce, même si le détenu n’a quasiment aucune chance de vivre de nouveau libre un jour.

En prison, le principe est que les rapports sexuels sont interdits. Il ne faudrait pas que les visiteurs puissent remettre aux détenus des objets dangereux. Les familles n’ont ainsi pas le droit de toucher leurs proches lorsqu’elles vont les visiter, encore moins d’avoir des relations intimes. Si un détenu est surpris en plein acte sexuel, il risque des sanctions disciplinaires et son proche de voir son permis de visite suspendu.

Pour pouvoir permettre à des détenus de continuer à vivre (parce que oui, en prison, il faut vivre, même pendant 40 ans) et à avoir une sexualité, il est possible de bénéficier d’une « UVF », unité de vie familiale : ce sont des petits appartements ou des grandes pièces où le détenu peut recevoir sa famille et/ou ses enfants pour partager quelques heures de proximité. Pour avoir un « parloir UVF », il faut en faire la demande, c’est un droit mais, encore une fois, la réponse est aléatoire. En outre, tous les établissements pénitentiaires ne proposent pas ces parloirs UVF. Les détenus ne s’envoient pas en l’air tous les week-ends dans des lofts pénitentiaires aux frais du contribuable, je vous rassure.

« Quelle est la raison de cette volonté d’interdiction que je vois crier sur les plateaux télé, si ce n’est assouvir une vengeance ? »

Le sexe en prison est en réalité un vrai tabou. Il existe peu d’études concernant les effets de cette privation sexuelle. Un article de l’OIP (Observatoire international des prisons) datant de 2016 en a pourtant fait état : « La frustration sexuelle constitue un facteur d’aggravation des tensions et agressions au sein des établissements pénitentiaires. Des études ont en effet montré que les détenus qui peuvent conserver des relations sexuelles avec leur compagne(on) sont moins violents en détention et causent moins d’incidents. Elles montrent aussi que les États autorisant les visites conjugales ont un niveau inférieur de violence sexuelle en prison. »

Pourquoi alors vouloir interdire aux détenus d’avoir un semblant de vie sexuelle si cela permet du calme en détention ? Pourquoi, si ce n’est pour les punir, encore, de ce qu���ils ont fait ? Et après le sexe, il faudra quoi ? Leur interdire de manger en dehors de certaines heures, leur interdire de se laver, de voir la lumière du jour ?

Quelle est la raison de cette volonté d’interdiction que je vois crier sur les plateaux télé, si ce n’est assouvir une vengeance ? Faire souffrir l’autre, même si la justice est passée ? Vous vivriez mieux au quotidien si vous saviez que tel ou tel détenu ne peut pas avoir de rapports sexuels quatre fois par an sous surveillance de l’administration pénitentiaire ? Vous pensez à l’enfant de Nordahl Lelandais qui va devoir vivre avec un père pareil ? Oui, moi aussi, mais en quoi cela nous regarde ? Il y a aussi des enfants conçus hors des murs de prison qui ont des parents qu’on ne leur souhaite pas.

Les familles des victimes sont écœurées et c’est parfaitement normal. Nous le sommes aussi, je le suis aussi, j’en conviens. Mais nous ne pouvons pas passer notre temps à critiquer la justice et la loi pénale dans l’émotion médiatique. Gageons seulement que cet enfant soit protégé, suivi, entouré et surtout, une fois la colère passée, réfléchissons à la justice et à la prison que nous voulons dans une démocratie telle que la nôtre.

QOSHE - Nordahl Lelandais père : "Non, les détenus ne s’envoient pas en l’air aux frais du contribuable" - Julia Courvoisier
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Nordahl Lelandais père : "Non, les détenus ne s’envoient pas en l’air aux frais du contribuable"

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17.01.2024

Les Français s’intéressent à la justice. Ils veulent savoir qui juge et ce qui est jugé. C’est heureux, à l’heure où beaucoup d’entre eux n’ont pas confiance en elle et où la critique de certaines décisions est devenue un sport politique national. Mais si parler de justice est essentiel, il faut en parler bien, de façon que ceux qui nous écoutent, ou nous lisent, en tirent quelque chose.

À propos du déballage médiatique de la famille Delon, nous savons que sa fille est peu appréciée dans son village suisse, que l’un de ses fils croit pouvoir soigner le cancer à base de plantes et de jus de fruits pressés, et que l’ancienne petite amie du dernier fils apporte tout son soutien à son ex-compagnon… Il y aurait pourtant eu matière à parler de la protection judiciaire des personnes malades et âgées par le juge du contentieux et de la protection, des mesures civiles qui existent et des infractions pénales qui pourraient être commises. C'est loupé pour cette fois-ci.

Ce week-end, autre information à la rubrique judiciaire : Nordahl Lelandais est devenu père alors qu’il est en prison. Pire, il est devenu père alors qu’il est un « tueur d’enfant ». Les familles de ses victimes, à très juste titre, ont fait part de leur dégoût et de leur colère : « C’est écœurant, à gerber : nos enfants n’ont pas eu le droit de vivre ». « Un assassin, un tueur d'enfant, un pédophile a donné la vie dans une prison. C'est au-delà du réel ». Comment ne pas comprendre leurs réactions, évidemment ? C’est leurs douleurs, leurs enfants, leurs vies et nous devons respecter cette colère, leur incompréhension et leur nausée.

« Malgré tout ce que l’on peut entendre, non, Nordahl Lelandais ne sortira pas dans 15 ans.........

© Marianne


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