En février, en Seine-et-Marne, des images des victimes du terrible accident de la route causé par Pierre Palmade, sur leur lit d’hôpital, étaient diffusées sans retenue. Conférences de presse, images des véhicules cabossés, mots des premiers pompiers intervenus sur place : l’accident, comme si nous y étions, mais depuis notre canapé, bien au chaud. En moins de trois jours, nous savions tout ce que nous pensions devoir savoir : Pierre Palmade, sombre drogué, assassin d’enfant. La chute d’une icône du rire en une de toutes les émissions.

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En juin à Annecy, étrange interview en direct d’un homme sortant de garde à vue, témoignant de l’état psychiatrique du suspect de l’attentat terroriste au couteau. Cueilli à la sortie du commissariat par des « reporters sur place » pour dire ce qu’il avait entendu le suspect (retenu dans la cellule d’à côté) dire aux policiers. En moins de trois jours, là aussi, nous savions tout ce que nous pensions devoir savoir de ce dossier : un islamiste radicalisé attaquant au couteau des bébés. Fort heureusement, « Henri, le héros d’Annecy », l’arrêtait avec force et courage. Henri à la cathédrale de Reims, « Henri le héros au sac à dos » sur YouTube. Henri a aujourd’hui son portrait gravé dans la pierre de Google. Henri et son sourire gêné à jamais dans nos mémoires médiatiques.

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En juillet, au Haut Vernet, nous partions tous à la recherche du « Petit Émile », ce gamin de deux ans subitement disparu qui ne s’appellera d’ailleurs plus jamais « Émile », mais « Le Petit Émile » pour les besoins de la cause médiatique. Nous nous sommes encore une fois jetés comme des vautours sur ce drame, à tel point que le maire de ce village a dû en interdire l’accès afin d’éviter un « tourisme malveillant ». Nous ne savons finalement absolument rien de cette affaire mais « Le Petit Émile » est notre fils à tous et nous attendons de le retrouver, nos cœurs de téléspectateurs serrés et aux aguets à chaque nouvelle information qui passe.

En novembre à Crépol, petit village sans histoire, nouveau drame : Thomas, un jeune rugbyman, mourrait sous les coups de couteau de jeunes d’une cité voisine lors d’un bal populaire. En moins de 24 heures et grâce aux émissions intégralement consacrées à cette affaire, nous savions évidemment tout ce que nous pensions devoir savoir : village de campagne contre cité pourrie, rugbyman contre voyou, Français contre Arabes, bourgeois contre immigrés. En quelques mots : une horde de délinquants des cités venus s’attaquer à des rugbymen campagnards sans histoire.

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Mais récemment, nous avons appris par la presse que ce drame n’était peut-être pas aussi évident que ce qui nous avait été raconté quinze jours plus tôt. De nombreux témoins auraient été entendus et le déroulement de la soirée aurait commencé à s’éclaircir un peu plus. Des insultes racistes auraient fusé de part et d’autre et des tensions auraient émaillé la soirée bien avant la mort de Thomas. Le contexte, comme on dit souvent. Un contexte qui n’enlève rien à l’atrocité de la mort de Thomas. Et qui n’excuse en rien le geste mortel de celui qui est responsable et qui, je le dis très clairement, devra être identifié avec certitude et condamné. Le contexte qui explique et apporte des réponses. Expliquer, ce n’est pas pardonner ni excuser. Et pour une fois, en moins de trois jours, l’affaire médiatique n’était finalement pas pliée. Et, à ma grande surprise, il faut le dire, cela en a heurté plus d’un.

Que comprendre alors ? C’est pourtant assez simple : le récit médiatique est celui qui ramène des téléspectateurs et fait vendre. Il est fondé sur des fuites partielles dans la presse, commentées, chroniquées et déformées par ceux qui ont intérêt à ce que ce récit devienne une vérité publique. Le récit médiatique est celui que certains veulent entendre. Ni plus, ni moins. Mais il y a donc aujourd’hui officiellement un récit médiatique. Et un récit judiciaire. L’un semblant s’opposer à l’autre. Le premier existant au détriment du second. Il suffit pourtant de mettre les pieds une après-midi dans un tribunal pour comprendre que la vérité judiciaire ne sera jamais un récit médiatique. Et que seule la vérité judiciaire doit compter dans notre démocratie. Le reste n’est que du bavardage sans intérêt.

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De surcroît, le récit médiatique n’a, en général, pas grand-chose à voir avec le dossier pénal. Il est systématiquement incomplet et subjectif. Tronqué et déformé. La mort de Thomas à Crépol est un drame atroce. Injuste. Abominable. Elle n’est pas et ne sera jamais un récit médiatique : c’est une affaire pénale grave pour lequel l’enquête est en cours. Et qui devra donner lieu à un procès à la fin duquel des condamnations devront être prononcées. Point barre. C’est à la justice de faire son travail. Et l’opinion publique devra s’y faire, au risque d’être heurtée.

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Palmade, Émile, Annecy, Crépol… "La vérité judiciaire ne sera jamais un récit médiatique"

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15.12.2023

En février, en Seine-et-Marne, des images des victimes du terrible accident de la route causé par Pierre Palmade, sur leur lit d’hôpital, étaient diffusées sans retenue. Conférences de presse, images des véhicules cabossés, mots des premiers pompiers intervenus sur place : l’accident, comme si nous y étions, mais depuis notre canapé, bien au chaud. En moins de trois jours, nous savions tout ce que nous pensions devoir savoir : Pierre Palmade, sombre drogué, assassin d’enfant. La chute d’une icône du rire en une de toutes les émissions.

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En juin à Annecy, étrange interview en direct d’un homme sortant de garde à vue, témoignant de l’état psychiatrique du suspect de l’attentat terroriste au couteau. Cueilli à la sortie du commissariat par des « reporters sur place » pour dire ce qu’il avait entendu le suspect (retenu dans la cellule d’à côté) dire aux policiers. En moins de trois jours, là aussi, nous savions tout ce que nous pensions devoir savoir de ce dossier : un islamiste radicalisé attaquant au couteau des bébés. Fort heureusement, « Henri, le héros d’Annecy », l’arrêtait avec force et courage. Henri à la cathédrale de Reims, « Henri le héros au sac à dos » sur YouTube. Henri a........

© Marianne


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