Depuis le lundi 6 novembre, un procès un peu particulier se tient au Palais de Justice de Paris, situé sur l’île de la Cité. Particulier d’abord, car celui qui comparaît est le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. Ancien avocat que l’on surnommait « Acquitator », modèle d’éloquence pour bon nombre de membres de la profession, monstre des prétoires, bourré de talent et de tempérament, il doit répondre d’une prise illégale d’intérêts, délit qui lui fait risquer cinq ans de prison et 500 000 euros d’amende.

Il est présumé innocent et va plaider sa relaxe. Raison d’ailleurs pour laquelle il a refusé de démissionner et gère les affaires du ministère de la justice depuis le banc des prévenus, sur lequel l’attend tous les jours une bouteille d’eau, contrairement à tous les autres prévenus de France et de Navarre.

Si le 2 mars 2017, sans sourciller ni avoir la main qui tremble, le candidat Macron avait annoncé « qu’un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu’il est mis en examen », c’est aujourd’hui finalement un ministre en exercice qui comparait pour une infraction pénale qu’il est suspecté d’avoir commise alors qu’il venait d’être nommé à la Chancellerie.

Ce procès est particulier ensuite car c’est la Cour de Justice de la République (CJR) qui le juge. Composée de trois magistrats de la Cour de Cassation mais aussi et surtout de six députés et six sénateurs, elle est beaucoup critiquée et certains veulent même la supprimer, l’accusant d’être laxiste, trop lente, et surtout, gangrenée par les amitiés politiques. Ah, le fameux laxisme des juges… ! En l’occurrence celui des parlementaires lorsqu’ils jugent leurs amis, leurs collègues, et même leurs opposants.

Quoi qu’il en soit, ce n’est donc pas rien. C’est un procès pénal qui, à l’évidence, laissera des traces. Alors quelle ne fût pas ma surprise de lire les comptes rendus d’audience des journalistes de ce lundi 6 novembre 2023 :

« Nombreux (parlementaires juges) prennent des notes. Julien Bayou, juge suppléant, pianote quant à lui régulièrement sur son portable ».

« Parmi les juges parlementaires, les carnets de notes se remplissent. La juge Danièle Obono, elle, semble s’être endormie ».

« Plusieurs téléphones apparaissent dans les mains des parlementaires. Le juge Bruno Bilde se plonge régulièrement dans l’examen des dorures du plafond ».

« Le juge Philippe Gosselin a cédé à son tour à la tentation du portable qu’il ne lâche plus ».

« Alors que le président annonce la fin de sa lecture, la juge Émilie Chandler pianote elle aussi sur son téléphone ».

J’avoue être tombée de ma chaise en lisant cela. Et je n’ai pas été la seule. Comment peut-on avoir ne serait-ce que l’idée d’envoyer un SMS ou de tweeter alors que l’on est chargé de juger un ministre de la justice en exercice qui, de surcroît, se dit innocent ? Que peut-il y avoir de plus urgent que d’écouter le compte rendu du président de la Cour de Justice de la République ? Que peut-il y avoir de plus important que d’écouter les premiers mots d’un prévenu ?

C’est simple, en quatorze ans de barreau, je n’ai jamais vu un magistrat sortir son téléphone portable en audience. Jamais. Pas un seul. Pour être tout à fait honnête, en quatorze ans de barreau, j’ai vu deux magistrats piquer du nez, et encore, il était plus de 22 heures et nous étions en audience depuis le début de l’après-midi. Une seule fois, en quatorze ans de barreau, un juge assesseur du tribunal correctionnel qui devait juger l’un de mes clients, qui risquait 20 ans de prison, s’est mis à ronfler et l’audience a été suspendue pour qu’il aille boire un café. Il s’en est excusé.

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Dans n’importe quelle juridiction de France, il serait impensable qu’un magistrat, chargé de juger un prévenu ou un accusé, fasse autre chose que d’écouter les débats. Que d’écouter le président de l’audience mais aussi et surtout la défense du mis en cause. Si jamais cela se produisait, les avocats le feraient immédiatement remarquer et je pense même qu’un incident d’audience se produirait. Juger, c’est grave. Juger, c’est sérieux. Juger, c’est avoir l’avenir d’un homme entre ses mains. Juger, c’est participer à la paix sociale. La justice, ce n’est pas uniquement hurler sur les plateaux télévisés et à l’Assemblée sur ses adversaires à des fins électorales. La justice, ce n’est pas uniquement critiquer les condamnations à l’emporte-pièce par tweet ou communiqué de presse.

Contrairement à ce que croit l’opinion publique qui se repaît, au quotidien, des affaires pénales surmédiatisées, juger n’est pas chose facile. Même si, comme l’a indiqué il y a quelques mois un célèbre animateur de télévision : « Je n’ai pas peur de le dire, pour ce genre de personne, pour moi, le procès doit se faire immédiatement, en quelques heures, et terminé, c’est perpétuité directe, il n’y a même pas de discussion ». Effectivement, plus besoin d’écouter, plus besoin de discuter, plus besoin de débattre. Je suis en colère. Et ce jour-là, j’ai eu honte de mes représentants.

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Procès Dupond-Moretti : "L'insupportable légèreté des juges parlementaires"

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16.11.2023

Depuis le lundi 6 novembre, un procès un peu particulier se tient au Palais de Justice de Paris, situé sur l’île de la Cité. Particulier d’abord, car celui qui comparaît est le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. Ancien avocat que l’on surnommait « Acquitator », modèle d’éloquence pour bon nombre de membres de la profession, monstre des prétoires, bourré de talent et de tempérament, il doit répondre d’une prise illégale d’intérêts, délit qui lui fait risquer cinq ans de prison et 500 000 euros d’amende.

Il est présumé innocent et va plaider sa relaxe. Raison d’ailleurs pour laquelle il a refusé de démissionner et gère les affaires du ministère de la justice depuis le banc des prévenus, sur lequel l’attend tous les jours une bouteille d’eau, contrairement à tous les autres prévenus de France et de Navarre.

Si le 2 mars 2017, sans sourciller ni avoir la main qui tremble, le candidat Macron avait annoncé « qu’un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu’il est mis en examen », c’est aujourd’hui finalement un ministre en exercice qui comparait pour une infraction pénale qu’il est suspecté d’avoir commise alors qu’il venait d’être nommé à la Chancellerie.

Ce procès est particulier ensuite car c’est la Cour de Justice de la République (CJR) qui........

© Marianne


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