Marianne : Dans votre livre, Yascha Mounk, vous préférez le terme « synthèse identitaire », que vous définissez à partir thèmes principaux, à celui de « wokisme ». Pouvez-vous revenir brièvement dessus ?

Yascha Mounk :Nous avons affaire à une nouvelle idéologie de gauche, qui a aujourd’hui beaucoup d’influence et qui se distingue par des thèmes centraux. Il y a d’abord un grand scepticisme envers l’idée de vérité objective et de valeurs universalistes. Ensuite, il y a une utilisation des discours à des fins politiques. Pour ces militants progressistes, faire de la politique ce n’est pas que se battre pour des lois justes, mais c’est aussi critiquer, défendre ou rendre problématique un bien culturel. Troisièmement, il y a l’idée d’un « essentialisme stratégique ». Ces militants défendent que la race et le genre sont des constructions sociales, mais encouragent dans le même temps les individus à s’identifier à ces identités. Cela se manifeste, par exemple, par la mise en place, dans nombre d’institutions d’« affinity group », de groupes divisés par race. C’est très courant dans les écoles américaines.

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Quatrièmement, il y a un grand pessimisme sur la possibilité de progresser, fondé sur des penseurs comme Derrick Bell, père de la théorie critique de la race. Pour eux, les États-Unis ou la France sont aujourd’hui aussi racistes ou homophobes qu’il y a 50 ans, 100 ans ou 200 ans. Cinquièmement, les militants estiment que la seule façon d’obtenir de vrais progrès, c’est d’abolir les valeurs universalistes, qui sont au centre de la démocratie libérale. Pour eux, la manière dont on se traite entre nous et la manière dont l’État nous traite devraient dépendre du groupe dans lequel nous sommes nés. Il s’agit d’une interprétation très large de l’idée d’intersectionnalité, qui stipule que si vous vous situez à une intersection identitaire différente de la mienne, vous ne pouvez pas me comprendre. Je devrais donc vous déléguer mon jugement.

Enfin, comme toutes les formes d’injustices sont liées, pour être un bon écologiste ou un bon féministe, il faut être progressiste sur toutes les autres questions, comme sur les transgenres ou sur la Palestine et il faut déléguer son propre jugement à ces groupes marginalisés.

Romuald Sciora, vous utilisez le terme « wokisme », que vous défendez. Que pensez-vous de la définition donnée par Yascha Mounk ?

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Wokisme, communautarisme... la gauche dans le piège identitaire : débat entre Yascha Mounk et Romuald Sciora

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13.11.2023

Marianne : Dans votre livre, Yascha Mounk, vous préférez le terme « synthèse identitaire », que vous définissez à partir thèmes principaux, à celui de « wokisme ». Pouvez-vous revenir brièvement dessus ?

Yascha Mounk :Nous avons affaire à une nouvelle idéologie de gauche, qui a aujourd’hui beaucoup d’influence et qui se distingue par des thèmes centraux. Il y a d’abord un grand scepticisme envers l’idée de vérité objective et de valeurs universalistes. Ensuite, il y a une utilisation des discours à des fins politiques. Pour ces militants progressistes, faire de la politique ce n’est pas que se battre pour des........

© Marianne


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