« À qui appartient la beauté ? », telle est la question récurrente qui rythme le livre passionnant de Bénédicte Savoy. Attention à la méprise, il ne s’agit pas ici de la beauté du corps vivant ou d’un absolu abstrait, mais de la beauté telle qu’elle s’incarne dans les œuvres d’art du patrimoine de l’humanité.

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« À qui appartient la beauté ? La question est rhétorique : la beauté n’appartient certainement à personne. Pourtant, depuis le XVIIIe siècle et l’invention des musées tels que nous les connaissons aujourd’hui, certains objets ont précisément été choisis et exposés pour leur beauté », rappelle l’auteure avant de se lancer dans une enquête très fouillée qui mêle histoire de la circulation des œuvres et réflexions sur la légitimité des archéologues à s’approprier leurs découvertes.

Du buste de Néfertiti à la statue de la « reine Bangwa » du Cameroun en passant par l’Autel de Pergame, la Madone Sixtine de Raphaël ou encore les têtes de bronze du Palais d’été de Pékin, Bénédicte Savoy fait voyager le lecteur au gré des déplacements des œuvres depuis leur site d’origine. Au départ, souligne-t-elle, « la question de l’appartenance des objets ne se pose guère : on les donne volontiers aux savants des pays qui ont participé aux fouilles (Allemagne, États-Unis, etc.). Ils appartiennent donc, selon cette logique, à ceux qui ont payé, organisé les travaux et les transports, à ceux qui les étudient et les mettent en valeur ».

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Mais le principe est vicié : au XIXe siècle, la science archéologique n’est pas développée en Égypte (là où l’on découvre le buste de Néfertiti) ni dans l’Empire Ottoman (où se situe l’Autel de Pergame). Dès lors, les autochtones sont exclus d’emblée de cette logique d’accumulation patrimoniale. Les conflits concernant la légitimité de la possession des œuvres et les demandes de restitution vont émerger au moment où les nations cherchent à imposer une forme de supériorité culturelle.

Pour Bénédicte Savoy, l’histoire de l’archéologie, malgré sa grandeur, est de toute évidence l’histoire d’une domination, celle de l’Occident (en particulier des pays comme la France, l’Allemagne et l’Angleterre) sur le reste du monde. Les musées ont « joué un rôle clé dans le déplacement systématique de patrimoines anciens […] et dans l’affirmation d’une Europe mieux armée que quiconque pour les conserver ». Tel est l’argument central : les Occidentaux ont le goût nécessaire et les moyens matériels pour reconnaître et prendre soin des merveilles du passé, qualité que les autochtones ne posséderaient pas ! « L’appropriation intellectuelle, estime l’auteure, se doubl[e] d’une appropriation matérielle des œuvres. »

La France tout particulièrement a joué un rôle singulier dans cette histoire. Après la Révolution française, le pays s’est posé en garant des « Lumières » et de l’ « universalisme ». Ainsi, Paris devenue la capitale du monde cultivé, se devait de concentrer un maximum d’œuvres d’art, d’où la création notamment du Musée du Louvres sous la Convention.

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Mais, contrairement à une légende tenace, le musée public n’est pas une invention de la Révolution. « Il existait en fait, dans les années 1750-1760, et plus encore à partir de 1780, des galeries ouvertes à toutes et à tous en Europe », rappelle Bénédicte Savoy. De par son érudition, la qualité de sa narration et de sa réflexion, l’ouvrage plaira aussi bien au lecteur initié qu’au néophyte, à celui voulant approfondir ses connaissances qu’à l’amateur de la saga à succès Indiana Jones.

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Bénédicte Savoy, À qui appartient la beauté ?, La découverte, 272 p., 22 €

QOSHE - On a lu "À qui appartient la beauté ?" : les œuvres d'art, une propriété qui pose problème - Matthieu Giroux
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On a lu "À qui appartient la beauté ?" : les œuvres d'art, une propriété qui pose problème

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01.04.2024

« À qui appartient la beauté ? », telle est la question récurrente qui rythme le livre passionnant de Bénédicte Savoy. Attention à la méprise, il ne s’agit pas ici de la beauté du corps vivant ou d’un absolu abstrait, mais de la beauté telle qu’elle s’incarne dans les œuvres d’art du patrimoine de l’humanité.

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« À qui appartient la beauté ? La question est rhétorique : la beauté n’appartient certainement à personne. Pourtant, depuis le XVIIIe siècle et l’invention des musées tels que nous les connaissons aujourd’hui, certains objets ont précisément été choisis et exposés pour leur beauté », rappelle l’auteure avant de se lancer dans une enquête très fouillée qui mêle histoire de la circulation des œuvres et réflexions sur la légitimité des archéologues à s’approprier leurs découvertes.

Du buste de Néfertiti à la statue de la « reine Bangwa » du Cameroun en........

© Marianne


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