La France a placé l’école au centre de son projet républicain, et ce dès la fin du XIXe siècle. Face aux monarchistes, le premier devoir de la République était alors de « faire des républicains » selon le mot de Ferdinand Buisson, sans que cela ne soit synonyme de dogmatisme. Car « faire des républicains », ce n’est pas imposer une doctrine immuable venue d’en haut mais bien au contraire apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes. Au-delà des savoirs professés, des connaissances transmises, l’école enseigne avant tout aux futurs citoyens l’esprit critique. Cette émancipation n’est possible que dans le cadre de l’école laïque qui offre un espace unique de liberté. C’est déjà ce qu’avaient compris, à la fin du XIXème siècle, les fondateurs de la République.

En 1989, plus de cent ans après la guerre scolaire qui opposait le parti réactionnaire et le parti républicain, de nouvelles fractures et tensions apparaissent autour de ce qu’on a appelé « l’affaire de Creil ». Trois élèves décident de se vêtir d’un voile religieux à l’école. S’ensuivront d’ardents débats sur la place de l’expression religieuse à l’école laïque et l’émergence de fractures au sein de chaque camp politique.

Finalement, saisi par le Premier ministre Lionel Jospin, le Conseil d’État choisit de se prononcer pour une gestion des élèves au cas par cas. Mais cette réponse ne satisfait personne. L’absence de lignes directives claires maintient les professeurs et chefs d’établissements dans un flou juridique, sinon dans un profond désarroi.

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Pendant quinze ans, les atermoiements et, disons-le, la naïveté de certains responsables politiques plongèrent certains établissements dans d’interminables conflits. Le durcissement des attitudes religieuses, organisé par des réseaux islamistes, réveille la « querelle des foulards ». C’est ce qui pousse en 2003 le président de la République, Jacques Chirac, à créer la « commission Stasi », chargée de penser la laïcité à l’aune des défis du XXIème siècle.

À l’issue de plusieurs mois de travaux, la commission Stasi propose d’interdire le port de signes religieux ostensibles à l’école. Cette proposition débouche, quelques mois plus tard, sur l’adoption de la loi du 15 mars 2004. Quels sont les arguments avancés par les experts de la commission Stasi ?

Dans la continuité de la séparation des Églises et de l’État en 1905, la loi de 2004 est avant tout perçue comme un outil d’apaisement. Les sondages de l’époque montrent que près de quatre professeurs sur cinq sont favorables à l’interdiction des signes religieux ostensibles, lesquels sont souvent source de conflits entre élèves. L’affirmation d’une règle claire conforte les enseignants, tempère les tensions claniques et leur permet de retrouver un climat serein dans leur classe.

La protection des élèves contre le prosélytisme constitue un autre argument fondamental en faveur d’une loi d’interdiction. Les auditions de la commission Stasi révèlent au grand jour des situations particulièrement délicates, voire dramatiques, subies par des jeunes filles contraintes de se couvrir le visage à l’école pour éviter les brimades et menaces de leurs camarades ou de leurs proches. Ainsi, en laissant les signes religieux ostensibles sur le pas de l’école, la loi de 2004 non seulement protège les élèves contre les pressions, mais leur offre également un temps de liberté.

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Enfin, l’école ne doit pas être confondue avec l’espace public. Elle accueille non pas des usagers, mais des élèves, mineurs, perçus comme des citoyens en devenir. Il ne s'agit pas de former des athées ou des agnostiques mais de desserrer l’étau familial pour que chaque enfant soit préservé des influences extérieures, afin qu’il puisse choisir plus tard, par lui-même, ce qui le définit. Du reste, c’est pour cette raison que la loi de 2004 vise tous les signes religieux ostensibles, et pas seulement le voile ! La liberté de conscience exige la neutralité de l’enceinte scolaire.

Depuis quelques années, le ministère de l’Éducation nationale fait état d’une multiplication des atteintes à la laïcité. Contestation des enseignements sur l’évolution, de la mixité filles-garçons à l’école ou des cours d’éducation sexuelle, de plus en plus nombreux sont chaque année les professeurs à y avoir été confrontés. Suivant une même logique, les récentes affaires d’abayas ont également contribué à contester le caractère laïque de l’école.

Alors que les jeunes Français comprennent de moins en moins ce qu’est le principe de laïcité, et que l’école subit les assauts répétés des intégristes religieux, parfois jusqu’aux drames les plus tragiques, il apparaît essentiel de réaffirmer l’importance de la loi d’interdiction des signes religieux ostensibles. Pour l’émancipation et la liberté de conscience, préservons la laïcité au sein de l’école de la République.



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20 ans après la loi de 2004 : une loi d'apaisement, d'émancipation et de liberté

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15.03.2024

La France a placé l’école au centre de son projet républicain, et ce dès la fin du XIXe siècle. Face aux monarchistes, le premier devoir de la République était alors de « faire des républicains » selon le mot de Ferdinand Buisson, sans que cela ne soit synonyme de dogmatisme. Car « faire des républicains », ce n’est pas imposer une doctrine immuable venue d’en haut mais bien au contraire apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes. Au-delà des savoirs professés, des connaissances transmises, l’école enseigne avant tout aux futurs citoyens l’esprit critique. Cette émancipation n’est possible que dans le cadre de l’école laïque qui offre un espace unique de liberté. C’est déjà ce qu’avaient compris, à la fin du XIXème siècle, les fondateurs de la République.

En 1989, plus de cent ans après la guerre scolaire qui opposait le parti réactionnaire et le parti républicain, de nouvelles fractures et tensions apparaissent autour de ce qu’on a appelé « l’affaire de Creil ». Trois élèves décident de se vêtir d’un voile religieux à l’école. S’ensuivront d’ardents débats sur la place de l’expression religieuse à l’école laïque et l’émergence de fractures au sein de chaque camp politique.

Finalement, saisi par le Premier ministre Lionel Jospin, le Conseil........

© Marianne


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