La France tu l’aimes mais tu la quittes (Seuil), est un ouvrage collectif disponible depuis quelques jours en librairies. Il bénéficie d’une large couverture médiatique. Mais il fait aussi polémique pour son manque de rigueur qui peine à cacher son esprit partisan voire militant.

Cet ouvrage a pour ambition de mettre en lumière le rejet des musulmans qui régnerait en France : « Discriminés sur le marché de l’emploi et stigmatisés pour leur religion, leurs noms ou leurs origines, ces Français de culture ou de confession musulmane trouvent à l’étranger l’ascension sociale qui leur était refusée en France. Ils y trouvent aussi le « droit à l’indifférence » qui leur permet de se sentir simplement français. » Pour affirmer cela, les auteurs déclarent s’être « [appuyés] sur un échantillon quantitatif de plus de 1 000 personnes et sur 140 entretiens approfondis ».

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Il s’agit bien d’un « échantillon quantitatif », pas qualitatif donc non représentatif. En effet, l’un des co-auteurs avait lancé un appel à témoin sur les réseaux sociaux, essentiellement à travers des officines et des militants islamistes, comme des anciens du CCIF (dissous en 2020 en raison de sa radicalité, reconstitué en Belgique sous l’appellation « CCIE »). Ainsi, une bonne part des témoins sont des rigoristes, des identitaires musulmans voire des militants qui, loin d’appliquer leur « droit à l’indifférence », réclament au contraire un affichage ostensible de leurs pratiques religieuses.

Il leur est alors naturel de valider un terme au cœur de la stratégie victimaire de l’islamisme : « islamophobie ».

L'islamophobie est, comme la sémantique l’indique, la peur de l'islam. L'exprimer, critiquer, déclarer ne pas aimer cette religion, la caricaturer ou s'en moquer relève de la liberté d'expression, tout comme l'islamophilie. Or, pour les islamistes, et leurs soutiens, seule l'islamophilie aurait droit de cité. Pour les partisans de la lutte contre l’« islamophobie », l'islam devrait avoir un statut particulier, un privilège d'intouchabilité. Tout obstacle à l'expression de cette religion, même à ses dérives, serait de « l'islamophobie » à combattre. La volonté d’établir un délit de blasphème, uniquement valable pour l’islam, est bien vivace.

Pour faire passer la pilule, les partisans du terme « islamophobie » ambitionnent de fusionner une idéologie religieuse avec des individus pour ne plus distinguer l’offense à une religion de l’hostilité contre des personnes en raison de leurs croyances. Ils instrumentalisent la seconde (les discriminations que subissent des musulmans sont réelles et doivent être combattues) pour tenter d’interdire la première. Pour s’en défendre, ils affirment n’avoir aucun problème avec la critique de l’islam… sauf quand on le critique. De plus, ces mêmes partisans considèrent l’islamisme comme l’islam tout court, et les islamistes comme de simples pieux musulmans opprimés. Ainsi, toute critique de l’extrémisme musulman est considérée être une critique contre l’islam donc contre tous les musulmans. D’ailleurs, dans les pays musulmans, le terme « islamophobie » n’existe pas. Seul son synonyme est utilisé : offense à l’islam.

Le concept « islamophobie » va encore plus loin puisqu’il vise à faire de l’offense à cette religion une forme de racisme. On transforme l'islam en race, génétiquement incluse en chaque musulman « de naissance ». Le musulman, fidèle d'une religion censée être choisie, devient le Musulman, membre assigné à un peuple imaginaire. La liberté de conscience devient caduque. Dit autrement, exprimer sa crainte ou son rejet de l’islam (et de l’islamisme), ou même encadrer l’expression de cette religion à égalité avec toutes les autres croyances serait s'en prendre à une ethnie (les Musulmans). Cela crée, de fait, une notion de blasphème spécifique à cette religion. C'est ce que souhaite l'islamisme pour tenter de faire taire toute opposition et dans l'espoir que, un jour, cela se traduise juridiquement dans le Code pénal. Voilà pourquoi l'usage du terme « islamophobie » est dangereux.

Cet ouvrage, qui valide ce terme et les témoignages militants supposés être représentatifs, est à l'image du co-auteur à l’origine de l’appel auprès de militants islamistes : Julien Talpin.

Julien Talpin est sociologue au CNRS. Il est surtout très lié à l’association « Alliance citoyenne », avec qui il a créé l’Institut Alinsky dont il est aujourd’hui le Président. Alliance citoyenne, qui érige le patriarcat islamiste en valeur émancipatrice, est la structure qui assure le mieux la jonction entre extrême gauche et extrême droite musulmane. Elle a mené les offensives burqini à Grenoble et a créé les « hijabeuses » dans le football, toutes inspirées par les méthodes de l’Institut Alinsky. Julien Talpin a toujours soutenu les actions de l’association.

Cohérent dans son paternalisme et orientalisme, il s'affiche régulièrement avec des islamistes pour essentialiser tous les musulmans à la frange extrémiste de l'islam (c’est pourquoi il soutient les offensives burqini et les « hijabeuses »). Ce fut le cas, par exemple, avec Marwan Muhammad, ex-directeur du CCIF. Ou bien encore avec le néo-salafiste Elias d’Imzalene. Ce dernier appelle carrément les musulmans à faire sécession. Islamiste jusqu'aux tréfonds de son âme, il a naturellement une approche sexiste et patriarcale des relations femme-homme, une vision ultra-identitaire et politique de l'islam, comme Marwan Muhammad. Voici d'ailleurs la définition de l'islamophobie, selon Elias d’Imzalene : « Tout ce qui entrave la construction et le développement de la communauté [musulmane], son expression visible et politique, en France ou ailleurs ». Autrement dit, toute opposition à l'islamisme politique.

Mais cela n'empêche pas Julien Talpin de faire conférence commune avec eux. Non pas pour les critiquer mais pour faire « front commun » (sic), par exemple contre la loi « séparatisme » qui vise l'islamisme, donc « indistinctement tous les musulmans » selon eux, puisque les intégristes seraient de simples musulmans pieux incompris. La convergence des luttes avec l'islamisme est une nouvelle fois établie.

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Ainsi, Julien Talpin, et les médias qui l’accueillent, prétendent dénoncer l'amalgame entre musulmans et islamistes tout en étant des acteurs de cette confusion, à la grande satisfaction des islamistes qui voient leur stratégie victimaire fonctionner.

Les lois de la République, qui protègent la liberté de conscience et n'accordent pas de privilèges à telle ou telle confession, seraient trop oppressives pour les islamistes et identitaires musulmans. Pour se sentir plus libres et « respectés », certains préfèrent alors s'exiler dans des pays non démocratiques qui discriminent les non-musulmans. L'air y est plus respirable pour eux. Le livre coécrit par Julien Talpin leur rend un vibrant hommage pour mieux critiquer la France, quitte à faire preuve de mauvaise foi voire de malhonnêteté intellectuelle.

Sans ce soutien d'une partie de la gauche, l'extrême droite musulmane ne progresserait pas aussi facilement (et, en résonance, l'extrême droite nationaliste non plus). Julien Talpin en est un des acteurs. Ce livre en est la dernière matérialisation.

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"La France, tu l'aimes mais tu la quittes" : "le livre au service de la stratégie victimaire islamiste"

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03.05.2024

La France tu l’aimes mais tu la quittes (Seuil), est un ouvrage collectif disponible depuis quelques jours en librairies. Il bénéficie d’une large couverture médiatique. Mais il fait aussi polémique pour son manque de rigueur qui peine à cacher son esprit partisan voire militant.

Cet ouvrage a pour ambition de mettre en lumière le rejet des musulmans qui régnerait en France : « Discriminés sur le marché de l’emploi et stigmatisés pour leur religion, leurs noms ou leurs origines, ces Français de culture ou de confession musulmane trouvent à l’étranger l’ascension sociale qui leur était refusée en France. Ils y trouvent aussi le « droit à l’indifférence » qui leur permet de se sentir simplement français. » Pour affirmer cela, les auteurs déclarent s’être « [appuyés] sur un échantillon quantitatif de plus de 1 000 personnes et sur 140 entretiens approfondis ».

A LIRE AUSSI : Accusé de nourrir une "obsession anti-musulmans" : un directeur d’école pointé du doigt à Neuilly-sur-Marne

Il s’agit bien d’un « échantillon quantitatif », pas qualitatif donc non représentatif. En effet, l’un des co-auteurs avait lancé un appel à témoin sur les réseaux sociaux, essentiellement à travers des officines et des militants islamistes, comme des anciens du CCIF (dissous en 2020 en raison de sa radicalité, reconstitué en Belgique sous l’appellation « CCIE »). Ainsi, une bonne part des témoins sont des rigoristes, des identitaires musulmans voire des militants qui, loin d’appliquer leur « droit à l’indifférence », réclament au contraire un affichage ostensible de leurs pratiques religieuses.

Il leur est alors naturel de valider un terme au cœur de la stratégie victimaire de l’islamisme : « islamophobie ».

L'islamophobie est, comme la sémantique l’indique, la peur de l'islam. L'exprimer, critiquer,........

© Marianne


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