Cela a l'air d'un gag, mais le chef du groupuscule néonazi qui a voulu organiser une ratonnade à Romans-sur-Isère le week-end dernier se fait appeler « Gros Lardon ». Cette nouvelle obsession est intéressante. Elle date d'il y a déjà quelques années, une ou deux décennies du côté de l'extrême droite pour le cochon et le jambon. On l'aura compris : le principe de base, c'est que les nouveaux ennemis de l'extrême droite, ce ne sont plus tant les juifs que les musulmans. On est passé d'ailleurs, et c'est significatif, de la haine raciste de l'Arabe à la haine du musulman en général, sachant que toute personne d'origine maghrébine est supposée musulmane. Finalement, l'extrême droite a le même rapport au concept d'athéisme que les islamistes, c'est-à-dire que l'apostasie est impensable.

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On trouve donc de plus en plus à l'extrême droite cette passion pour le cochon : des têtes de porc sont déposées devant des mosquées, une auditrice de RMC raconte comment sa fille collégienne s'est fait jeter à la figure une tranche de jambon. Mais on a eu aussi droit aux fameux « apéros saucisson-pinard ». De l'autre côté, le marketing a très bien intégré que le jambon devenait bien plus qu'un des fondements de la gastronomie française : un signe identitaire. Pour le coup, on peut donc voir une marque de nourriture bio et végétale mettre en avant un slogan avec ce jeu de mots sur ses affiches : « le jambon végétal, c'est beaucoup plus inclusif que le jambon blanc ». L'idée que le porc deviendrait un marqueur identitaire, donc non inclusif et ne permettant pas d'ouvrir la France à des populations qui ne seraient pas banches chrétiennes et qui viendrait d'ailleurs, s'installe subrepticement.

Il s'agit d'un piège insupportable. Marianne a été fondée en 1997 sur l'idée qu'on ne devait pas abandonner la laïcité, le drapeau français et la nation à l'extrême droite et qu'il fallait au contraire les brandir comme des marques de la République, ce régime qui accueille quiconque, quelles que soient ses origines et sa religion, du moment qu'il participe à l'élaboration du bien commun en tant que citoyen. De même qu'il ne faut pas abandonner la laïcité, la nation, le drapeau français à l'extrême droite, il ne faut pas non plus lui abandonner le cochon. Parce qu'on peut, pour des raisons religieuses, ne pas manger de cochon bien entendu, mais pour le reste, il s'agit du plat le plus emblématique de la cuisine française, la viande qui se consomme le plus et la moins chère. La gastronomie française est fondée sur la capacité à utiliser les produits de tous les jours, les produits que les plus pauvres pouvaient se payer, d'où l'omniprésence de la pomme de terre, des haricots, de la châtaigne et du cochon.

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Le problème actuel de la fracturation à partir de la nourriture, c'est justement que par facilité, beaucoup d'entreprises de restauration collective, de cantines scolaires par exemple, abandonnent le cochon au profit de produits plus chers pour ne pas s'embêter à faire des menus différents. La filière porcine française est donc en train de disparaître. Peu à peu, à force d'effacer le cochon des menus français, ce à quoi participe également l'injonction hygiéniste de certains médecins qui considèrent que la première bouchée de charcuterie est déjà une manière de provoquer un cancer, tout cela contribue petit à petit à laisser croire qu'il y aurait une dimension identitaire, fermée et à la limite du racisme au simple fait d'apprécier le cochon et la charcuterie. Alors acceptons de partager du cochon et d'en manger avec des gens qui n'en mangent pas et donc de maintenir la possibilité de manger à la même table. Ce combat culturel est absolument essentiel et nous n'allons pas l'abandonner à Gros Lardon.

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Natacha Polony : "Comme la laïcité, le drapeau et la nation, n'abandonnons pas le cochon à l'extrême droite"

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28.11.2023

Cela a l'air d'un gag, mais le chef du groupuscule néonazi qui a voulu organiser une ratonnade à Romans-sur-Isère le week-end dernier se fait appeler « Gros Lardon ». Cette nouvelle obsession est intéressante. Elle date d'il y a déjà quelques années, une ou deux décennies du côté de l'extrême droite pour le cochon et le jambon. On l'aura compris : le principe de base, c'est que les nouveaux ennemis de l'extrême droite, ce ne sont plus tant les juifs que les musulmans. On est passé d'ailleurs, et c'est significatif, de la haine raciste de l'Arabe à la haine du musulman en général, sachant que toute personne d'origine maghrébine est supposée musulmane. Finalement, l'extrême droite a le même rapport au concept d'athéisme que les islamistes, c'est-à-dire que l'apostasie est impensable.

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On trouve donc de plus en plus à l'extrême droite........

© Marianne


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