Renaissance de la social-démocratie, épisode 257 : en ce début d'année 2024, il se passe quelque chose du côté de la gauche sociale-démocrate qui croit que peut-être, enfin, le retour est possible. On célèbre d'abord les 25 ans de l'euro, ce qui permet de se dire que tout va bien, et que la monnaie unique était une réussite puisqu'elle a été acceptée et qu'on ne peut plus en sortir. De fait, c'est le cas, l'euro est passé dans les mœurs. Plus personne n'imaginerait aujourd'hui qu'il faudrait repasser au franc ou à une quelconque autre devise. Pour autant, le bilan n'est pas brillant et la façon dont les économies européennes ont divergé est quand même liée à ce dogme d'une monnaie forte calquée sur le mark. Tant qu'on ne dressera pas un bilan honnête et lucide de ces années-là, on ne pourra pas inventer une Europe qui fonctionne.

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Car ce rêve des sociaux-démocrates se joue autour de l'Union européenne. La célébration de Jacques Delors comme grand homme de gauche a quand même quelque chose d'assez effarant dans la mesure où – nous l'avons écrit à Marianne – il fait partie de cette « deuxième gauche » qui a savamment détruit tous les idéaux de gauche et qui a introduit le néolibéralisme en Europe. Ce sont bien les socialistes français qui ont dérégulé comme nulle part ailleurs dans le monde. Que ce soit Jacques Delors ou Pascal Lamy, il y a eu là des artisans d'une libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises, notamment à travers l'Acte unique européen de 1986 qui explique en partie la désindustrialisation, la destruction progressive des classes moyennes et des classes populaires des pays occidentaux, et notamment françaises. Ce qui mérite analyse.

Or, on s'aperçoit qu'il suffit désormais d'être qualifié de grand Européen pour être célébré, à l'instar de Jacques Delors et, derrière lui, l'ensemble de ce courant politique essaye de penser un espoir. Espoir qui a un nom ces derniers temps : Raphaël Glucksmann. Évidemment, on nous avait déjà fait le coup. En 2019 lors des précédentes élections européennes, il était célébré, chanté comme l'espoir de la gauche. Il avait terminé à 6,4 %, ce qui n'était pas indigne, mais qui ne permettait pas évidemment de renouveler le socialisme à la française, c'est-à-dire quelque chose qui est tout sauf socialiste. Là, il pourrait en être autrement. Pourquoi ? Parce que le macronisme a dérivé vers sa droite et qu'il existe un espace. Parce que Jean-Luc Mélenchon a dérivé vers on ne sait trop où. Se recompose donc, à gauche, quelque chose qui espère remettre sur les rails tout ce qui avait échoué. Car ce courant politique a échoué et est comptable de la situation actuelle de la France et du monde.

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Ajoutons une chose : les avancées de l'Europe, dont les sociaux-démocrates français s'enorgueillissent, ne viennent absolument pas de leur courant de pensée. Qu'il y ait désormais un tout petit peu plus de protection, de régulation et de taxe ne vient pas de ceux qui nous ont expliqué, comme Jacques Delors, que l'Europe sociale arriverait un jour. Ils se contentaient d'accepter l'Europe non sociale telle qu'elle était. Ce qui a abouti aux quelques avancées d'une Union européenne un peu moins néolibérale, un peu plus politique, qui tout à coup pense qu'il faut avoir une politique industrielle, qu'il faut se penser comme une puissance « indépendante » – on en est très très loin – ne s'est fait que sous le coup de crises et de contestations. C'est bien parce que les peuples étaient en colère contre cette Europe dérégulée qu'à un moment, il a fallu avancer et tenir compte du réel. Le Covid-19 et la guerre en Ukraine ont obligé l'Europe à bouger. Mais pas une social-démocratie qui, au contraire, a toujours applaudi à l'Europe telle qu'elle était, tout en promettant les lendemains qui chantent de l'Europe sociale. Et il n'y a aucune raison que cela change.

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Natacha Polony : "'Delors est mort, vive Glucksmann !' le grand malentendu social-démocrate sur l’Europe"

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05.01.2024

Renaissance de la social-démocratie, épisode 257 : en ce début d'année 2024, il se passe quelque chose du côté de la gauche sociale-démocrate qui croit que peut-être, enfin, le retour est possible. On célèbre d'abord les 25 ans de l'euro, ce qui permet de se dire que tout va bien, et que la monnaie unique était une réussite puisqu'elle a été acceptée et qu'on ne peut plus en sortir. De fait, c'est le cas, l'euro est passé dans les mœurs. Plus personne n'imaginerait aujourd'hui qu'il faudrait repasser au franc ou à une quelconque autre devise. Pour autant, le bilan n'est pas brillant et la façon dont les économies européennes ont divergé est quand même liée à ce dogme d'une monnaie forte calquée sur le mark. Tant qu'on ne dressera pas un bilan honnête et lucide de ces années-là, on ne pourra pas inventer une Europe qui fonctionne.

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Car ce rêve des sociaux-démocrates se joue autour de........

© Marianne


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