Il faut se rendre à l’évidence : huit années après la COP 21, la décarbonation mondiale est en « panne sèche ». Si depuis 2015, les émissions de l’OCDE se sont contractées de 7 %, celles des pays émergents se sont accrues de 12 %. En conséquence, durant la période allant de 2015 à 2023, les émissions mondiales ont progressé de 8,5 %. Tirée par les émergents, la consommation d’énergies fossiles a augmenté durant la même période de 7 %, battant des records année après année. Quant à la part de ces énergies fossiles dans le mix mondial, elle s’est modestement réduite de 85 % à 82 %. En d’autres termes, malgré nos incantations journalières, les fossiles, et notamment le charbon, demeurent les maîtres absolus du panorama énergétique mondial.

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Malgré 7 000 milliards de dollars d’investissement dans les énergies renouvelables depuis une quinzaine d’années, nous avons lamentablement échoué à décarboner l’économie mondiale. Et le ciel continue de s’assombrir. Tandis que les pays émergents, Chine et Inde en tête, continuent de privilégier légitimement leur développement en augmentant significativement leur consommation d'énergies fossiles, une « bulle verte » est en train d’exploser en Europe. Éoliennes, panneaux solaires, hydrogène, voitures électriques et même pompes à chaleur : tous les indicateurs sont dans le rouge vif. La faute notamment à la hausse des taux d’intérêt qui a érodé un peu plus la rentabilité déjà faible de projets verts. Avec des rentabilités inférieures à 3 %, les prêts bancaires se sont asséchés, rendant la filière dépendante à 100 % de financements publiques.

Tout le monde sait aujourd’hui que les 1,5 °C et même les 2 °C sont obsolètes et que le scénario le plus probable est celui correspondant à un réchauffement de 2,7 °C à l’horizon 2100. Un scénario principalement dans les mains des pays émergents. Comptant aujourd’hui pour 82 % de la population mondiale, ils représenteront 90 % des émissions à l’horizon 2050.

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Face à cette situation, il est impératif de changer radicalement de logiciel en s’attaquant en priorité à l’électricité charbonnière (27 % des émissions mondiales) concentrée à 95 % dans un « club » de 14 pays produisant plus de 100 TWh/an. Parallèlement il faudrait constituer un « fonds climat » permettant d’aider les pays les plus pauvres à s’adapter aux conséquences du réchauffement dont 90 % des victimes se situent dans les pays émergents. Estimé par l’économiste britannique Nicholas Stern à 2500 G$/an (4 % du PIB de l’OCDE), ce fonds ne pourrait être directement constitué sous peine d’entraîner une récession structurelle dans les pays de l’OCDE déjà fortement endettés.

Aussi, pour conjuguer les deux objectifs, proposons-nous d’instaurer une taxe à l’importation égale à un quart du pourcentage électrique charbonnier sur les biens en provenance du « club des 14 ». Ainsi, un produit importé d’Inde (74 % d’électricité charbonnière) ou de Chine (61 % d’électricité charbonnière) en France (ou tout autre pays importateur de ces produits) serait respectivement taxé à hauteur de 19 % et 15 %. Collectés par un organisme international, les fonds seraient redistribués aux pays les plus pauvres pour qu’ils puissent à la fois assurer leur transition et surtout s’adapter au réchauffement. Sur l’année 2022, une telle taxe aurait rapporté 1250 G$, soit la moitié de la somme avancée par Stern.

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La méthode est triplement vertueuse. En augmentant le prix des produits exportés, elle encouragerait le « Club 14 » à déplacer rapidement son électricité charbonnière vers des sources décarbonées, elle inciterait le consommateur à réorienter ses achats vers des produits à empreinte carbone plus faible, elle permettrait aux pays les plus pauvres de financer massivement leurs projets d’atténuation et surtout d’adaptation indispensables à leur survie face au réchauffement climatique. Sa mise en œuvre dans un monde où le multilatéralisme a fait place à une logique de blocs reste évidemment complexe. Elle ne pourrait s’appliquer qu’avec un assentiment mondial voté au niveau de la Conférence des parties. L’avenir de nos enfants est en jeu : à nous de nous montrer enfin à la hauteur en arrêtant de regarder ailleurs.

QOSHE - Réchauffement climatique : "Sans un rapide changement de stratégie, nous allons droit dans le mur" - Nicolas Meilhan
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Réchauffement climatique : "Sans un rapide changement de stratégie, nous allons droit dans le mur"

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26.03.2024

Il faut se rendre à l’évidence : huit années après la COP 21, la décarbonation mondiale est en « panne sèche ». Si depuis 2015, les émissions de l’OCDE se sont contractées de 7 %, celles des pays émergents se sont accrues de 12 %. En conséquence, durant la période allant de 2015 à 2023, les émissions mondiales ont progressé de 8,5 %. Tirée par les émergents, la consommation d’énergies fossiles a augmenté durant la même période de 7 %, battant des records année après année. Quant à la part de ces énergies fossiles dans le mix mondial, elle s’est modestement réduite de 85 % à 82 %. En d’autres termes, malgré nos incantations journalières, les fossiles, et notamment le charbon, demeurent les maîtres absolus du panorama énergétique mondial.

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Malgré 7 000 milliards de dollars d’investissement dans les énergies renouvelables depuis une quinzaine d’années, nous avons lamentablement échoué à décarboner l’économie mondiale. Et le ciel continue de s’assombrir. Tandis que les pays émergents, Chine et........

© Marianne


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