Comment faire résonner le mot de révolution ? Pas seulement le mot, mais l’évènement, le processus qu’il engendre ? L’inconnu qu’il révèle. « Nous n’avons pas fait la Révolution, c’est la Révolution qui nous a faits », dit Danton dans la pièce de Georg Büchner, La Mort de Danton (1835). C’est pour faire entendre ce brutal changement, cet éclair dans la continuité du temps, qu’un collectif d’historiens et de politistes s’est attelé à écrire Une histoire globale des révolutions qui pour être monumentale – plus de 1 000 pages – n’en est pas moins éclairante de bout en bout.

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Chaque époque a ses notions fétiches ; du temps de l’historien Fernand Braudel (1902-1985) celle de civilisation s’imposait, de nos jours, depuis bientôt vingt ans, celle de globalité l’a remplacée. L’histoire globale ou connectée, en s’émancipant des découpages dictés par les frontières étatiques, a permis de mieux saisir les passages, les transferts, les liaisons, « entre pays, entre peuples, entre continents ». Et elle est de fait plus attentive à l’histoire des empires, de la colonisation, des indépendances. Elle n’occulte pas la réflexion sur la violence. Elle n’oublie pas l’écologie. Elle est une boîte à outils.

Cela n’exclut pas les différences d’approches, ni les interrogations sur le succès ou l’échec des révolutions. Les auteurs de cette somme cherchent avant tout à appréhender le phénomène révolutionnaire comme on le ferait d’une constellation. Ils tiennent compte des interdépendances et circulations entre les Révolutions. Ce qui est simple lorsqu’on met en parallèle le printemps des peuples de 1848 avec les « printemps arabes » de 2011, mais l’est déjà moins lorsque compare la révolution haïtienne de 1791, la première révolte d’esclaves ayant abouti, et la révolution islamique iranienne de 1979. Le voyage qu’ils entreprennent dans le temps et l’espace propose un éclairage pluriel qui donne parfois le vertige, mais n’est jamais inutile.

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« Les révolutions stricto sensu n’ont pas existé avant les temps modernes » disait Hannah Arendt. Les chercheurs de ce recueil récusent en partie cette proposition. Ils débusquent « l’empreinte des révolutions d’avant les révolutions ». Ainsi des « révolutions » à Athènes au VIe et Ve siècle avant notre ère dirigées contre l’oligarchie ; ainsi des « révolutions » romaines. Si l’usage du mot (révolution) doit être écarté pour l’Antiquité, « les luttes plébéiennes pour la liberté égale prennent alors toute leur importance ». De même que Victor Hugo dans Les misérables établissait un distinguo entre l’émeute et l’insurrection, les auteurs prennent soin de distinguer la révolte de la révolution. Quel nom en effet donner aux révoltes amérindiennes du XVI au XVIIIe siècle ? « Les soulèvements amérindiens nous sont connus parce qu’ils ont été consignés par les agents coloniaux ». Ce sont eux qui emploient les termes de « rébellion » ou « révoltes ».

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Bizarrement, constatent les auteurs, « les histoires globales sont avant tout, par nécessité autant que par construction, des histoires locales ». D’où ces traversées du nord au sud qu’ils effectuent. Et la place qu’ils accordent aux féminismes et à la paysannerie. Mais aussi à la réflexion philosophique. À « l’impossible conciliation entre les inconciliables » comme disait l’écrivain russe Vassili Grossman dans son livre Vie et Destin. Preuve que l’histoire globale n’est pas une histoire totale. Qu’elle est ouverte au questionnement. En un mot : qu’elle est vivante.

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Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Boris Gobille, Laurent Jeanpierre, Eugénia Palieraki (direction), Une histoire globale des révolutions, La Découverte, 1 197 p., 36,90 euros

QOSHE - Haïti, printemps arabes, Iran... On a lu "Une histoire globale des révolutions", qui les passe au scalpel - Philippe Petit
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Haïti, printemps arabes, Iran... On a lu "Une histoire globale des révolutions", qui les passe au scalpel

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01.12.2023

Comment faire résonner le mot de révolution ? Pas seulement le mot, mais l’évènement, le processus qu’il engendre ? L’inconnu qu’il révèle. « Nous n’avons pas fait la Révolution, c’est la Révolution qui nous a faits », dit Danton dans la pièce de Georg Büchner, La Mort de Danton (1835). C’est pour faire entendre ce brutal changement, cet éclair dans la continuité du temps, qu’un collectif d’historiens et de politistes s’est attelé à écrire Une histoire globale des révolutions qui pour être monumentale – plus de 1 000 pages – n’en est pas moins éclairante de bout en bout.

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Chaque époque a ses notions fétiches ; du temps de l’historien Fernand Braudel (1902-1985) celle de civilisation s’imposait, de nos jours, depuis bientôt vingt ans, celle de globalité l’a remplacée. L’histoire globale ou connectée, en s’émancipant des découpages dictés par les frontières........

© Marianne


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