Né en 1947 à Paris d’un père poète, ami des surréalistes, et d’une mère pharmacienne, Michel Pastoureau est sans aucun doute notre plus grand historien des couleurs et des animaux. Est-ce parce qu’il lit du latin tous les jours depuis l’âge de dix ans, que sa langue est si claire, et que ses livres si agréables à lire ? Peut-être. Une chose est sûre, son histoire culturelle de la baleine de la préhistoire à nos jours est un petit joyau.

Si l’on manque de preuves archéologiques attestant de sa présence dans les grottes du Paléolithique, Ulysse dans l’Odyssée rencontre plusieurs baleines. Elles appartiennent pour la plupart à la famille de Kétos, une créature monstrueuse capable de sortir des flots et de ravager toute une contrée : on la retrouve dans Les Métamorphoses d’Ovide, encore plus déchaînée. Dans la Bible, l’histoire de Jonas qui fut englouti puis recraché par un gros animal marin est de loin celle qui a suscité le plus de gloses. Pourtant, rien n’indique dans le texte que l’animal soit une baleine.

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Spécialiste du bestiaire héraldique médiéval, Michel Pastoureau a l’art de nous faire sentir l’atmosphère du Moyen Âge. La peur de la mer, de la noyade, l’effroi face à l’obscurité des profondeurs, vont de pair avec la terreur de la damnation. L’auteur passe en revue les récits de navigation écrits par des moines où le dos des baleines est souvent pris pour une île. Il insiste sur les auteurs de bestiaires, qui « imaginent les acrobaties les plus sauvages », lors de leur accouplement.

Lorsqu’il parvient aux Temps Modernes, son récit se fait plus haletant. La baleine abondait du temps de Rabelais dans l’Atlantique. Pantagruel en assomme une dans le Quart Livre. À la fin du XVIe siècle la chasse devient plus intensive. Les planches des encyclopédies affinent la représentation de la baleine. Les produits que l’on tire d’elle attisent la convoitise. Enfin, la zoologie naissante au siècle des Lumières lui réserve « une classe particulière dans le monde animal ». Elle fait son entrée parmi les cétacés.

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La révolution industrielle signera son arrêt de mort. Les baleiniers à vapeur font leur apparition et déjà la surexploitation inquiète. Le savoir-faire artisanal des Basques et des Norvégiens fait place « aux procédés plus modernes et plus efficaces des colons d’Amérique du Nord ». L’histoire s’accélère, l’univers des baleiniers fascine. Lorsque paraît Moby Dick, le roman d’Herman Melville, en 1851, il est mal accueilli. Cela tient sans doute au fait que le cachalot blanc était le grand gagnant d’une ruse supérieure à celle de l’être humain. Il l’était en effet et c’est la capitaine Achab qui était englouti dans les flots.

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Belle leçon, qui sans clore ce périple, préfigure un nouveau rapport de l’homme à la baleine, une réduction drastique de la chasse, l’abandon progressif des pratiques prédatrices au profit d’un tourisme voyeur et polluant. Comme si, la baleine, en voie d’extinction, devenue malgré elle « l’emblème et le symbole de la survie du monde animal », avant de disparaître des océans, se rappelait à nous. Pour finir dans un livre : celui de Pastoureau bien entendu !

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La baleine. Une histoire culturelle, Michel Pastoureau, Seuil, 153 p., 19,90 €

QOSHE - Une histoire de la baleine, devenue malgré elle "symbole de la survie du monde animal", par Michel Pastoureau - Philippe Petit
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Une histoire de la baleine, devenue malgré elle "symbole de la survie du monde animal", par Michel Pastoureau

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29.11.2023

Né en 1947 à Paris d’un père poète, ami des surréalistes, et d’une mère pharmacienne, Michel Pastoureau est sans aucun doute notre plus grand historien des couleurs et des animaux. Est-ce parce qu’il lit du latin tous les jours depuis l’âge de dix ans, que sa langue est si claire, et que ses livres si agréables à lire ? Peut-être. Une chose est sûre, son histoire culturelle de la baleine de la préhistoire à nos jours est un petit joyau.

Si l’on manque de preuves archéologiques attestant de sa présence dans les grottes du Paléolithique, Ulysse dans l’Odyssée rencontre plusieurs baleines. Elles appartiennent pour la plupart à la famille de Kétos, une créature monstrueuse capable de sortir des flots et de ravager toute une contrée : on la retrouve dans Les Métamorphoses d’Ovide, encore plus déchaînée. Dans la Bible, l’histoire de Jonas qui fut englouti puis recraché par un gros animal marin........

© Marianne


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