L’Union européenne fait naufrage sans même avoir vieilli. L’année 2024 marquera l’échec du projet européen tant applaudi et si peu achevé. En politique étrangère, la guerre en Ukraine révèle des États impuissants et incapables d’assurer la sécurité du continent. En politique intérieure, à mesure que les classes dirigeantes s’entêtent à défendre un dogme honni, les populistes et les extrémistes ont le vent en poupe. En trente ans, l’Union européenne est passée d’un espoir à un échec sans jamais avoir été une puissance.

Le projet européen se résume à deux promesses. Il devait assurer la paix et la prospérité. La première n’est guère étonnante, car le siècle dernier fut, pour le Vieux Continent, sanglant. Les Européens se battirent lors de deux guerres mondiales, de plusieurs guerres locales ainsi que des guerres coloniales. Il n’est donc pas étonnant que le projet européen se soit voulu un rempart pour la paix. Rien ne résume mieux cette promesse que François Mitterrand déclarant au Parlement européen « Le nationalisme, c’est la guerre ». L’antirationalisme de l’Union européenne est congénital.

Malgré l’absence de preuves (ou de démonstration), il ne manque pas de défenseurs de l'Europe pour affirmer que la paix qui dure depuis 1945 est une réussite du projet européen. Oublions la guerre froide et les arsenaux nucléaires états-uniens et soviétiques qui dominaient le monde, passons les limites de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ignorons la pax americana établie après la chute du mur de Berlin, et taisons l’incapacité des Européens à imposer, d’eux-mêmes, une paix dans les Balkans (1999). Peu importe, on doit attribuer la paix au projet européen parce que c’est en son nom que l’on brime la souveraineté nationale et les majorités démocratiques.

On a également promis de la richesse. Le marché commun est le garant d’une « concurrence libre, loyale et non faussée ». Or, une telle concurrence n’a de sens que si elle génère davantage de prospérité. Lors des débats sur le Brexit, nous avons pu témoigner de la centralité de cette promesse. Les Britanniques avaient tort de partir non pas parce qu’ils seraient moins souverains, non pas parce que Bruxelles était devenue le cœur d’un imaginaire collectif et le symbole de leur nouvelle patrie, mais parce qu’ils seraient moins riches.

Le printemps 2024 met à mal l’idée que l’Union européenne peut assurer la paix en Europe. Deux ans après l’invasion russe de l’Ukraine, nous observons la décrépitude des armées européennes, la faiblesse industrielle du continent, et l’absence de stratégie de la part de ses dirigeants.

L’Europe des 27, épaulée par l’hegemon états-unien, n’arrive pas produire autant d’obus que la Russie. D’ailleurs, cette dernière produira bientôt trois fois plus d’obus que l’Europe et les États-Unis combinés. Or, on a moqué cette nation dont le produit intérieur brut est nettement surpassé par celui de la Californie, mais la Russie a encaissé le coût des embargos et a réussi la transition vers une économie de guerre. On riait de vidéos montrant la destruction de chars russes, mais les usines russes fabriquèrent 1 500 chars d’assaut en 2023 alors que les arsenaux allemands, français et polonais ne recensent pas autant de chars opérationnels.

Le gouffre qui sépare les fantaisies et les faits se creuse. On parle confusément de souveraineté européenne, d’Europe de la défense ou d’un projet de char d’assaut européen. Entre-temps, l’armée française n’a pas assez de munitions pour se battre pendant un mois.

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Les chantres de l’européisme et détracteurs des États-nation ont crié sur les toits que l’époque nous imposait des institutions supranationales. Aujourd’hui, une seule nation dont le PIB est une fraction de l’Union tient le continent en otage. Lorsque le président Macron déclare qu’il ne faut rien exclure pour sauver l’Ukraine, il est ou incompétent ou malhonnête. S’il ne comprend pas qu’on ne rattrape pas trente ans de déliquescence et deux ans de fausses promesses alors même que le front ukrainien s’écroule à vue d’œil, c’est qu’il est incompétent. S’il le comprend, alors il ment éhontément. Décembre venu, on fera le bilan de l’année et l’on comparera les fantaisies de la bourgeoisie européiste et ce que Machiavel nommait la « vérité effective ».

Le bilan intérieur de l’Union européenne n’est guère plus glorieux. Ses pays membres font face à des crises multiples et répétées : l’immigration de masse et clandestine, la pauvreté et le chômage, l’endettement de l’État et la faiblesse démographique. Et pourtant, on nous avait dit que l’Europe, c’était la prospérité.

Le modèle européen est insoutenable. Des 27 pays membres, neuf sont des contributeurs nets. L’Allemagne et la France représentent approximativement 67 % des contributions, alors que les Pays-Bas représentent 12 % et la Finlande 1,9 %. Ainsi, le succès économique du projet européen dépend mécaniquement de la performance des économies allemandes et françaises.

Longtemps, on a vanté le succès du « modèle allemand ». Aujourd’hui, il ne fait plus rêver. Les ouvriers sont en grèves et les patrons demandent des changements pour demeurer compétitifs. Pour chiffrer l’affaiblissement allemand, notons qu’après ses révisions, Berlin prévoit une croissance de 0,2 % en 2024. À titre de comparaison, l’économie russe croîtra de 2,6 % en 2024, selon le FMI. Toujours en Allemagne, le taux de pauvreté frôle les 17 % de la population, une proportion rarement vue. En dépit de ces indicateurs anxiogènes, ce n’est qu’en novembre dernier que l’Allemagne se décida à réduire une immigration qui la déborde et qui fragilise son système politique. Notez bien qu’entre janvier et septembre 2023, plus de 250 000 réfugiés déposèrent des demandes d’asile outre-Rhin, la majorité en provenance d’Afghanistan, de Syrie et de Turquie. N’oublions pas les 130 000 demandeurs d’asile de l’année précédente.

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Il n’aura échappé à personne qu’à force d’être déficitaire, l’État français aura accumulé une dette colossale. Si la prospérité de l’Union européenne dépend en grande partie des performances économiques de ses deux pays les plus riches, il faut avoir la foi pour ne pas être gagné par le scepticisme. Mais le malheur n’arrive jamais seul. Les économies allemandes et françaises peinent à soutenir le coût exorbitant du projet européen alors que ni l’une ni l’autre ne paye le prix d’une défense digne de ce nom. La guerre en Ukraine rappelle une réalité cruelle : on ne préserve pas l’intégrité territoriale ou l’autodétermination d’un peuple avec des prestations sociales ou des vœux pieux.

Depuis Maastricht, il s’est écoulé trente ans. L’Union européenne demeure un empire mort-né. Sans véritable structure fédérale, ayant perdu une de ses plus grandes économies (Brexit), n’ayant même pas une monnaie utilisée par tous ses membres et caressant le rêve chimérique d’une défense commune, le projet européen est, osons la litote, en panne. Il semble être aussi devenu le terreau fertile de populistes et « d’extrémistes ». L’extrême droite monte en Allemagne, au Portugal et en Suède. En France, un sondage Ipsos nous apprend qu'en cas de dissolution, le Rassemblement national pourrait se trouver dans la situation de former une majorité parlementaire.

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D’aucuns diront que Rome ne s’est pas construite en un jour. Mais, trente ans, ce n’est pas un court laps de temps. Le Consulat et l’Empire durèrent à peine quinze ans et laissèrent un legs important. En 37 ans (1868-1905), le Japon passa d’une société agricole et féodale à une puissance mondiale. Le problème n’est pas le temps, mais l’incapacité des élites européistes à assurer la paix et la prospérité. Bruxelles choisit l’Ode à la joie de Beethoven comme hymne européen, aujourd'hui le Requiem de Mozart serait plus approprié.

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"En 30 ans, l’Union européenne est passée d’espoir à échec sans jamais avoir été une puissance"

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26.03.2024

L’Union européenne fait naufrage sans même avoir vieilli. L’année 2024 marquera l’échec du projet européen tant applaudi et si peu achevé. En politique étrangère, la guerre en Ukraine révèle des États impuissants et incapables d’assurer la sécurité du continent. En politique intérieure, à mesure que les classes dirigeantes s’entêtent à défendre un dogme honni, les populistes et les extrémistes ont le vent en poupe. En trente ans, l’Union européenne est passée d’un espoir à un échec sans jamais avoir été une puissance.

Le projet européen se résume à deux promesses. Il devait assurer la paix et la prospérité. La première n’est guère étonnante, car le siècle dernier fut, pour le Vieux Continent, sanglant. Les Européens se battirent lors de deux guerres mondiales, de plusieurs guerres locales ainsi que des guerres coloniales. Il n’est donc pas étonnant que le projet européen se soit voulu un rempart pour la paix. Rien ne résume mieux cette promesse que François Mitterrand déclarant au Parlement européen « Le nationalisme, c’est la guerre ». L’antirationalisme de l’Union européenne est congénital.

Malgré l’absence de preuves (ou de démonstration), il ne manque pas de défenseurs de l'Europe pour affirmer que la paix qui dure depuis 1945 est une réussite du projet européen. Oublions la guerre froide et les arsenaux nucléaires états-uniens et soviétiques qui dominaient le monde, passons les limites de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ignorons la pax americana établie après la chute du mur de Berlin, et taisons l’incapacité des Européens à imposer, d’eux-mêmes, une paix dans les Balkans (1999). Peu importe, on doit attribuer la paix au projet européen parce que c’est en son nom que l’on brime la souveraineté nationale et les majorités démocratiques.

On a également promis de la richesse. Le marché commun est le garant d’une « concurrence libre, loyale et non faussée ». Or, une telle concurrence n’a de sens que si elle génère davantage de prospérité. Lors des débats sur le Brexit, nous avons pu témoigner de la........

© Marianne


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