Nos dirigeants semblent souvent accorder plus d’importance à l’avis de la « communauté internationale » qu’à la volonté du peuple. Ils défendent fréquemment l’Union européenne en affirmant que la nation serait trop petite, trop peu nombreuse, qu’elle est dépassée dans un monde de huit milliards d’âmes. Ils semblent bien souvent parler comme si nous étions déjà tous les citoyens d’une seule communauté mondiale. Ils se trompent. L’année qui s’achève est riche de leçons pour les chantres du post-nationalisme.

Depuis que la Russie envahit l’Ukraine le 24 février 2022, nous avons eu l’occasion d’entendre les discours des uns et des autres. Particulièrement digne d’intérêt est celui des élites européennes. Le conflit à peine commencé, le ministre Bruno Le Maire plastronnait que les sanctions économiques imposées par les États-Unis et l’Europe décimeraient la Russie. ​Il n’en est rien. En 2022, l’économie russe s’est contractée de 2,1 %. Cette année, Vladimir Poutine annonce une croissance à plus de 3 %, tandis que la Banque centrale russe prévoit entre 2,2 et 2,7 %. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que l’économie russe croîtra de 1,1 % l’année prochaine.

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Derrière cette prédiction cruellement démentie par les faits se profile la doxa des élites occidentales. L’interdépendance économique qui caractérise notre époque nous protégerait de la guerre. L’autarcie nationale étant inatteignable, chaque État-nation dépend de plus en plus des autres. Par conséquent, commencer une guerre injuste et impopulaire serait suicidaire, car le bellicisme est jugulé par la nouvelle réalité économique. L’impérialisme russe se fracasserait sur l'interdépendance économique. ​Un angle mort de cet argument est que cette interdépendance reste celle de peuples ou d’États profondément autocentrés. Il n’y a pas une harmonie d’intérêt entre les pays de la prétendue « communauté internationale ». L’Islande peut condamner allègrement la Russie, mais cette petite nation n’a aucunement les besoins énergétiques des titans asiatiques comme la Chine ou l’Inde. Ces derniers n’ont pas massivement augmenté leur importation de pétrole russe par charité chrétienne, mais au nom de l’intérêt national.

L’appui offert à l’Ukraine n’est guère en meilleure posture. Après avoir promis monts et merveilles, les Occidentaux ne tiennent plus parole. Comme prédit, le soutien indéfectible d’hier est devenu la lassitude d’aujourd’hui. On livre les armes attendues en quantité moindre ou en retard. Ou on ne les livre pas. On fournit bien trop peu de munitions aux Ukrainiens. Le million d’obus promis n’arrivera jamais. Cependant, les Russes produiront bientôt plus de deux millions d’obus par an, soit plus que les États-Unis et l’Europe combinés. ​La guerre en Ukraine démontre bien l’inexistence d’une réelle communauté internationale. Que ce soit pour affronter un ennemi ou aider un ami, nous peinons à trouver cette communauté soudée par une identité et prête aux sacrifices. Mieux vaut l'aide d'une seule nation obsolète que l’appui de toute la communauté internationale.

D’aucuns diront que la guerre en Ukraine est exceptionnelle. La Russie n’est pas un pays comme un autre. Plus grande superficie du monde, neuvième population du monde, onzième économie en PNB nominal, le plus grand arsenal nucléaire : malgré tous ses défauts, la Russie serait l’exception qui confirme la règle.

Il n’en est rien. Israël se révèle tout aussi capable d’affronter la « communauté internationale ». En réponse aux massacres cauchemardesques perpétrés par le Hamas en octobre dernier, l’État hébreu s’est livré à une riposte aussi implacable qu’impopulaire à l’étranger. Désireux d’éradiquer une fois pour toutes l'organisation terroriste, les Israéliens s’entêtent à mener une guerre brutale dans la bande de Gaza. Pour parvenir à leurs fins, ils acceptent des dommages collatéraux qui font hurler les diplomates, les organisations non gouvernementales et les manifestants. On peut prendre à témoin le vote du 12 décembre à l’Assemblée générale des Nations unies : 153 pays ont voté pour un cessez-le-feu immédiat, tandis que dix pays s’y sont opposés et 23 se sont abstenus. Les trois quarts des pays du monde ont demandé l’arrêt immédiat des hostilités. De leur côté, les Israéliens sont fermes. Avec ou sans le soutien des autres nations, ils persisteront.

Or, Israël n’est pas la Russie. Classé vingt-neuvième en PNB et quatre-vingt-dix-huitième en matière de population, Israël est un petit pays dans un vaste monde. Et pourtant, les Israéliens ne démordent pas. N’oublions pas qu’il y a peu, ce pays était la proie à des manifestations énormes et de dissensions politiques profondes. Mais les Israéliens ne sont ni naïfs ni utopiques. Ils savent très bien que leurs adversaires politiques sont d'abord leurs compatriotes et en réaction au plus grand massacre que le pays ait vécu, ils se sont émus et mobilisés avec une cohésion inédite.

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L’isolement israélien est en fait doublement révélateur. Non seulement les Israéliens semblent indifférents, voire indignés par les réactions étrangères, mais cette insensibilité envers la prétendue communauté internationale ne date pas d’hier. En effet, l'État hébreu est l’un des États le plus souvent condamnés par des résolutions des Nations unies alors que la Corée du Nord n’est toujours pas un modèle de démocratie et que l’Iran demeure une théocratie sanguinaire. Cependant, c’est Israël qui y est condamné urbi et orbi. Les limites du soft power ne pourraient être plus claires. ​Certains pourraient invoquer l’arsenal nucléaire israélien pour expliquer leur situation, mais cela relève d’une analyse hâtive, même juvénile. La France dispose d’un arsenal nucléaire encore plus important et pourtant ses élites osent rarement montrer autant de détermination sur la scène internationale.

Il n’est pas nécessaire de parler de guerre ou d’inimitié ancestrale pour démontrer que le post-nationalisme est un mirage. La COP 28 illustre parfaitement bien la primauté des identités et des intérêts particuliers et la fragilité de la coopération internationale sur une question d’envergure : le climat. ​Nous avons maintenant l’habitude de grandes conférences qui accouchent de petits résultats. Chaque conférence COP est l’occasion de grandes performances : on y vote des textes, on annonce des résolutions, et surtout on s’applaudit en déclarant avoir conclu un accord historique. Étrangement, on cherche les déclarations qui nous informeraient que les objectifs fixés sont atteints ou dépassés par la majorité des signataires, dont les plus responsables. Les lendemains de signatures historiques déçoivent.

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La COP28 vient de se conclure à Dubaï aux Émirats arabes unis. L’hôte, Sultan Al-Jaber, a déclaré que le besoin de supprimer progressivement les fossiles carbone pour limiter le réchauffement climatique n’était étayé par aucune étude scientifique. Si la communauté internationale devait bien s’entendre sur une chose, c’est bien sur le fait que nous partagions la même planète et que nous avons intérêt à la préserver.

En 1941, George Orwell avait rédigé une cinglante critique du cosmopolitisme en vogue chez les élites. Après avoir concédé que tout être rationnel devrait préférer l’hédonisme et le post-nationalisme dont ils se sont fait les hérauts, il rappelait qu’au nom d’un nationalisme irrationnel et indigne, une grande nation (l’Allemagne) se donnait sans mesure, alors que les adeptes de ce monde plus souhaitable n’accepteraient pas de verser même une pinte de sang pour le voir naître. Ces élites infidèles n’ont guère appris depuis. Ils s’imaginent citoyens du monde parce que cela leur semblerait plus avantageux. Or, une communauté est un pacte de souffrance : est véritablement citoyen celui qui consent au sacrifice.

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Ukraine, Gaza, COP 28 : 2023, preuve que la "communauté internationale" n'existe pas

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19.12.2023

Nos dirigeants semblent souvent accorder plus d’importance à l’avis de la « communauté internationale » qu’à la volonté du peuple. Ils défendent fréquemment l’Union européenne en affirmant que la nation serait trop petite, trop peu nombreuse, qu’elle est dépassée dans un monde de huit milliards d’âmes. Ils semblent bien souvent parler comme si nous étions déjà tous les citoyens d’une seule communauté mondiale. Ils se trompent. L’année qui s’achève est riche de leçons pour les chantres du post-nationalisme.

Depuis que la Russie envahit l’Ukraine le 24 février 2022, nous avons eu l’occasion d’entendre les discours des uns et des autres. Particulièrement digne d’intérêt est celui des élites européennes. Le conflit à peine commencé, le ministre Bruno Le Maire plastronnait que les sanctions économiques imposées par les États-Unis et l’Europe décimeraient la Russie. ​Il n’en est rien. En 2022, l’économie russe s’est contractée de 2,1 %. Cette année, Vladimir Poutine annonce une croissance à plus de 3 %, tandis que la Banque centrale russe prévoit entre 2,2 et 2,7 %. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que l’économie russe croîtra de 1,1 % l’année prochaine.

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Derrière cette prédiction cruellement démentie par les faits se profile la doxa des élites occidentales. L’interdépendance économique qui caractérise notre époque nous protégerait de la guerre. L’autarcie nationale étant inatteignable, chaque État-nation dépend de plus en plus des autres. Par conséquent, commencer une guerre injuste et impopulaire serait suicidaire, car le bellicisme est jugulé par la nouvelle réalité économique. L’impérialisme russe se fracasserait sur l'interdépendance économique. ​Un angle mort de cet argument est que cette interdépendance reste celle de peuples ou d’États profondément autocentrés. Il n’y a pas une harmonie d’intérêt entre les pays de la prétendue « communauté internationale ». L’Islande peut........

© Marianne


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