Pour écrire le plus vite possible, il faut avant tout quelques stratégies pour remplir le vide. Chez Bruno, sa faculté à empiler les phrases creuses lui permet de noircir des pages à peu de frais : « (Il faut) accélérer les changements nécessaires, sans rien renier des permanences qui font notre nation ». On ne pourra pas dire qu’il ne maîtrise pas le « en même temps ». « Je poursuivrai le combat avec cette détermination farouche à révéler à la France son talent immense, qui lui permettra de retrouver un espoir. » La France attendait en effet l’avènement de Bruno.

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Meurice, lui, a décidé de nous raconter toutes les anecdotes de ses journées : son voyage en région nantaise, la tempête qui a « balayé l’ouest de la France », son dîner avec ses parents et ses beaux-parents, ses « quatre heures de train entre Brive et Paris » et même son problème d’évier « bouché ». Mais là où l’humoriste se distingue, c’est qu’il a l’idée géniale d’insérer des extraits de chroniques, de journaux voire d’émissions : plus de quatre pages du texte d’Adrien Dénouette le défendant dans Libération, une page sur la chronique de Fary, une autre sur celle d’Akim Omiri, l’interview d’Adèle Van Reeth dans le Parisien sur une page et demie et cinq pages de l’émission de Charline qui a suivi la polémique sur sa blague.

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Guillaume Meurice est-il au courant de l’existence du podcast ? Rien n’est moins sûr. Mais il emporte cette première manche haut la main, lui qui nous gratifie même de l’intégralité du poème qu’il a envoyé par mail à tout le monde le jour de son départ du groupe Sogécap. Aura-t-on droit à ses cartes postales de vacances dans son prochain livre ? Le suspense est insoutenable.

Rien de tel, pour écrire sans trop se fouler, que d’utiliser des images un peu faciles afin d’allonger la sauce. Dans ce domaine, nul n’arrivera jamais à la cheville d’Amélie Nothomb mais nos deux compères s’en sortent à merveille. Jamais avare d’anecdotes sur ses problèmes de tuyauterie, Guillaume Meurice a décidé de filer la métaphore de la fuite d’eau : « Avant de prier Saint-Maclou pour que l’inondation ne s’étende pas jusqu’au tapis du salon, nous décidons de faire une pause pour aller déjeuner. »

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Conscient que ça ne suffira pas nécessairement à écrire un livre, l’humoriste ajoute astucieusement, à plusieurs reprises, l’explication de la métaphore : « Nous pataugeons. Allégorie à peine exagérée de ce qui se passe simultanément sur les réseaux sociaux »,« Les procès-verbaux fuitent donc des commissariats aux rédactions. Encore un problème d’étanchéité donc. » C'est presque aussi captivant qu'un discours de Bernard Cazeneuve. Et pour le lecteur, l’avantage est double : il peut lire des explications inutiles tout en étant pris pour un crétin.

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Bruno Le Maire va beaucoup plus loin. Grâce à son lyrisme grandiloquent et volontiers ampoulé, il remplit aisément plusieurs pages de mauvaise littérature. « On dit la France de climat tempéré. En réalité, parmi toutes les nations du monde, notre nation a le tempérament le plus instable ; elle obéit à la météo la plus capricieuse de son histoire (…) En un rien de temps, elle enfle, elle déborde, des rivières de colère sortent de leur lit, où elles retourneront aussi vite, comme lassées de leur propre emportement. » C’est beau comme du Lamartine reproduit par une IA et amputé de ses meilleurs passages. Le tout en donnant l’impression que si les Français sont mécontents, c’est uniquement en raison de leur mauvais caractère et pas du tout à cause des mauvaises décisions du gouvernement. Qui dit mieux ? Personne. Dans ce domaine, avantage Le Maire.

Disons-le d’emblée : le harcèlement dont a été victime l’humoriste et sa convocation à la police judiciaire sont très inquiétants dans un pays qui se dit attaché à la liberté d’expression. Il y avait sans doute là de quoi écrire un essai brillant et profond sur le sujet. Fort heureusement, Guillaume Meurice évite avec brio cet écueil qui lui aurait fait perdre un temps fou. Grâce à son art de la digression et de l’explication inutile déjà évoquée tout à l’heure, il parvient régulièrement à esquiver tout embryon de réflexion. Son tuto d’une page pour faire une déposition (p. 118) ou son évocation des différences entre la police et la police judiciaire sont déjà d’habiles façons de contourner la pensée.

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Mais que dire de sa tendance à expliquer l’humour ? « Lorsqu’on raconte une histoire drôle, on tend un fil qui se relâche au moment de la chute. Cela a pour effet une décontraction soudaine du corps : le rire. » Bien malin qui pourrait prétendre écrire chose plus plate. Et pourtant, Guillaume va lui-même relever le défi. On savait déjà qu’il n’y a pas pire pour ne pas être drôle que d’expliquer une blague. L’humoriste va quant à lui réussir l’exploit de nous expliquer pourquoi ce n’est pas drôle d’expliquer une blague dans une sorte de mise en abyme du bide intersidéral : « Rien de pire que de faire le service après-vente d’une blague. Faites le test. La prochaine fois qu’on vous raconte une histoire drôle, demandez à la personne de vous l’expliquer. Malaise garanti. »

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Face à un tel génie du vide, Bruno fait bien pâle figure en essayant d’accumuler les aphorismes. Même les plus ridicules semblent presque, par effet de contraste, véhiculer un début de réflexion : « On n’avance pas dans un monde à découvrir avec les cartes du monde connu. Le dépassement est notre matrice originelle »,« Nous ne pouvons pas promettre des lendemains plus vivables si chaque heure qui vient est moins vivable. » Bon, on avait dit « presque », on n’a pas menti. « Longtemps, notre économie a été notre point faible ». Mais ça, c’était avant Bruno Le Maire. Troisième manche pour Meurice.

En convoquant tous les éléments de langage qu’on attendait de lui (« Paniques morales »,« problématique »,« chaque artiste exprime son ressenti »,« vieux mâle blanc alpha qui vient chouiner sur un point médian ou un menu végétarien à la cantine ») Guillaume Meurice ne remplit pas seulement son rôle à merveille, il gagne également un temps précieux sur l’écriture, surtout qu’il a le talent de rallonger les phrases grâce à l’inclusive : « Toutes celles et ceux qui me connaissent »,« L’avis de chaque chroniqueuse et de chaque chroniqueur ».

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Bruno le Maire n’est pas en reste, son discours semblant souvent l’œuvre d’un générateur de non-pensée macroniste : « Nous avons changé le logiciel de pensée économique de la Commission européenne en défendant la souveraineté européenne », « La désindustrialisation semblait inéluctable, elle est stoppée. » C’est flagrant. « En quelques années, nous avons apporté la preuve, avec Emmanuel Macron, que la France avait la capacité de corriger ses erreurs, de transformer son image internationale, de redevenir un territoire attractif et une économie à succès. »

Voilà la preuve que le métavers se porte beaucoup mieux que prévu. Outre les habituels « pivoter », « bienveillance » et « repli sur soi », le ministre se détache grâce à la répétition d’un élément de langage qui semble à lui seul justifier la parution de ce livre : « Affirmer la France ». À ce slogan de pubard ou de mauvaise agence de com répété comme un mantra sans qu’on ne comprenne jamais ce que ça veut dire, Bruno a la bonne idée d’ajouter des questions que personne ne se pose comme « où en suis-je ? » et de créer ainsi un faux suspense. Avec le charisme électrisant d’un caddie sans roulettes, il affirme par exemple : « Je ne renâcle à rien, surtout pas aux tâches futures. » Lesquelles ? Mystère. L'allusion est tellement fine qu'il ne manque qu'un émoji clin d’œil. Avantage le Maire.

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On prédisait un match serré entre ces deux pontes de l’insignifiance, on ne se doutait pas que ce serait à ce point. Les droits d’auteur du livre de Meurice étant entièrement reversés à Médecins du monde, on pencherait pour acheter celui de Le Maire, afin que ce dernier ne soit pas tenté d’en écrire un autre tout de suite. Mais dans une bataille de médiocres, il convient de récompenser celui qui n’est pas dupe. La victoire va donc à Meurice pour son accès de lucidité. « Dans quelques années, peut-être que cet ouvrage brillera par sa banalité. » Nul besoin d’attendre si longtemps.

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Le match Guillaume Meurice contre Bruno Le Maire : lequel a le plus bâclé son bouquin ?

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29.03.2024

Pour écrire le plus vite possible, il faut avant tout quelques stratégies pour remplir le vide. Chez Bruno, sa faculté à empiler les phrases creuses lui permet de noircir des pages à peu de frais : « (Il faut) accélérer les changements nécessaires, sans rien renier des permanences qui font notre nation ». On ne pourra pas dire qu’il ne maîtrise pas le « en même temps ». « Je poursuivrai le combat avec cette détermination farouche à révéler à la France son talent immense, qui lui permettra de retrouver un espoir. » La France attendait en effet l’avènement de Bruno.

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Meurice, lui, a décidé de nous raconter toutes les anecdotes de ses journées : son voyage en région nantaise, la tempête qui a « balayé l’ouest de la France », son dîner avec ses parents et ses beaux-parents, ses « quatre heures de train entre Brive et Paris » et même son problème d’évier « bouché ». Mais là où l’humoriste se distingue, c’est qu’il a l’idée géniale d’insérer des extraits de chroniques, de journaux voire d’émissions : plus de quatre pages du texte d’Adrien Dénouette le défendant dans Libération, une page sur la chronique de Fary, une autre sur celle d’Akim Omiri, l’interview d’Adèle Van Reeth dans le Parisien sur une page et demie et cinq pages de l’émission de Charline qui a suivi la polémique sur sa blague.

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Guillaume Meurice est-il au courant de l’existence du podcast ? Rien n’est moins sûr. Mais il emporte cette première manche haut la main, lui qui nous gratifie même de l’intégralité du poème qu’il a envoyé par mail à tout le monde le jour de son départ du groupe Sogécap. Aura-t-on droit à ses cartes postales de vacances dans son prochain livre ? Le suspense est insoutenable.

Rien de tel, pour écrire sans trop se fouler, que d’utiliser des images un peu faciles afin d’allonger la sauce. Dans ce domaine, nul n’arrivera jamais à la cheville d’Amélie Nothomb mais nos deux compères s’en sortent à merveille. Jamais avare d’anecdotes sur ses problèmes de tuyauterie, Guillaume Meurice a décidé de filer la métaphore de la fuite d’eau : «........

© Marianne


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