Les tensions et l’escalade entre Israël et l’Iran ont replacé au centre des préoccupations de la communauté internationale le risque d’un conflit régional de haute intensité au Moyen-Orient. Une situation qui se rapproche de celle de l’Europe en 1914. Les quatre puissances de la région (Arabie saoudite, Iran, Turquie et Israël) sont embarquées dans un jeu d’alliances avec les acteurs locaux et sont capables de se livrer une guerre de haute intensité.

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Face au risque d’escalade, la France doit renouer avec sa voix originale entendue une dernière fois en 2003 et dire non aux bellicistes, à commencer par Benyamin Netanyahou qui veut entraîner l’Occident dans un conflit de plus grande ampleur que nous ne maîtriserons pas.

Le gouvernement de Netanyahou n’a pas atteint ses trois objectifs de guerre après les crimes terroristes du Hamas du 7 octobre 2023. En premier lieu, la totalité des otages n’a pas été libérée malgré six mois de guerre à Gaza. Or, il s’agit de la principale attente de la population israélienne profondément attachée au respect de la dignité et de la vie humaine eu égard à leur histoire nationale.

Ensuite, Netanyahou n’a toujours pas détruit le Hamas alors qu’il devait faire payer les bourreaux qui ont perpétré le pire crime contre le peuple juif depuis l’Holocauste. Enfin, il devait mettre en place une stratégie militaire efficace pour éviter une multiplication des fronts qui disperse les forces israéliennes. Or, Israël est aujourd’hui engagée au sud à Gaza, à l’est en Cisjordanie et au nord à la frontière syrienne et au Liban contre le Hezbollah. Seulement, après ses échecs militaires, le Premier ministre israélien a besoin de provoquer un changement du rapport de force pour atteindre ses objectifs de guerre. Ainsi, l’attaque des drones iraniens donne à Netanyahou et ses partisans un mandat pour attaquer directement l’Iran et impliquer l’Occident dans un choc de civilisations.

« Netanyahou veut la guerre pour se sortir de son impasse politique personnelle. »

De surcroît, il veut la guerre pour se sortir de son impasse politique personnelle. L’attaque terroriste du Hamas a miné son capital politique, alors que celui-ci s’était forgé la réputation d’un homme fort garant de la sécurité de son peuple, quitte à adopter une position radicale sur la Palestine. En échouant à protéger les Israéliens, il a malheureusement rendu possible d’autres 7 octobre dans leur esprit. Seulement, comme dans toutes les démocraties libérales, les dirigeants israéliens doivent des comptes à leur opinion publique. Cinquante ans plus tôt, Golda Meir la « dame de fer » n’avait pas anticipé l’attaque coordonnée de la Syrie et de l’Égypte en dépit de sa politique sécuritaire. Malgré la victoire israélienne, elle avait été contrainte de se retirer de la vie politique, étant jugée responsable d’un traumatisme pour Israël après la violation de ses frontières. C’est pourquoi Netanyahou souhaite continuer la guerre afin de conserver une possibilité de se maintenir au pouvoir et campe sur ses positions contre des cessez-le-feu ou des évolutions de stratégies, malgré les critiques de ses partenaires occidentaux.

Par son attitude belliciste, Netanyahou emmène l’Occident vers un choc des civilisations. À ce titre, il répète les erreurs américaines commises en Afghanistan et en Irak par George W. Bush et les néoconservateurs. Celles-ci ont été doubles. D’une part, ces interventions militaires se sont révélées être des échecs à long terme. En Afghanistan, les talibans sont revenus vingt ans après leur défaite face à l’armée américaine. En Irak, la destruction du régime de Saddam Hussein sans anticipation de la reconstruction politique du pays a laissé un vide, qui a été occupé pendant plusieurs années par l’État islamique au Levant qui a déstabilisé la région et nos sociétés par des attentats terroristes.

« Dans les circonstances actuelles, le choc des civilisations n’aurait pas lieu qu’au Moyen-Orient, mais également chez nous. »

D’autre part, l’unilatéralisme de l’intervention américaine en Irak a créé les conditions d’un rejet massif de l’Occident dans les pays de la région, et plus globalement au sein des pays du Sud global. Même si ceux-ci ne sont pas unis dans leurs objectifs, ils rejettent la domination occidentale symbolisée par ces interventions. Ainsi, les États-Unis ont progressivement isolé l’Occident du reste du monde, ceci expliquant pourquoi Vladimir Poutine bénéficie d’une relative bienveillance de la part de certains pays du Sud quant à l’Ukraine.

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Seulement, dans les circonstances actuelles, le choc des civilisations n’aurait pas lieu qu’au Moyen-Orient, mais également chez nous. D’un côté, une réponse israélienne non proportionnée conduirait l’Occident à devoir lutter contre un « arc chiite » dominé par l’Iran et constitué du Hezbollah, de la Syrie ou de l’Irak qui se ligueraient contre Israël. Cet « arc chiite » pourrait amener les populations des pays musulmans à se faire entendre, qu’importe qu’elles soient chiites ou sunnites. En effet, même si les relations des pays sunnites (Égypte, Jordanie, États du Golfe) se sont progressivement normalisées avec Israël, certains ont même apporté leur aide à l’État hébreu pour intercepter les drones et missiles iraniens, les populations musulmanes restent critiques vis-à-vis de l’État juif.

Or, devant une guerre que les Gardiens de la révolution s’empresseront de présenter comme une guerre sainte, nombre d’entre eux pourraient appeler au soutien de l’Iran. De l’autre côté, les nations occidentales redoutent un choc des civilisations importé au sein de leur pays. En effet, l’évolution géopolitique du Moyen-Orient a des impacts sur nos sociétés en lien avec les communautés musulmanes. La multiplication des faits d’entrisme et la présence sur notre sol du totalitarisme islamique créent les conditions d’un choc des civilisations au sein de nos pays.

Le Moyen-Orient est dans la situation de l’Europe de 1914, et nécessite une maîtrise des réponses militaires pour éviter le pire. En effet, les puissances en jeu (Arabie saoudite, Iran, Turquie et Israël) sont embarquées dans un jeu d’alliances et sont capables de se livrer une guerre de haute intensité. Ces puissances régionales représentent près de 6 % des dépenses militaires mondiales (soit l’équivalent de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni) alors qu’elles ne regroupent que 2,7 % de la population mondiale.

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Seulement, dans le cadre d’un tel conflit, ni les Israéliens ni les Occidentaux ne gagneraient contre un ennemi comme l’Iran. Les précédents afghan et irakien montrent que l’on peut remporter des victoires rapides, notamment grâce à une avance technologique conséquente, mais qu’il est très difficile de capitaliser sur ces gains. Ainsi, il paraît peu probable que les coalitions occidentales réussissent en Iran où ils ont échoué en Irak et en Afghanistan. En effet, le rapport de force est cette fois-ci en défaveur d’Israël face à un « arc chiite », regroupant l’Iran, le Liban, la Syrie et l’Irak.

À l’image du discours de Villepin sur l’Irak en 2003, la France doit renouer avec une posture gaullienne d’équilibre. Pour cela, il faut nous en tenir à deux principes clairs et fermes : aider Israël pour détruire le Hamas car il n’y aura jamais de sécurité pour Israël et d’État palestinien tant que le Hamas existe et signifier notre opposition au projet de Netanyahou qui semble vouloir nous conduire vers un chaos sans précédent.

À la différence de 2003, quand la France a été mise au ban des nations occidentales pour son opposition frontale à Bush, la situation est différente et nous pourrions davantage être écoutés. Le camp occidental est relativement divisé sur la question israélienne. Même si certains pays défendent ardemment Netanyahou, comme l’Allemagne ou l’Autriche, d’autres pays sont plus partagés et accueilleraient positivement une prise de position française.

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C’est le cas de l’Espagne, sortie de son atlantisme virulent qui l’avait amenée à suivre les États-Unis en Irak et qui se montre critique envers Netanyahou, mais également des États-Unis de Joe Biden qui sont opposés à toute réplique disproportionnée et pourraient soutenir à basse voix la France.

Ainsi, la France sortirait grandie de cet épisode en se montrant capable de porter à nouveau les valeurs défendues par le Général de Gaulle. Surtout, elle se replacerait sur l’échiquier mondial en renouant avec son positionnement traditionnel qui est bien mieux accueilli et attendu auprès du Sud global et des pays arabes car de nombreux pays ne veulent pas de cet embrasement. La France peut se transformer en héraut d’une troisième voie dont le monde a besoin.

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"La France doit dire non à Benyamin Netanyahou comme elle a dit non à George W. Bush"

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22.04.2024

Les tensions et l’escalade entre Israël et l’Iran ont replacé au centre des préoccupations de la communauté internationale le risque d’un conflit régional de haute intensité au Moyen-Orient. Une situation qui se rapproche de celle de l’Europe en 1914. Les quatre puissances de la région (Arabie saoudite, Iran, Turquie et Israël) sont embarquées dans un jeu d’alliances avec les acteurs locaux et sont capables de se livrer une guerre de haute intensité.

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Face au risque d’escalade, la France doit renouer avec sa voix originale entendue une dernière fois en 2003 et dire non aux bellicistes, à commencer par Benyamin Netanyahou qui veut entraîner l’Occident dans un conflit de plus grande ampleur que nous ne maîtriserons pas.

Le gouvernement de Netanyahou n’a pas atteint ses trois objectifs de guerre après les crimes terroristes du Hamas du 7 octobre 2023. En premier lieu, la totalité des otages n’a pas été libérée malgré six mois de guerre à Gaza. Or, il s’agit de la principale attente de la population israélienne profondément attachée au respect de la dignité et de la vie humaine eu égard à leur histoire nationale.

Ensuite, Netanyahou n’a toujours pas détruit le Hamas alors qu’il devait faire payer les bourreaux qui ont perpétré le pire crime contre le peuple juif depuis l’Holocauste. Enfin, il devait mettre en place une stratégie militaire efficace pour éviter une multiplication des fronts qui disperse les forces israéliennes. Or, Israël est aujourd’hui engagée au sud à Gaza, à l’est en Cisjordanie et au nord à la frontière syrienne et au Liban contre le Hezbollah. Seulement, après ses échecs militaires, le Premier ministre israélien a besoin de provoquer un changement du rapport de force pour atteindre ses objectifs de guerre. Ainsi, l’attaque des drones iraniens donne à Netanyahou et ses partisans un mandat pour attaquer directement l’Iran et impliquer l’Occident dans un choc de civilisations.

« Netanyahou veut la guerre pour se sortir de son impasse politique personnelle. »

De surcroît, il veut la guerre pour se sortir de son impasse politique personnelle. L’attaque terroriste du Hamas a miné son capital politique, alors que celui-ci s’était forgé la........

© Marianne


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