La France s’embrase avec une révolte des agriculteurs qui se durcit via l’opération « siège de Paris ». Cette crise n’est pas une mobilisation sectorielle de défense d’une corporation comme les médecins, diplomates ou encore cheminots. Des sentiments plus profonds traversent le monde agricole : subir des décisions absurdes contre le bon sens paysan, perdre la liberté sur son destin et disparaître de la société. En ce sens, il est possible de parler de phénomène des Gilets Verts.

Le monde agricole subit une triple crise : une crise de production, de vocation et de conversion. Tout d’abord, nous nous sommes détournés de la production de nos agriculteurs. Plus de 20 % de l’alimentation des Français est importée en raison de notre faiblesse en termes de compétitivité coût. Cela s’explique par une concurrence déloyale des États membres de l’Union européenne et des pays extra-européens sans exigence de réciprocité des conditions de production. Ainsi, les importations agricoles françaises ont doublé, passant de 28 milliards en 2000 à 56 milliards en 2019, selon le ministère de l’Agriculture. De plus, les agriculteurs subissent une crise des vocations car leur reste à vivre ne permet que de survivre. Le revenu moyen net imposable des exploitants agricoles est de 1 390 euros et la retraite moyenne avec complémentaire s’établit à 870 euros, selon la Mutualité sociale agricole. Enfin, les agriculteurs sont en colère car ils considèrent qu’ils doivent payer plus que les autres (les riches et les urbains) pour la transition écologique en devant changer leur métier, mais aussi leur mode de vie rural.

A LIRE AUSSI : "Oudéa-Castéra ne parle qu’aux énarques et ignore le reste du monde" : avant la grève, une ministre isolée

La colère des agriculteurs est jugée légitime par les Français. En effet, selon un sondage Elabe, 87 % des Français sont favorables à la mobilisation des agriculteurs. Sur le plan économique, les agriculteurs ne sont pas jugés responsables de l’inflation alimentaire (+11,9 % selon l’Insee). Au contraire, les Français estiment plutôt qu’ils sont victimes de la guerre des prix de la grande distribution. De plus, les agriculteurs incarnent la France du travail et du terroir, celle imaginée autour du 13 heures du regretté Jean-Pierre Pernaut. D’une part, les agriculteurs représentent une France qui se lève tôt pour nourrir le pays, donc un métier de première ligne presque d’intérêt général, en travaillant 53 heures en moyenne chaque semaine. D’autre part, ils incarnent une France délaissée par les pouvoirs publics. En effet, la France ne consacre que 18 % de son budget de la PAC pour le développement rural et on constate une grande disparité entre la politique de la ville à destination des quartiers dit prioritaires des banlieues et celle de la ruralité.

La crise des agriculteurs revêt des caractéristiques semblables à la crise des Gilets jaunes tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, la mobilisation s’apparente aux Gilets jaunes pour deux raisons : les cibles et la stratégie de mobilisation. D’un côté, les Gilets verts s’en prennent aux symboles des élites mondialisées : l’Union européenne, le gouvernement et la grande distribution. L’objectif pour les deux mouvements est de porter une attention sur des « oubliées » : la France rurale pour les agriculteurs et la France périphérique pour les Gilets jaunes. De l’autre côté, les agriculteurs s’appuient sur des méthodes de blocage efficaces sans paralyser la France du travail, ce qui permet de garder l’adhésion des Français, comme les Gilets jaunes. Les agriculteurs doivent cependant garder en mémoire que les Gilets jaunes ont vu l’adhésion à leur cause diminuer en raison de mauvaises méthodes d’action comme les saccages de l’Arc de Triomphe et des commerces.

A LIRE AUSSI : "C'est le dernier parti léniniste" : comment la FNSEA a étendu son emprise sur le monde agricole

Sur le fond, les agriculteurs ne rêvent plus. Comme les Gilets jaunes, ils se sentent éloignés des grandes décisions orientant leur vie et estiment avoir perdu le contrôle de leur destinée. En effet, les revenus des agriculteurs sont déterminés par les marchés internationaux à Chicago, les négociations de la PAC à Bruxelles et les négociations de prix entre la grande distribution et le gouvernement à Bercy. Le sentiment d’injustice est renforcé par la perception qu’une grande partie de ces décisions sont jugées absurdes et allant contre le bon sens paysan. Le Green Deal cristallise ainsi la colère des agriculteurs sur deux aspects : la loi sur la restauration de la nature qui diminuera la surface agricole disponible et la volonté de la Commission européenne de réduire de 50 % l’utilisation de pesticides d’ici 2030, alors que certains n’ont pas de substitution. Une diminution des terres exploitables et un abandon de pesticides affaibliront la production agricole et donc les revenus des agriculteurs alors même que la Russie utilise l’agriculture comme un outil diplomatique dans un conflit aux portes de l’Europe.

La crise des agriculteurs porte les germes d’une nouvelle grande contestation nationale. Pour cela, elle doit parvenir à maintenir trois conditions cumulatives. Le monde agricole doit parler d’une seule voix. Initialement, les positions des syndicats différaient sur les objectifs. Le rapprochement de la FNSEA, des Jeunes agriculteurs, de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale, peut installer le mouvement dans la durée. De plus, le monde agricole doit maintenir le fort soutien des Français grâce à sa stratégie de ne pas pénaliser la France du Travail. Si 87 % des Français soutiennent le mouvement, il s’agissait de 65 % des Français pour les Gilets jaunes (sondage BVA pour La Tribune) et 59 % pour les syndicats mobilisés contre la réforme des retraites (sondage Elabe pour BFMTV). Enfin, le monde agricole doit poursuivre et agréger la convergence des luttes. Les signaux sont positifs car le secteur agricole a réussi à s’associer avec les travailleurs du BTP ou des distributeurs de carburant. Si la France du travail les rejoint, les agriculteurs peuvent mettre en difficulté le gouvernement.

A LIRE AUSSI : Immigration clandestine : en Croatie, plus de 15 % des affaires judiciaires concernent… la traite d'êtres humains

Le monde agricole peut s’appuyer sur trois faiblesses de la Macronie. Les deux premières faiblesses sont structurelles. Elles résident, d’une part, dans la capacité du gouvernement à perdre des négociations sectorielles face aux partenaires sociaux (réforme des retraites, réforme SNCF, colère des médecins, etc.) et d’autre part, dans son association à l’Union européenne, tant sur les décisions jugées absurdes contenues dans le Green Plan que dans son incarnation d’une politique libre-échangiste (traité CETA, accord UE-Nouvelle-Zélande, etc.).

La dernière faiblesse est conjoncturelle et tient au nouveau gouvernement de Gabriel Attal. En effet, ses multiples promesses à tous les corps de la société (monde de la santé, enseignants, policiers, etc.) affaiblissent chaque jour la parole gouvernementale et nuit à la confiance entre les agriculteurs et le gouvernement. L’enracinement des Gilets verts dans la durée acterait le changement d’époque. Le macronisme, qui avait pour mandat de réparer un pays désuni, n’emportera dans l’histoire qu’une succession de crises traduisant une incompréhension des aspirations profondes de la France périphérique.

QOSHE - Après les gilets jaunes, les gilets verts ? "Le monde agricole doit agréger la convergence des luttes" - William Thay
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Après les gilets jaunes, les gilets verts ? "Le monde agricole doit agréger la convergence des luttes"

4 0
30.01.2024

La France s’embrase avec une révolte des agriculteurs qui se durcit via l’opération « siège de Paris ». Cette crise n’est pas une mobilisation sectorielle de défense d’une corporation comme les médecins, diplomates ou encore cheminots. Des sentiments plus profonds traversent le monde agricole : subir des décisions absurdes contre le bon sens paysan, perdre la liberté sur son destin et disparaître de la société. En ce sens, il est possible de parler de phénomène des Gilets Verts.

Le monde agricole subit une triple crise : une crise de production, de vocation et de conversion. Tout d’abord, nous nous sommes détournés de la production de nos agriculteurs. Plus de 20 % de l’alimentation des Français est importée en raison de notre faiblesse en termes de compétitivité coût. Cela s’explique par une concurrence déloyale des États membres de l’Union européenne et des pays extra-européens sans exigence de réciprocité des conditions de production. Ainsi, les importations agricoles françaises ont doublé, passant de 28 milliards en 2000 à 56 milliards en 2019, selon le ministère de l’Agriculture. De plus, les agriculteurs subissent une crise des vocations car leur reste à vivre ne permet que de survivre. Le revenu moyen net imposable des exploitants agricoles est de 1 390 euros et la retraite moyenne avec complémentaire s’établit à 870 euros, selon la Mutualité sociale agricole. Enfin, les agriculteurs sont en colère car ils considèrent qu’ils doivent payer plus que les autres (les riches et les urbains) pour la transition écologique en devant changer leur métier, mais aussi leur mode de vie rural.

A LIRE AUSSI : "Oudéa-Castéra ne parle qu’aux énarques et ignore le reste du monde" : avant la grève, une ministre isolée

La colère des agriculteurs est jugée légitime par les Français. En effet, selon un sondage Elabe, 87 % des........

© Marianne


Get it on Google Play