Temps de lecture: 5 min

Les pulls d'hiver à motifs existent depuis belle lurette, tricotés par des grands-mères attentionnées et portés par des générations d'enfants qui pestaient contre la laine qui gratte. Mais le vrai pull moche de Noël, gorgé de second degré, s'est installé plus récemment.

Tout commence aux États-Unis, dans les années 1950, lorsque les marques s'emparent de Noël pour commercialiser leurs produits. C'est dans cette optique que les pulls moches de Noël, alors appelés «jingle bell sweaters», débutent leur ascension. Portés à la télévision par des personnalités de l'époque, comme le chanteur de variétés Andy Williams, ils ne rencontrent pourtant que peu de popularité.

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Dans les années 1980, le pull moche investit la pop culture. On le voit par exemple porté par Chevy Chase dans le film Le sapin a les boules (National Lampoon's Christmas Vacation). «Les comédies goofy [à base de héros gaffeurs, ndlr] de Noël ont popularisé cette tradition», confirme Bamba Sissokho, sales manager chez Y/Project, et auteur d'un mémoire sur le moche à l'Institut français de la mode. «Les pulls moches appartiennent à l'univers de Noël au même titre qu'un sapin.»

Ils sont alors assez discrets, avec des motifs simples, comme des flocons de neige. On les porte à la fête de Noël du bureau pour amener une ambiance festive. «Ils permettent d'allier un vêtement et un état d'esprit dans cette période spécifique.»

Après une traversée du désert dans les années 1990, les «ugly Christmas sweaters» reviennent en force au début des années 2000, alors qu'ils étaient passés de mode. Dans le film Le Journal de Bridget Jones, Mark Darcy, adorablement ringard, les remet au goût du jour avec un pull sur lequel figure une énorme tête de renne au nez rouge.

Dès lors, les pulls moches de Noël commencent à être portés de façon ironique et burlesque. On les identifie au premier coup d'œil grâce à leurs couleurs vives, leurs motifs de Noël et leurs messages loufoques. Vecteurs de bonne humeur, ils sont parfois lumineux, en 3D ou même musicaux. Plus c'est kitsch, mieux c'est!

Outre-Atlantique, les entreprises organisent dès le début des années 2000 leurs «ugly Christmas sweater parties», qui deviennent de vraies traditions de fin d'année. Les pulls moches squattent les réunions de famille, et même les écoles s'y mettent pour le dernier jour de classe avant Noël.

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Mais pourquoi les aime-t-on à ce point? Sans doute parce que, «comme chaque objet d'anti-mode, ces pulls sont une prise de position», explique Bamba Sissokho. Ceux qui les portent veulent faire preuve d'humour, voire se faire remarquer. «Ils sont majoritairement portés par pure ironie. Porter du moche est un détournement: cela permet de transformer ce que l'on perçoit, tout en s'affirmant.»

Et quelle différence avec les pulls qui grattent de nos grands-mères? «Le “ugly Christmas sweater” vient s'inscrire dans une tradition qui a été démocratisée par le web. Il y a un concours informel de qui aura le pull le plus moche, tandis que le pull de notre grand-mère était, lui, moche sans forcément de visée. De plus, un pull tricoté à la main par simple preuve d'amour est aux antipodes d'un pull réalisé de manière industrielle afin de générer du profit grâce à une tendance internet.» Certes.

En 2016, c'est justement en se moquant des pulls moches d'un copain que Julie Bergé et ses amis ont l'idée d'organiser un championnat du monde de pull moche, dans le cadre du salon Albi Vintage. Chaque année désormais, 150 participants s'y pressent pour concourir.

La gagnante catégorie solo du championnat du monde de pull moche 2023. | Championnat du monde de pull moche / Albi Vintage

«On limite le nombre de participants car on est victime de notre succès», assure l'organisatrice. «C'est un brin de folie et de détente dans la période de rush de la fin d'année. L'autodérision permet de reposer nos cerveaux. Avec tout ce qu'on a vécu depuis le Covid...»

Trois catégories sont en jeu: le pull moche en solo, en groupe ou famille, ou bien avec une coupe mulet, histoire d'ajouter du moche au moche! «Il y a beaucoup de second degré, mais certains prennent cela très au sérieux et refusent d'utiliser le terme “pull moche”, mais préfèrent “pull de Noël”», s'amuse Julie Bergé.

Le gagnant catégorie coupe mulet du championnat du monde de pull moche 2023. | Championnat du monde de pull moche / Albi Vintage

Le championnat attire des participants et spectateurs du monde entier. «Dès la première édition on avait des gens des États-Unis, du Portugal, d'Espagne, de Chine et du Japon», se souvient l'organisatrice. «On a des fidèles: chaque année Jérôme vient de Saumur; depuis il s'est mis au tricot pour fabriquer lui-même son pull, et il a même lancé une association de tricot.»

Les gagnants catégorie famille du championnat du monde de pull moche 2023. | Championnat du monde de pull moche / Albi Vintage

Mais comme toujours, le kitsch attire aussi les créateurs de mode. «Les marques de luxe ont tout intérêt à s'approprier cette tendance», confirme Bamba Sissokho. «À l'image du pull lui-même, la commercialisation de celui-ci permet de désacraliser la marque et de lui donner ce côté sympathique, accessible. C'est comme si votre patron arrivait au bureau avec des oreilles de lapin pour Pâques: ça l'humanise.»

Ainsi, Stella McCartney s'y est collée dès 2007, suivie par Givenchy en 2010, puis Dolce & Gabbana en 2011. L'hiver dernier, la marque Loewe a sorti un pull moche de Noël d'une valeur de 1.500 euros. «Et comme toute tendance a ses extrêmes, le “ugly Christmas sweater” le plus cher du monde coûte la somme de 35.200 euros!» Ce pull, conçu par Aidan Liban, un créateur londonien, est constitué́ de soie, de fils d'or 24 carats, de plus de 150 diamants et de 2.000 cristaux Swarovski. Il a trouvé preneur et, bonne nouvelle, une partie des fonds a été reversée à la National Health Service (NHS), le système de santé britannique.

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Car, aussi joyeux soit-il, le pull moche de Noël a aussi sa face sombre et non éthique qu'il convient de compenser. Souvent fabriqués en matières synthétiques, produits en grande quantité en Chine, et portés seulement une ou deux fois par an, ces vêtements ont une empreinte carbone douteuse. Pour racheter sa conscience et passer un Noël serein, il est heureusement possible de privilégier un pull en laine, acheté en seconde main, et de le porter plusieurs fois sur la saison!

Si les pulls moches de Noël ne vous ont toujours pas convaincu, sachez que même des célébrités comme Taylor Swift sont conquises, et qu'il existe une journée internationale du pull moche de Noël: le 15 décembre. Vous savez ce qu'il vous reste à faire…

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Quelle est l'histoire des «ugly Christmas sweaters», ces affreux pulls de Noël?

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15.12.2023

Temps de lecture: 5 min

Les pulls d'hiver à motifs existent depuis belle lurette, tricotés par des grands-mères attentionnées et portés par des générations d'enfants qui pestaient contre la laine qui gratte. Mais le vrai pull moche de Noël, gorgé de second degré, s'est installé plus récemment.

Tout commence aux États-Unis, dans les années 1950, lorsque les marques s'emparent de Noël pour commercialiser leurs produits. C'est dans cette optique que les pulls moches de Noël, alors appelés «jingle bell sweaters», débutent leur ascension. Portés à la télévision par des personnalités de l'époque, comme le chanteur de variétés Andy Williams, ils ne rencontrent pourtant que peu de popularité.

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Dans les années 1980, le pull moche investit la pop culture. On le voit par exemple porté par Chevy Chase dans le film Le sapin a les boules (National Lampoon's Christmas Vacation). «Les comédies goofy [à base de héros gaffeurs, ndlr] de Noël ont popularisé cette tradition», confirme Bamba Sissokho, sales manager chez Y/Project, et auteur d'un mémoire sur le moche à l'Institut français de la mode. «Les pulls moches appartiennent à l'univers de Noël au même titre qu'un sapin.»

Ils sont alors assez discrets, avec des motifs simples, comme des flocons de neige. On les porte à la fête de Noël du bureau pour amener une ambiance festive. «Ils permettent d'allier un vêtement et un état d'esprit dans cette période spécifique.»

Après une traversée du désert dans les années 1990, les «ugly Christmas sweaters» reviennent en force au début des années 2000, alors qu'ils étaient passés de mode. Dans........

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